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Beyoncé est-elle une féministe en carton ?

Avec la sortie de son nouvel album, la chanteuse est de nouveau l'objet d'une polémique aux Etats-Unis concernant son rapport ambigu au féminisme.

Article rédigé par Ariane Nicolas
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 5 min
La chanteuse américaine Beyoncé se produit sur scène à Sydney (Australie), le 4 octobre 2013. (KRISTIAN DOWLING / AP / SIPA)

L'est-elle un peu, beaucoup, passionnément ou... pas du tout ? Avec la sortie surprise de son dernier album, intitulé Beyoncé, la chanteuse américaine est de nouveau l'objet d'une polémique aux Etats-Unis. Le grief ? Son rapport ambigu au féminisme. D'un côté, en effet, "Queen Bey" prône une forme de girl power où les femmes s'assument et s'émancipent  notamment financièrement. De l'autre, elle gambade sur scène et dans ses clips à moitié nue, n'hésitant pas à se mettre en scène comme un objet sexuel. Beyoncé est-elle une féministe en carton ? Francetv info tente de démêler les nœuds du débat.

Une image hyper-sexualisée du corps féminin

Si je vous dis "Beyoncé", à quoi pensez-vous ? Sans doute à ses chansons qui donnent la pêche, mais aussi à sa chevelure flamboyante, à ses chorégraphies en petite tenue et sa manucure impeccable. Sur scène comme dans ses clips (ou sur son fil Instagram), Beyoncé s'affiche sans complexes, arborant souvent un mini-short ou un décolleté plongeant. Elle sexualise l'image de son propre corps, en rampant par exemple dans Crazy In Love, ou bien celui des femmes en général, comme avec cette armée de chromosomes XX en porte-jarretelles de la chanson Run The World (Girls).

Le hic, pour certaines, c'est qu'elle explique dans le même temps qu'elle "dépend d'elle-même" et que "les filles dirigent le monde". Dans Flawless, extrait de son dernier album, la chanteuse va jusqu'à citer la féministe nigériane Chimamanda Ngozi Adichie et son discours "Nous devrions toutes être féministes". Interrogée par le site AtlanticoElodie Mielczareck, qui anime un blog sur la sémiologie, dénonce cette démarche : "Il est contradictoire que les artistes comme Beyoncé se revendiquent d'un quelconque féminisme, puisqu'elles n'existent qu'à travers un corps calibré et construit pour répondre à des fantasmes masculins." Et d'ajouter : "Le système publicitaire et idéologique est arrivé à convaincre les femmes qu'elles se sentiraient mieux, plus belles pour elles-mêmes, en utilisant tels ou tels type de produits. En réalité, elles n'existent qu'à travers le regard de l'autre, et non le leur." 

Beyoncé sur scène à Phoenix (Arizona), le 7 décembre 2013. (ROBIN HARPER / AP / SIPA)

Le débat sur cette question est loin d'être tranché au sein des militantes. Alors que Simone de Beauvoir voyait dans les attributs contraignants de la séduction (talons aiguilles, corset, faux ongles...) une preuve de la domination masculine dont parlera Pierre Bourdieu quelques années plus tard, nombre de femmes se jouent aujourd'hui de ces codes. "L’un des objectifs du féminisme est de se réapproprier son corps et sa sexualité, de l’explorer ou de la réinventer, de pouvoir affirmer une sexualité agressive, puissante, sans passer pour des salopes", estime quant à elle Marie-Hélène Bourcier, qui enseigne les "gender studies" à l'Université de Lille 3, sur le site Atlantico. "Et il n’y a pas que les visuels, ajoute-t-elle. Il suffit d’écouter les paroles des tubes de Beyoncé pour comprendre qu’on est loin de la femme passive et lascive, qui plus est dans l’environnement macho du rap ou du R'n'B." 

Un attachement indéfectible au couple

L'ambiguïté de Beyoncé dépasse les simples apparences. Mariée au chanteur et producteur Jay-Z, "Queen Bey" entretient un double discours sur le mode de vie qu'elle défend. Penchons-nous sur deux chansons : Independent Women et Single Ladies. Deux problématiques similaires : qu'est-ce qu'être une femme à part entière ? Dans la première chanson, Beyoncé clame : "J'achète mes propres diamants et mes propres bagues." Dans la seconde : "Si tu l'aimais, tu aurais dû lui passer la bague au doigt." Pourquoi, soudain, la source du bonheur a-t-elle changé de camp ?

Début 2013, la chanteuse a suscité de vives réactions en annonçant le nom de sa tournée mondiale : "The Mrs Carter Show Tour", clin d'œil au véritable nom de son artiste de mari, Shawn Carter. Qu'une prétendue féministe associe nécessairement son nom à celui de son partenaire, est-ce bien raisonnable ? "Beyoncé Knowles et Shawn Carter se sont épousés en 2008, après des années de vie commune, rappelle Slate.fr, dans un article qui défend la chanteuse. Quelques temps plus tard, Perez Hilton révélait que tous deux avaient pris le nom de l’autre en devenant chacun, à l’état civil, 'Knowles-Carter'. Beyoncé n’est pas 'une femme de', elle n’a pas connu le succès grâce à son mari, et d’ailleurs il reste son premier supporter."

Son dernier album creuse ce sillon de femme ni revancharde ni soumise, mais simplement épanouie. Le magazine Time y décèle, dans cet article fouillé (en anglais), la quintessence du "féminisme moderne" dont se revendique Beyoncé. Plusieurs titres (Blow, Partition, Flawless) parlent ouvertement de sexe (Blow évoque un cunnilingus, chose rare dans la musique pop), et pas n'importe comment : une relation qui engage chaque partenaire avec la même intensité. Si couple il doit y avoir, alors il ne peut se concevoir que dans la complicité et le respect mutuel, donnant-donnant. Une conception que Beyoncé résume joliment dans ce triptyque sentimental – "intimité, honnêteté, engagement" – au début du clip de If I Were A Boy, une chanson qui brocarde l'immaturité de certains hommes.

Une carrière irréprochable

Depuis qu'elle a accouché d'une petite fille, il y a bientôt deux ans, Beyoncé voit le monde quelque peu différemment. "J'ai vraiment pris conscience de mon corps à ce moment-là", a-t-elle raconté à Vogue, dans une interview reprise par le magazine Rolling Stone (en anglais). "Je me sens beaucoup plus confiante. Que je sois plus grosse ou plus mince qu'avant, on s'en fiche. Je me sens plus femme. Plus féminine, plus sensuelle. Et je n'en ai pas honte." 

Plus que jamais, Beyoncé représente LA femme accomplie, à qui tout semble réussir. Elle et Jay-Z forment le couple qui a gagné le plus d'argent l'an passé. La sortie de son dernier album a déclenché l'envoi de plus d'un million de tweets en quelques heures. Le site féminin Jezebel s'amuse d'une carrière si exemplaire, et au fond si enviable : "Beyoncé est magnifique, elle a un succès dément, c'est une femme de couleur au sommet de sa carrière qui a un mari diablement riche et un bébé trop chou. Oui, c'est injuste. Mais on ferait mieux de respecter sa façon d'être et de laisser de côté la question de son supposé féminisme."

Si Beyoncé tente d'être un modèle pour les jeunes filles du monde entier, quelle image leur fait-elle passer ? Celui d'une femme-objet, ou d'une femme en pleine possession de ses moyens, une personnalité si forte qu'elle a presque éclipsé Barack Obama lors de sa cérémonie d'investiture, l'an passé ? "J'ai une chance inouïe d'être là où je suis, développe la chanteuse dans son interview au magazine GQ (en anglais). Mais j'ai sacrifié tant de choses, j'ai tellement travaillé dans mon enfance. Je me disais qu'à 30 ans, il faudrait que je fasse exactement ce qui me plait." Maintenant, c'est le cas. Pourquoi devrait-on lui demander de se cacher ?

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