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Kurt Elling, une voix d'or pour Noël

En matière de jazz vocal, Kurt Elling aura été l'un des très grands artistes de l'année 2016. Après une participation éblouissante au projet "Upward Spiral" du quintet de Branford Marsalis, le chanteur natif de Chicago a enregistré un album de Noël séduisant, chaleureux et original, "The Beautiful Day", loin des standards mille fois entendus. Rencontre.
Article rédigé par Annie Yanbekian
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8 min
Le chanteuur Kurt Elling
 (Elliot Mandel)

Après plusieurs années de collaboration avec le label Concord, Kurt Elling s'est engagé en 2016 avec Okeh, label distribué par Sony. Dans la foulée, deux albums ont été lancés, "Upward Spiral" avec le quintet du saxophoniste Branford Marsalis, puis "The Beautiful Day", conçu autour de la thématique de Noël. "Upward Spiral" est nommé aux Grammy Awards en catégorie "Meilleur album de jazz vocal".

Comme pour se rappeler au bon souvenir des Européens, le vocaliste surdoué, qui a fêté ses 49 ans le 2 novembre, s'est lancé dans des tournées internationales pour défendre ces deux projets. Et il a marqué les esprits. Les chanceux qui l'ont vu sur scène au New Morning, le 27 juin avec Marsalis, puis le 15 novembre dernier avec son groupe, ont découvert un chanteur de jazz au sommet de son art.

Entre swing, soul, pop et tradition

Sorti le 28 octobre dernier, l'album "The Beautiful Day" renferme de très agréables surprises. Kurt Elling a repris trois chansons du compositeur Leslie Bricusse - dont le morceau-titre du disque - qui figurent dans la bande-originale du film "Scroodge" (1970). Le disque s'ouvre malicieusement sur un mini-medley des refrains les plus célèbres de Noël avant de dérouler un répertoire riche et séduisant : des chants traditionnels (dont une relecture raffinée de "We Three Kings"), une superbe adaptation d'une musique d'Edvard Grieg, une version swingante du célèbre "Little Drummer Boy", des reprises de Donny Hathaway, Dan Fogelberg, et même un duo avec sa fille Luiza. Comme à son habitude, Elling a écrit des paroles anglaises sur certains chants traditionnels. La bande-son idéale pour un réveillon, un repas de Noël, ou simplement une soirée d'hiver...


- Culturebox : Pourquoi un disque sur Noël ?
- Kurt Elling : J'ai des souvenirs profonds de Noël et j'avais une idée sur la manière d'aborder ce genre de thème, d'une façon qui serait très ouverte. Pour moi, dans cette fête, le mystère est la chose la plus importante. C'est ce qui devrait ceindre d'humilité toute foi personnelle. Les jeux auxquels nous nous prêtons, la façon dont nous racontons les histoires, ne peuvent qu'approcher le fantastique, au-delà de notre expérience, d'où nous venons, où nous allons... Ça devrait contribuer à rendre les gens égaux, humbles, sages, artistes... J'ai abordé ce disque dans un langage spécifique et symbolique sur Noël, la thématique du Nouveau-Né, le mystère du pouvoir d'un être humain à l'image de Dieu, et qui arrive si petit, qui a besoin d'être nourri, protégé, tout en possédant un ADN tellement fabuleux.

- On ressent de la foi dans votre discours...
- Je ne suis ni déiste, ni agnostique... Je crois qu'il existe quelque chose dans lequel nous prenons part, et qui existe aussi en chacun en nous. Je crois que nous faisons tous des choix qui entraînent des conséquences pour le meilleur ou pour le pire. Je crois que quelque chose nous dirige, et que dans le même temps, nous évoluons dans un chaos complet. Il y a à la fois un jeu et une vie de l'esprit. Ça parle de découverte et de risque. Il ne s'agit pas tant d'une foi en l'être que d'une foi en ce qui est possible en nous, pas en termes de succès ou d'accomplissement, mais en termes de surpassement de cette part que l'on possède et qui fait qu'on est tout aussi capable de s'entraider, de se soutenir, que de se faire du mal.

- Qu’est-ce que Noël représente pour vous ? Des images ? Des sons ?
- J’ai eu une enfance durant laquelle mes parents m’ont fait un beau cadeau, ils m’ont protégé, et Noël était le moment le plus spécial pour moi. Les lumières qui brillaient dans l’obscurité, les chansons, le fait de veiller tard, la neige, l’hiver… Noël est un moment d’anticipation, un moment pour recommencer. C'est une année qui s’achève, une autre qui va débuter, avec toutes les possibilités offertes. C’est toutes ces choses et plus encore, des souvenirs, des rêves... Et maintenant, je suis père à mon tour, je veux transmettre à mes enfants quelque chose de beau.

Kurt Elling (2012)
 (Anna Webber)

- Avez-vous redouté, avant de réaliser un disque de Noël, que les gens soient méfiants à l’idée de trouver un énième recueil de chansons ultra connues ?
- Non, je ne m’inquiétais pas de cela parce que je savais quel serait le type de musique qui allait surgir de ce projet. Et je savais que je ne choisirais pas la facilité ! [il rit puis enchaîne en murmurant] Pour des raisons que j’ignore, je n’arrive jamais à choisir cette option, je devrais y penser plus souvent ! Je ne sais pas faire autrement qu’être moi-même. J’aborde chaque disque de cette manière, j’essaye de faire de la musique qui aura une valeur et ne sera pas éphémère. Et si quelqu’un écoute cette musique et se dit "waouh", alors le disque aura trouvé sa justification, en tout cas je l’espère.

- Comment avez-vous choisi le répertoire ?
- Je ne voulais rien faire qui soit évident, à moins d’avoir une bonne raison. Mais il fallait quand même qu’il y ait certaines choses que les gens connaissent. Je pense que nous y avons veillé, tout en proposant quelque chose d’intéressant dans le style, qui suscite la réflexion et qui soit aussi agréable, efficace, à l’écoute. Mais c'est bien sûr aux auditeurs de le dire ! Il y a des choses que j’aurais voulu enrichir, améliorer, mais cela aurait nécessité plus de temps et d’argent. Finalement, je pense qu’il y a de bonnes performances, je crois en nos arrangements, je crois en les musiciens qui jouent cette musique, je pense que c’est un bon projet.


- Le disque s'ouvre sur un morceau composé par Leslie Bricusse pour le film "Scroodge". Votre arrangement débute par un medley donnant à entendre, durant quelques secondes, plusieurs standards de Noël enchaînés et superposés. Une bonne façon de caser les "incontournables" avant de lancer vraiment votre disque !
- Oui, ça vient comme un flot ! [il rit] Leslie Bricusse a un peu le même esprit dans la version originale de ce morceau. Chaque année, j'adore revoir ce film, je le trouve brillant. Je savais que les compositions qu'il renferme n'avaient pas été énormément reprises et qu'elles pouvaient swinguer, alors je me suis dit : "Démarrons à partir de là." J'aurais adoré que Bricusse puisse travailler avec moi sur le projet. J'ignore s'il a entendu mes versions de ses musiques.

- Un temps fort du disque est votre reprise, décalée et ludique, de "Little Drummer Boy". C'était aussi un temps fort sur la scène du New Morning, avec des phases d'improvisation et de l'humour...
- Oui, c'est amusant à jouer. C'est un bon moment pour tout le groupe. On doit s'offrir des moments de liberté. On ne peut pas rester tout le temps contraint par les arrangements, ni être tout le temps en train de penser, il faut se sentir libre.


- Vous avez aussi glissé une œuvre du compositeur norvégien Edvard Grieg, retitrée "Michigan Farm", et sur laquelle vous avez écrit un texte...
- La période romantique, les mélodies qui en sont l'émanation, Grieg en particulier, c'est quelque chose qui possède un grand pouvoir évocateur. Je suis heureux d'avoir pu faire un travail sur cette pièce. L'inspiration est venue sans problème pour écrire le texte. Je suis tout le temps en train d'écouter de la musique. Il y a des morceaux qui restent dans mon esprit... Et ces morceaux qui ont capté mon attention reviennent inexorablement et m'inspirent.

- Vous avez une invitée très spéciale qui chante avec vous sur le morceau final du disque, votre fille Luiza. L'avez-vous appelée ainsi en hommage à la chanson de Jobim que vous avez d'ailleurs reprise par le passé ?
- Absolument. C'est un génie ! Quant à ma fille, c'est la première fois qu'elle chante sur un de mes disques. Elle a 11 ans et pour l'instant, elle n'a qu'une seule ambition, mener la vie d'une gamine de son âge...


Pour les anglophones : la vidéo de présentation de "The Beautiful Day"
Kurt Elling : voix, percussions, arrangements, certains textes
John McLean : guitares, arrangements
Stuart Mindeman : piano, claviers, orgue Hammond, arrangements
Clark Sommers : contrebasse, arrangements
Kendrick Scott : batterie

Trump : Kurt Elling ne décolère pas

Kurt Elling est accablé par la victoire de Donald Trump à l'élection présidentielle américaine. Le 15 novembre dernier, lors de son concert éblouissant au New Morning, il n'a mâché ni ses mots, ni ses gestes pour exprimer sa stupéfaction face aux résultats du vote ainsi que son mépris de l'équipe qui allait prendre les rênes du pays. "L'Amérique est devenue folle", a-t-il lancé en français lors de l'un de ses apartés sur ce sujet épineux. Il n'a pas exclu de voyager plus souvent du côté de la France, "une zone non nazie", avec famille et bagages, évoquant au passage le souvenir du film "Casablanca" de 1942... Puis, laissant de côté son élégance de crooner durant deux secondes, il a lancé un doigt d'honneur éloquent à ceux qui allaient prendre les rênes de son pays...

Une colère, teintée d'ironie, toujours présente lors de notre interview : "Il faut en rire, en pleurer ou commencer à lancer des cocktails molotov ! Trois options ! Après cette élection, il va y avoir une catastrophe sur tous les fronts. Pour les gens, pour la planète, sur le plan politique... Ça va juste être un gâchis... Avant l'élection, j'étais confiant, le résultat s'annonçait évident pour moi... Mais la moitié de l'Amérique a perdu l'esprit. Il y a quelque chose en nous, humains, qui recherche l'auto-destruction et qui fait des choix dans ce sens, je ne sais pas pourquoi. C'est comme le ying et le yang, vous voulez créer, vous voulez détruire. Mais je n'ai pas l'intention de quitter mon pays. Je vais rester sur place pour défendre mes idées.
 

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