"Brigitte Fontaine, réveiller les vivants" : un documentaire à voir sur France.tv revient sur le parcours de la rebelle aux multiples talents

Ce beau portrait documentaire explore la complexité et les différentes facettes de la chanteuse, écrivaine, comédienne et poétesse Brigitte Fontaine. L'occasion de découvrir ou redécouvrir cette artiste insoumise dont les années n'ont en rien entamé l'anticonformisme et l'auto-dérision.
Article rédigé par Laure Narlian
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 3 min
Brigitte Fontaine sur scène au Barbican Hall à Londres (Grande-Bretagne), le 21 octobre 2016. (BERTRAND LANGLOIS / AFP)

Avec ses airs d’extra-terrestre et la morsure de ses textes bizarroïdes, elle a toujours fait un peu peur, Brigitte Fontaine. Elle assume. "J’avais très peur, et donc je faisais très peur, parce que j’y allais, je fonçais", confirme-t-elle dans ce documentaire qui fait la part belle à la parole cash de cette empêcheuse de tourner en rond. Fragile, angoissée, assurément, et même tendre sous sa carapace de provocation et d'auto-dérision. Mais folle, comme on l’a souvent qualifiée ? Certainement pas. Enragée, oui. "Je suis révoltée depuis toujours. Contre tout. Contre la façon dont tourne le monde. Surtout contre le contentement de la médiocrité", analyse-t-elle aujourd’hui, à 84 ans, dans une longue interview qui sert de fil rouge à ce film à voir sur France.tv jusqu'en octobre 2024.

Lors de son premier jour d’école, à l’âge de 5 ans, elle se met à chanter. Aussitôt interdite de gazouiller, Brigitte Fontaine le prend comme une gifle. Elle comprend très jeune que "les adultes se conforment à des règles". Et que les règles, et se conformer à quoi que ce soit, elle n’aime pas ça.

Une amoureuse des mots

Chanteuse, comédienne, écrivaine et poétesse, cette insoumise est surtout une amoureuse des mots, qui ne connaît pas la page blanche - "Je crois à l’inspiration. Je ne crois qu’à ça". Les mots, "je les goûte et puis je les mange. (...) Même s’ils ne vont pas ensemble, ça fait une combinaison magique", résume-t-elle. "Ecrire c’est mon plus grand péché", confie-t-elle aussi. "Quand j’écris, je me sens libre". Pour autant, ne venez pas lui "jeter à la figure" qu’elle est "libre". "C’est pas vrai. Je suis entravée, comme tout le monde". Une honnêteté cinglante, à toute épreuve et en toutes circonstances.

Venue de sa Bretagne natale (Morlaix, "merveilleux", puis Brest, "affreux"), elle commence par jouer la comédie en arrivant à Paris. Comme ses parents, membres d'une troupe de théâtre amateur. Mais la mise en musique de ses textes lunaires et radicaux prend rapidement le dessus dans les baltringues de la capitale. "Je voulais que me chansons soient un petit évènement. Une espèce de jeu avec les gens."

Sa rencontre avec Jacques Higelin, son "frère de cœur", ses performances habitées, notamment avec l'Art Ensemble of Chicago, sont racontées et montrées avec de vibrantes vidéos d’époque en noir et blanc. Le documentaire se penche aussi sur le duo singulier qu’elle forme dès le début des années 70 avec Areski Belkacem "mon amoureux et mon partenaire favori". Ensemble, avec ce percussionniste et "grand mélodiste", ils sillonnent le monde et donnent des concerts improvisés avec des percussions de fortune et autres instruments jouets. Mais une fois encore, gare aux clichés : "On n’est pas en couple, on est tous les deux !", insiste cette pourfendeuse du patriarcat. "Egérie ? Mon cul ! Je  ne suis pas une inspiratrice, je suis une créatrice", préfère-t-elle.

Drôle mais hantée par la mort

"Révélatrice de la création", "plume exceptionnelle", "surprise perpétuelle" : Arthur H, Etienne Daho, Rebeka Warrior, Matthieu Chedid et PR2B témoignent dans le film de leur admiration pour cette figure à la marge, souvent incomprise et injustement méconnue hors ses tubes des années 80 et 90 comme Le Nougat.

Si sa facette la plus joyeuse et sa drôlerie sans filtre triomphent un temps dans les hits parades et sur les plateaux de télévision, la mort, l’incarnation et la difficile condition humaine, hantent toute son œuvre, souligne le documentaire. Dans la pièce Maman j’ai peur, co-écrite avec Higelin et Rufus, et dont on voit des extraits, elle découvre son corps, interloquée, comme une âme qui vient de s’incarner. Dans Genre Humain, elle chante : "Je me suis trouvée là dans ce corps inconnu. Pour dieu sait quel gala, je ne l’ai jamais su. Soudain parachutée dans ce monde étranger, ange au supermarché, il m’a fallu danser la java des terriens sans en connaître rien"

Parce qu’elle a signé le fameux "manifeste des 343 salopes" en faveur de la légalisation de l’avortement en 1971, et a dit ouvertement avoir subi plusieurs avortements clandestins (dans des conditions déplorables qui ont failli lui coûter la vie), on la dit féministe. "Je ne suis pas et n’ai jamais été féministe. Parce que j’ai horreur des noms en "iste", je ne suis rien en "iste", sauf peut-être, si je peux me permettre, artiste. Mais je suis solidaire avec toutes les meufs, les gonzesses", précise-t-elle. A tout le moins, "je voulais faire en sorte que l’on sache que les femmes sont des créatrices et l’ont toujours été."

"Brigitte Fontaine, réveiller les vivants", documentaire réalisé par Benoît Mouchart, Yann Orhan et Aurélien Guégan (52 min, 2023) à voir sur france.tv jusqu'au 6 octobre 2024.

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