Cet article date de plus de six ans.

Interview "Music is my hope" du jazzman Raphaël Imbert, un "manifeste sur l'engagement"

Le saxophoniste, compositeur et arrangeur Raphaël Imbert dédie son nouvel album "Music is my hope" au blues, aux protest songs, au gospel, avec une figure du XXe siècle en fil conducteur, l'artiste engagé Paul Robeson. Il s'entoure de chanteurs (Marion Rampal, Aurore Imbert, Big Ron Hunter) au service d'un album addictif où la voix est reine. Rencontre avant un concert ce mercredi soir à Paris.
Article rédigé par Annie Yanbekian
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8 min
Le saxophoniste Raphaël Imbert
 (Muriel Despiau)

Né à Thiais, dans le Val-de-Marne, le 2 juin 1974, Raphaël Imbert, issu d'une famille provençale, partage sa vie entre Paris et le Sud de la France. Depuis son premier disque sorti en 2002, il mène une carrière de saxophoniste, compositeur, chef de différents orchestres gravitant au sein de sa compagnie Nine Spirit, mais aussi pédagogue et chercheur.

Sorti le 26 janvier chez Jazz Village, son nouvel album "Music is my hope" forme un diptyque avec son prédécesseur "Music is my home", lancé en 2015 (Culturebox en a diffusé la captation live à Sons d'Hiver). Pour ce nouveau disque, Raphaël Imbert fait surtout appel à des musiciens français, parmi lesquels des compagnons de route de longue date. On y retrouve aussi le chanteur de blues américain Big Ron Hunter, déjà présent sur l'album précédent. Autres voix de ce disque où l'on chante sur presque tous les morceaux, celles de Marion Rampal ainsi qu'Aurore Imbert pour sa toute première collaboration avec son frère Raphaël. Ce dernier a par ailleurs invité le guitariste Pierre Durand et le pianiste Pierre-François Blanchard qui a longtemps accompagné Pierre Barouh.

Un hommage à Paul Robeson

L'album célèbre l'engagement sous toutes ses formes. Il rend hommage à Paul Robeson (1898-1976), chanteur et acteur (la version bouleversante d'"Ol' Man River" dans le film "Showboat" de 1936, c'est lui) qui resta fidèle à ses convictions communistes envers et contre tous, ainsi qu'aux songwriters Pete Seeger et Joni Mitchell, dont Raphael Imbert a glissé des reprises au milieu de chants traditionnels, du gospel au provençal, et de compositions originales. Un passionnant voyage à découvrir sur scène à Paris ce mercredi 14 février à l'Alhambra, en clôture du festival Au fil des Voix.

- Culturebox : quand on lit le livret très documenté de "Music is my hope" ("la musique est mon espoir"), on en déduit que ce disque exprime une forme de réponse aux drames du monde qui nous ont frappés récemment. La musique, est-ce pour vous l’ultime espoir ?
- Raphaël Imbert : La musique m'a sauvé la vie plusieurs fois. Toutefois, elle n'est pas au centre de ma vie. Elle est au centre de ce que je produis. Dans certains moments difficiles, elle m'a servi de centre, d'espoir, elle m'a nourri. Elle m'avait sauvé quand j'avais 15, 16 ans, puis à la mort de mon grand-père. C'était un peintre très important [ndlr : Jean-Claude Imbert, disparu en 1993]. La photo du disque a été prise dans l'atelier qui renferme ses tableaux. Sa mort a été un cataclysme pour moi. La musique m'a permis de me rattacher à quelque chose. Mais en fait, si je fais de la musique, dès que je le peux, j'aime lire, aller au théâtre, au cinéma, m'inspirer de choses différentes. Avant de faire de la musique, j'étais passionné de zoologie. Je m'intéresse à la nature, aux animaux, à l'environnement. Je me verrais bien lancer un parti politique. La musique a parfois un rapport presque distant avec tout cela. Elle n'amène pas des solutions, mais c'est une réflexion. C'est le meilleur moyen de parler d'engagement sans s'engager. C'est un peu une anguille... On peut montrer ce qu'est l'engagement, et en même temps, les gens ne vont pas savoir où on se place. Et ça, j'adore ! J'aime le mystère que ça représente, les questions que ça suscite.

- Dans le livret, vous invoquez le blues, le negro spiritual, la soul, le protest song, la folk pour nous emmener là où "la musique réunit la protestation, la prière, l'activisme, l'amour, le sacré et le profane". Peut-on dire que ce disque est un manifeste ?
- Oui, complètement. J'aime bien cette idée et je fais souvent les choses dans cet esprit. C'est un manifeste sur l'engagement en général : politique, citoyen, engagement de l'artiste vis-à-vis de la société, engagement personnel. Je sors de deux années de changements radicaux dans ma vie et dans ma conscience d'artiste et de citoyen. Dans le même temps, on a vécu des choses terribles, des élections mouvementées, je le ressens d'autant plus en Provence où on connaît depuis longtemps le vote extrême, populiste. Toutes ces choses nous invitent à réfléchir sur nos habitudes d'engagement et sur les façons d'y répondre aujourd'hui. C'est à ce moment de crise, alors qu'il y avait eu les attentats et que j'avais moi-même enduré des bouleversements personnels, que je me suis aperçu qu'il y avait quelque chose qui en ressortait, des nouvelles compositions, des choses qui parlaient beaucoup de l'inspiration. Qu'est-ce qui doit m'inspirer maintenant ? Comment puis-je inspirer mon entourage ? Le sujet était là.

- Comment le projet du disque s'est-il concrétisé ?
- Ce qui est important, c'est qu'au même moment où je ressentais tout cela, je rendais hommage à Paul Robeson. On était en 2016. Le disque est parti de deux concerts donnés à la demande des Nuits de Fourvière et du Festival d'Aix-en-Provence pour le quarantième anniversaire de la disparition de cet artiste. Avec mon groupe, on a constaté qu'on était les seuls à travailler sur ce sujet. Paul Robeson était une figure. Il faisait la une des journaux dans les années 50, 60. Il a adhéré au Parti communiste américain. Il n'a jamais voulu renier son engagement même après qu'on lui a démontré l'existence des crimes les plus atroces commis par les soviétiques, chez lesquels il allait donner régulièrement des récitals. Il a reçu le prix Staline en 1952. Je ne peux qu'admirer l'artiste et l'engagé qui a chanté pour les Brigades internationales pendant la Guerre d'Espagne. Il a fait un travail remarquable. Et en même temps, l'artiste peut se compromettre, se perdre quand les convictions deviennent un credo. Ce qui m'intéressait, c'était d'avoir cette réflexion, à quarante ans de distance, alors que Marx est toujours là, tout comme la religion alors qu'on en avait prédit la fin.

- Du point de vue artistique, comment Paul Robeson vous a-t-il inspiré ?
- En 2016, je n'avais pas envie de faire de concert où je rejouerais tel quel le répertoire de Robeson. Ses récitals étaient particuliers, très solennels, sublimes à écouter, en format piano-voix. Son idée de génie, c'est qu'il est le premier artiste dans l'histoire de l'humanité à chanter tout le Monde, avec un grand M : dans les années 50, il reprend sur scène des chants populaires du monde entier, certains en yiddish, en espagnol, en russe, des negro spirituals, les folk songs des Noirs américains, du Bach, du Dvořák... L'unité sonore implacable, c'est sa voix.

- Comment avez-vous appréhendé l'unité sonore du répertoire, également très éclectique, de votre album ?
- C'est le son du saxophone qui fait l'unité, ainsi que les voix des chanteurs. Ce qui m'intéressait, c'était plutôt d'avoir un fil conducteur thématique et d'aller dans tous les sens, de réaliser presque le miroir inversé de ce qu'a fait Robeson. Le disque va partir dans des registres musicaux très différents, mais il y a une unité de son et de dynamique, une volubilité, qui sont liées, aussi, au free jazz. Le free jazz, pour moi, c'est du blues. Je viens du free jazz, j'ai commencé en écoutant Ornette Coleman et Albert Ayler. Dans les années 60, Paul Robeson était une figure indispensable pour les artistes de free jazz qui était aussi une musique de l'engagement. Pour le disque, j'ai voulu un engagement dans les solos instrumentaux, ce côté "on y va, on ne fait pas semblant". Notre pianiste [ndlr : Pierre-François Blanchard] ne vient pas du free jazz mais je l'ai poussé à faire des trucs qu'il n'a pas l'habitude de jouer, notamment sur "Here's a song". Il faut aller au-delà de son instrument et de ce qu'on sait faire. Et pour que ça marche, il faut se baser sur les règles simples du blues. Si on le fait, on peut aller très loin, c'est ce que nous montre le free jazz

- Vous entretenez une relation très forte avec le blues. Qu'est-ce qu'il représente pour vous ?
- Le blues, c'est l'outil. Sur le disque précédent, "Music is my home", j'avais utilisé une formule que j'aimais bien : le blues est l'outil, le jazz est la règle et le swing, c'est le résultat. Le blues, ça sert pour parler, composer, raconter une histoire, c'est un outil de répétition, de variation. C'est très simple et ça peut marcher partout. Il me permet d'élaborer toutes mes idées en musique, et dans la vie aussi. C'est pour ça que ça a été inventé : c'est la seule musique au monde créée par le musicien pour lui-même. D'abord, il se raconte quelque chose à soi, puis éventuellement aux autres, dans un contexte où la pratique de la langue, aux États-Unis, au XIXe siècle, était très disparate. Le blues, c'est une invention populaire merveilleuse pour s'expliquer et raconter. Et c'est génial pour faire des disques dans tous les contextes...

Raphaël Imbert en concert à Paris
Mercredi 14 février 2018 à l'Alhambra, à partir de 20h30 (une soirée, 2 concerts, plateau partagé avec la chanteuse Inga Liljeström)
Raphaël Imbert : saxophones, clarinette basse, wurlitzer, voix
Manu Barthélémy : chant
Pierre-François Blanchard : claviers
Jean-Luc Di Fraya : batterie
Pierre Durand : guitares
Big Ron Hunter : chant, guitare
Aurore Imbert : chant
Marion Rampal : chant
Thomas Weirich : guitares

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.