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Electrorama : un beau livre retrace 30 ans d'électro made in France

Daft Punk, Laurent Garnier, les raves, la french touch, le clubbing, les labels : vous saurez tout sur la musique électronique française des trente dernières années après avoir refermé ce livre. En guise d'aperçu de cette somme, nous vous livrons 7 infos et anecdotes glanées au fil de notre lecture. 

Article rédigé par Laure Narlian
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7 min
Le livre "Electrorama, 30 ans de musique électronique française" réalisé par l'équipe du mensuel musical Tsugi Magazine. (EDITIONS MARABOUT)

Il s'appelle Electrorama, pèse son poids en infos (2 kg à vue de nez) et vient combler un manque : il n’y avait pas jusqu'alors de beau livre documentant la musique électronique française des trente dernières années. Une période qui, du début des années 90 à aujourd’hui, englobe à la fois l’éclosion des raves, la lutte difficile des musiques électroniques pour s’imposer, puis l’explosion de la fameuse french touch qui a mis pour la première fois la France au centre du jeu musical international, et ses nombreux enfants dits de la french touch 2.0.

Pour raconter cette histoire, l’équipe du magazine Tsugi, le mensuel de toutes les nouvelles tendances musicales, dresse le portrait des principaux protagonistes du mouvement, mais aussi des lieux, des festivals et des labels qui ont compté (et comptent encore). Avec un graphisme soigné agrémenté de belles photos, il rend compte, sur 250 pages et au fil de nombreux entretiens, de l’effervescence d’un courant musical. Voici sept infos et anecdotes glanées au fil de l’ouvrage parmi des dizaines d’autres.

1A quoi ressemblaient les premiers DJ ?

Ah les DJ, ces demi dieux glamour surplombant les danseurs, à l’abri dans leurs cabines... Et bien il n’en a pas toujours été ainsi. Dans Electrorama, qui s’ouvre sur ce clin d’œil au passé, on découvre un portrait d’un des pionniers du deejaying, Lucien Leibovitz, ancien zazou parisien passionné de jazz et de musique noire et fourreur de profession. Il officiait entre 1956 et 1962 au Whisky à Gogo de Cannes, "l’un des premiers nights-clubs en France à utiliser le disque en remplacement d’un orchestre". Le DJ n’existait pas encore et celui qui avait pour fonction de passer des disques avait alors le statut d’"opérateur". "La consigne ? Il fallait toujours qu’il y ait du monde sur la piste et ne jamais interrompre la musique", raconte son fils. Il travaillait, c’était alors nouveau, à l’aide de deux platines équipées d’un inverseur (un cross fader). Et il opérait vêtu... d'une blouse blanche !

Agoria, au détour de l'ouvrage "Electrorama, 30 ans de musique électronique française". (EDTIONS MARABOUT)

2 Les Français étaient-ils à l'ouest avant la french touch ?

Alors qu’elle est aujourd’hui partout, jusque dans la variété, la musique électronique a longtemps été méprisée. En France, où les autorités l’ont traitée sur le mode répressif, et ce même après l’avènement de la french touch puis de la techno parade, créée par Jack Lang en 1998. A l’étranger, ce n’était pas la musique électronique mais la musique française dans son ensemble qui était méprisée, en particulier chez les anglo-saxons. Pour eux, il était impensable que de la musique innovante puisse émerger au pays de Johnny et de Claude François. Dans la préface, Laurent Garnier, dont le talent de DJ avait éclaté outre-Manche au club l’Hacienda de Manchester, rappelle cette anecdote édifiante : un jour, invité des fameuses Peel Sessions à la radio (sur la BBC), il avait annoncé vouloir faire un mix 100% français. L’hôte de l’émission, John Peel, légende pourtant connue pour sa grande ouverture musicale, lui avait alors lancé, horrifié : "Tu ne vas quand même me jouer du Johnny Hallyday ?".

3Quel était l’esprit des raves ?

Au début des années 90, les raves qui se tenaient dans des bâtiments industriels étaient "the place to be" pour les amateurs de techno. L’ambiance y était euphorique et débridée. Mais l’esprit, c’est Philippe Zdar (paix à son âme), moitié de Cassius et producteur de Mc Solaar, Phoenix, Cat Power et les Beastie Boys, qui le résume le mieux dans le livre. Sans être nostalgique il dit : "Je n’aime pas les réactionnaires, mais ce que j’ai adoré dans les raves, c’est tout ce qui n’existe plus maintenant dans les soirées : l’absence de téléphones, les gens qui font attention, les DJ’s qui ne voulaient pas être des stars."

Une double page de l'ouvrage "Electrorama, 30 ans de musique électronique française". (EDITIONS MARABOUT)

4Mais en fait, c’était quoi la french touch ?

Dans Electrorama, David Blot, organisateur à la fin des années 90 à Paris des fameuses soirées Respect au Queen, dont la volonté était alors "de faire entrer l’esprit des raves dans le confort des clubs", livre son vécu et sa vision de la french touch. Le nom Respect, signifiait avant tout, rappelle-t-il, "Respect à la scène française". "Notre volonté était de faire jouer cette génération qu’on n’appelait pas encore la french touch et qui à l’époque n’était pas programmée dans les clubs parisiens. Nous voulions leur faire partager les platines avec les DJ house internationaux qui nous fascinaient, comme David Mancuso ou Kerri Chandler." En réalité, "la french touch, c’était une bande de mecs, musiciens, journalistes, organisateurs de soirées, qui passaient leur vie ensemble. On allait acheter des disques l’après-midi chez Rough Trade ou BPM, on traînait à Nova ou FG et on se retrouvait aux mêmes soirées." Et il ajoute, "La musique qu’on rangeait sous l’étiquette french touch était très hétérogène. Dans le fond, la seule chose qui pouvait rapprocher Air, Daft Punk ou Phoenix, c’était un rapport commun à l’enfance."

5Que reproche-t-on à Daft Punk ?

Phares de la scène électronique française et internationale, les casques de Daft Punk planent sur tout le livre : ils sont évoqués, de façon parfois anecdotique, à presque toutes les pages. On peut ainsi suivre l'ascension en filigrane de Thomas et Guy-Man, depuis tout jeunes et timides aux premières heures de radio FG jusqu’à leur accession au trône, dans les propos des uns et des autres (dont leur ancien manager Pedro Winter ainsi que Maya Masseboeuf qui les a fait signer chez Virgin), quand ce n’est pas eux qui s’expriment lors d’une interview croisée avec Justice. Référence incontournable, le duo n'est pas exempt de critiques. Mais seul Didier Lestrade, ex-grande plume de Libération, ose dire tout haut ce que d'autres pensent tout bas. "Je suis heureux de leur succès et j’aime leur musique", dit-il. "C’est leur côté take the money and run qui me dérange. Dessiner des tables pour Habitat, écrire des musiques de films pour Disney et ne jamais redistribuer cet argent à la scène qui les a créés. (…) Beaucoup de gens ont fait autrement : regardez New Order, ils ont utilisé leurs royautés pour créer l’Hacienda. (…) Pour moi, la responsabilité des leaders est d’aider les plus faibles. La french touch a décidé un jour que le business devait se faire avec des avocats. Cela a été le début de la fin."

Un extrait du livre "Electrorama, 30 ans de musique électronique française". (EDITIONS MARABOUT)

6Night Clubbing au "Pulp" et au "Paris Paris", avec ou sans people ?

Au début des années 2000, deux clubs parisiens, deux mouchoirs de poche, se retrouvent à l’épicentre de la fête : le Pulp et le Paris Paris. Michèle "Mimi" Cassaro, fondatrice du Pulp, le club de filles légendaire des Grands boulevards, nous apprend qu’elle avait un principe fort qui lui a évité la "peopolisation" du lieu. "J’ai un refus total du coin VIP et du tapis rouge. Madonna a été annoncée une fois ou deux mais elle n’est jamais arrivée (rires). (…). Il n’y avait pas de "carré" pour les célébrités et je crois que c’est un service à leur rendre. Si tu viens chez nous, c’est justement pour vivre autre chose." Autre chose, comme les bagarres de filles qui éclataient parfois. "Quand il y en avait, c’était tellement sport !", se marre-t-elle. Quelques années plus tard, le Paris Paris, situé en bas de l’avenue de l’Opera, rendez-vous des acteurs de la french Touch 2.0 (Ed Banger, Justice), ne dissuadait pas les people. Mais il les recevait d’une façon particulière, comme le raconte Marco Dos Santos, son directeur artistique. Les personnalités comme Jacques Audiard, Terry Richardson ou Azzedine Alaïa qui s’y rendaient "adoraient la cuisine qui faisait 5 m2, ils étaient sûrs d’être tranquilles. C’était rare qu’on les voie dans la salle. On a eu Kanye West aussi, il ne voulait pas payer sa bouteille ! (rires)." (…) "Les Dj tournaient pas mal sur Paris et on me téléphonait en me disant : Il y a machin qui est à Paris, il aimerait venir jouer mais il ne faut pas l’annoncer. (...) David Guetta est venu jouer, mais je n’avais prévenu personne, donc la salle était à moitié remplie, mais en furie. Je trouve ça un peu fou. (rires).

Une double page du livre "Electrorama, 30 ans de musique électronique française" réalisé par l'équipe du mensuel musical Tsugi. (EDITIONS MARABOUT)

7Que peut bien encore désirer Laurent Garnier après 30 ans de carrière ?

Ah les DJ (bis) ! Leur vie exaltante, faite de rencontres et de voyages aux quatre coins du monde. Au risque de vous décevoir, la vie de DJ n’a pas que des avantages. Comme le raconte Agoria, "la fatigue fait partie du rythme de vie d'un DJ. En moyenne, on doit dormir trois ou quatre heures par nuit." Mais il y a pire. Laurent Garnier répond ainsi à la question "Que désires-tu encore après 30 ans de carrière ?": "Ne plus me retrouver seul. Plus personne ne m’accompagne en voyage d’un club à un autre, car je ne suis pas un compagnon agréable. Je reste très angoissé avant chaque set (…) La plus grande partie de la vie de DJ consiste à voyager. J’ai calculé qu’en moyenne, chaque set représente six heures de trajet. C’est long. Je ne me plains pas, j’adore mon métier, mais qui d’autre voyage six heures pour aller bosser ? Aujourd’hui, je ne veux plus de solitude.

Electrorama, trente ans de musique électronique française (Marabout, 250 pages, 39€)

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