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Interview Le voyage poétique et méditatif d'Olivier Bogé, entre jazz et folk

Olivier Bogé, artiste multi-instrumentiste, a sorti durant l'automne son quatrième album studio, "When ghosts were young", lyrique, inclassable, effaçant les frontières entre les genres musicaux. Un album où la mélodie prédomine dans un climat onirique et introspectif au service de l'expression des émotions. L'artiste se produit en quintet ce mardi soir et mercredi à Paris. Rencontre.
Article rédigé par Annie Yanbekian
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7 min
Olivier Bogé
 (Marielle Huneau)

"When ghosts were young" (Quand les fantômes étaient jeunes), sorti en novembre 2017 sur le label participatif Jazz&People, est le quatrième album studio d'Olivier Bogé depuis ses débuts discographiques en leader en 2012. Le musicien, né à Toulon le 29 juin 1981, présente ce disque comme une "ode à l'innocence de l'enfance". Le musicien embarque l'auditeur dans un voyage méditatif, navigant en toute liberté entre jazz, folk, pop et rock symphonique.

Il s'est entouré des musiciens Pierre Perchaud (guitare électrique), Tony Paeleman (piano), Nicolas Moreaux (basse), Karl Jannuska (batterie), qui ont tous déjà joué sur au moins un de ses albums précédents, et d'une nouvelle invitée, la chanteuse suédoise Isabel Sörling, qui prête discrètement sa voix à l'un des morceaux. De son côté, Olivier Bogé se partage entre le saxophone, la guitare acoustique, les claviers et le chant. À la tête de son quintet, Olivier Bogé se produit ce mardi 30 janvier et mercredi 31 à Paris, au Sunside.


Culturebox : Lors de notre première interview pour la sortie de votre deuxième album "The world begins today", vous expliquiez que l'écriture en avait été marquée par un événement personnel - à l'époque, la rupture avec votre compagne. Est-ce aussi le cas de ceux qui ont suivi, et donc du dernier, "When Ghosts were young" ?
- Olivier Bogé : Je ne parle plus trop de cet aspect car il revenait trop souvent en avant dès qu'il était question de ce disque. Ces dernières années, la vie ne m'a pas fait beaucoup de cadeaux. Après des événements difficiles, il y a eu une perte d'innocence, d'émerveillement, je me sentais vieilli, lesté d'un poids... "When ghosts were young" traduit plus un sentiment général. Pour cet album, j'ai voulu écrire quelque chose pour moi, et qui me rapproche de mes émerveillements. Je ne voulais pas d'un disque qui aurait été écrit pour quelqu'un... C'est moins un disque pour panser des blessures que pour retrouver la lumière.

Et pour retrouver une certaine insouciance, une fraîcheur, d'où le texte de présentation de l'album qui évoque une "ode à l'innocence de l'enfance" ?
- Complètement. Tout en sachant que quelque part, c'est une utopie. L'innocence, on l'a perdue. Mais malgré tout, il y a quelque chose à conserver. Plus on accumule les cataclysmes, les échecs dans notre vie, moins on ose tenter des choses. On se dit : "À quoi bon ?" On perd cette insouciance qui est celle de l'enfance, mais aussi de l'adolescence, un moment où on est complètement inconscient, où on tente plein de choses. J'ai eu besoin de retrouver cette inconscience-là, qui est encore plus forte que l'insouciance. Se jeter à corps perdu dans quelque chose en y croyant comme si c'était le premier jour, avec le même enthousiasme, les mêmes illusions, comme si nos chaos n'avaient pas d'importance. Ce disque, c'est ça. Pour moi, l'inspiration, ce n'est pas quelque chose qui vient d'en haut, tout d'un coup, même si on peut l'imaginer, bien sûr. Pour les vrais artistes, ce n'est pas l'inspiration qui prédomine mais la capacité à tomber de manière infinie et à se relever comme si rien ne s'était passé. C'est la même chose pour la vie.

L'inspiration en musique, vous la puisez donc en vous, quand vous vous reconnectez avec vous-même ?
- Dans le domaine de la musique, ça a toujours été ça. Je suis bardé de peurs mais il y a quelque chose qui se passe avec la musique. C'est un processus très long, très laborieux. Il m'a fallu deux ans pour faire ce disque, dont presque une année et demie d'écriture. J'écris énormément et je jette la plupart des choses. C'est comme un parfum. Pour réussir à atteindre le nectar, cette petite chose qui peut paraître naturelle, très simple, il me faut passer par des échecs innombrables. Mais, à certains moments, après des semaines d'échecs, parfois des mois, il se crée quelque chose qui vaut les plus grands bonheurs du monde. Ces quelques secondes de musique après tant d'efforts, c'est la chose la plus belle qui puisse arriver.
- La musique, ça sert à transcender les cataclysmes et à traduire les émotions, qu'elles soient positives ou négatives ?
- Complètement, comme tous les arts. Je suis très sensible et quand je regarde un film, quand je lis un livre, je n'ai pas envie que la lumière qui s'en dégage soit négative et m'attire vers le bas. On est tous conscients de vivre dans un monde assez dur. J'ai besoin qu'une œuvre, quelle qu'elle soit, m'apporte de l'espoir, m'aide à être plus émerveillé. Ces jours-ci, on a tendance à considérer la culture comme une chose superflue alors qu'elle est vitale. J'ai besoin de ce rapport à l'œuvre, qui n'épargne rien, ni les ombres ni les lumières qu'elle recèle, et où malgré tout, il va en ressortir quelque chose qui nous aide à vivre.

- Avez-vous des souvenirs précis de la manière dont l'inspiration vous vient au moment où vous composez ?
- Les sources d'inspiration sont innombrables. La musique n'en fait quasiment jamais partie, même si quand j'en écoute, certaines choses me bouleversent au-delà de l'imaginable. La composition, c'est une transcription d'une émotion que j'ai ressentie à un moment. Cette émotion, ça peut être une balade dans un lieu perdu, sur une route, une lumière qui traverse d'un coup et qui m'émeut au-delà du possible. Ça peut être un moment dans un film. Certains morceaux sont juste partis de la sensation, de l'émotion que j'ai éprouvée à la fin d'un film. Ça peut être une simple phrase dans un livre. Je suis très sensible à ce qu'écrit le poète Christian Bobin qui a sauvé ma vie tant de fois ! Pour moi, c'est le poète de l'innocence. C'est quelqu'un qui a traversé des épreuves terribles et qui a conservé ce regard émerveillé sur des choses infimes. Ce disque est presque une ode à Christian Bobin.

- Quand on écoute votre dernier album, on se sent transporté dans un voyage, on vous suit dans votre cheminement. J'imagine que l'aspect narratif du disque et l'agencement des morceaux ont été pensés en profondeur...
- C'est presque le travail le plus important. L'album est conçu du début à la fin, comme une histoire. Quand j'écris de la musique, au début, j'écris deux ou trois morceaux comme ils viennent, et ensuite, je vois ce qui manque. Il faut un scénario. J'ai travaillé trois mois sur l'ordre des morceaux. Je considère un disque comme un recueil de poèmes, un livre, un film. On vit à une époque où on peut juste acheter un morceau qui nous plaît et que l'on retire du disque. De même, pour la promotion, on va ressortir un morceau avant même que l'album soit disponible. Je trouve ça dramatique, très difficile à vivre.
Olivier Bogé
 (Marielle Huneau)
- On sait que vous êtes aussi chanteur. Sur le disque, on entend du chant, mais il n'y a pas de paroles. Était-ce un choix artistique fixé dès le départ ?
- En fait, j'étais parti pour écrire un disque de folk. J'ai enregistré des paroles sur plusieurs morceaux, mais ça détruisait complètement la magie de la musique. Il y a quelque chose qui devenait figé... Alors j'ai enlevé toutes les paroles. Dès lors, ça laissait beaucoup plus de place à l'imaginaire, au rêve. Quand on fait un disque, on ne sait pas où on va et c'est la musique qui décide, pas vous.

- Dans une société soumise à la dictature des étiquettes, il est de plus en plus difficile de vous classer dans un genre musical, mais aussi dans un instrument ! Comment le vivez-vous en tant qu'artiste ?
- Je le paye au prix fort, malgré la couverture de presse hallucinante que j'ai reçue. Une fois de plus, c'est la musique qui doit vous guider, pas le genre ou l'instrument. Il existe une différence majeure entre la France et les États-Unis. Aux États-Unis, on écoute ce que vous faites, et si c'est bien, c'est bien. En France, quand on est instrumentiste, on fait un instrument, un point c'est tout, et c'est pareil pour la musique. Si on ne sait pas où classer quelqu'un, eh bien, on le déclasse ! C'est très dur, mais je ne regrette rien. C'est la musique qui doit primer.

Olivier Bogé en concert à Paris
Mardi 30, mercredi 31 janvier 2018 au Sunside
60, rue des Lombards Paris 1er

Olivier Bogé : saxophone alto, piano, guitare
Pierre Perchaud : guitare
Tony Paeleman : piano
Nicolas Moreaux : contrebasse
Karl Jannuska : batterie

> L'agenda-concert d'Olivier Bogé

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