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"Sur les routes de Samarcande, merveilles de soie et d'or" à l'Institut du monde arabe : à la découverte d'inestimables trésors textiles

L’Institut du monde arabe et la Fondation pour le développement de l’art et de la culture de la République d’Ouzbékistan présentent une exposition sur le patrimoine et les savoir-faire ancestraux d’Ouzbékistan de la fin du XIXe au début du XXe siècle. Epoustouflant !
Article rédigé par Corinne Jeammet
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8 min
Exposition "Sur les routes de Samarcande, merveilles de soie et d'or" à l'Institut du Monde Arabe : une sélection d'ikats colorés flotte dans les airs (CORINNE JEAMMET)

Indépendante depuis la chute de l'URSS en 1991, l’Ouzbékistan est l’héritier de cultures et de traditions ancestrales. L'exposition "Sur les routes de Samarcande, merveilles de soie et d'or" à l'Institut du monde arabe, à Paris, rassemble 300 œuvres présentées pour la première fois en dehors des musées nationaux : manteaux brodés d’or de la cour de l’émir, harnachements de chevaux en argent sertis de turquoises, tapis, ikats de soie, bijoux et costumes de la culture nomade ainsi que des peintures d’avant-garde orientalistes.

Cette exposition est "le fruit de ma rencontre avec l’Ouzbékistan, dont les noms des villes mythiques et légendaires – Samarcande, Boukhara, Khiva – ont nourri, depuis des siècles, bien des imaginaires", explique la commissaire générale, Yaffa Assouline, qui souligne que pour ces œuvres "jamais exposées en dehors des musées d’Ouzbékistan, le visiteur va découvrir la magnificence des costumes des émirs de Boukhara et de sa cour."

Aux côtés de ce guide intarissable, nous commençons un voyage fabuleux à la découverte des trésors d'artisanat de l'identité ouzbèke. 

Exposition "Sur les routes de Samarcande, merveilles de soie et d'or" à l'Institut du Monde Arabe : des chapans entièrement brodés d'or (CORINNE JEAMMET)

Le chapan d’or, manteau d'apparat et de pouvoir

"On n'imagine pas à quel point ce pays, qui a été finalement fermé et caché, a des trésors à n'en plus finir" s'exclame, avec enthousiasme, Yaffa Assouline en nous montrant ces splendeurs artisanales des XIXe et début du XXe siècles.  "Ces chapans [manteaux] des émirs sont brodés d'or. La broderie d'or fait partie de l'identité ouzbèke et de Boukhara en particulier avec l'arrivée de ces émirs qui ont fait renaitre toutes ces traditions qui s'étaient perdues", précise-t-elle

Ce manteau ample et long, qui couvre plusieurs couches de vêtements, est la pièce la plus importante des costumes d'hommes. À la cour de l’émir, les plus beaux sont confectionnés sur une base en velours de soie et arborent des broderies d’or. Répandu en Inde, en Chine, en Iran et en Europe, cet art a atteint son apogée au Turkestan à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle. Sa renommée vient des techniques et de la créativité des brodeurs de Boukhara. Ces pièces uniques, ornées ou intégralement brodées d’or, témoignent de l’importance sociale et symbolique de l’apparat de la cour. C’est durant le règne de l’émir de Boukhara, Muzaffar-Ed-Din (1860-1885), que l’art de la broderie d’or atteint son apogée. "Seul l'émir donnait des ordres à ses brodeurs. Dans son palais. Il avait ses propres ateliers avec les plus grands maitres artisans brodeurs" ajoute la commissaire d'exposition avant de préciser que c'était "un talent transmis de père en fils".

A côté, dans d'autres vitrines, des manteaux très colorés ainsi que des calottes suspendues au plafond qui font partie, eux aussi, du costume traditionnel ouzbek. La doppi est portée par tous, excepté les femmes âgées qui ont des foulards. Les ornements, la forme et les couleurs sont des indicateurs de l’âge, du statut social de celui qui le porte car "chaque région a sa spécificité". La base peut être en velours, satin, coton ou soie avec des motifs floraux et végétaux, comme des rosettes entourées de tiges ramifiées. Les couleurs sont le bleu, le gris et le pourpre. L'état de conservation des pièces exposées reste impressionnant. 

Exposition "Sur les routes de Samarcande, merveilles de soie et d'or" à l'Institut du Monde Arabe : des manteaux ornés de broderies en or (CORINNE JEAMMET)

L’apparat équestre riche et luxueux

Lié aux conquêtes de territoire et au développement du commerce et seul moyen de déplacement, le cheval fait partie intégrante du mode de vie et de l’identité ouzbèkes. Son importance se traduit par la confection d’un artisanat dédié que nous découvrons ici. "En même temps que l'émir – revêtu de son manteau brodé et de ses armes –, les chevaux portent tout un équipage très lourd brodé avec du velours de la même façon que les chapans". 

Un soin extrême est porté à ces chevaux, en témoigne l’apparat qui leur est destiné. C'est un attirail riche et luxueux constitué de tapis de croupes en velours brodés d’or, de selles en bois peintes à la main avec des teintures naturelles, de tapis de selles complétés par des harnachements, des bijoux en argent sertis de turquoise, de cornaline et d’émail. Chaque élément est élaboré par des corporations dédiées au travail du bronze, d’orfèvrerie, de menuiserie, de tannerie et de broderie d’or. 

Exposition "Sur les routes de Samarcande, merveilles de soie et d'or" à l'Institut du Monde Arabe : une selle témoigne de l'apparat équestre (Laziz Hamani)

Un vestiaire féminin codifié

Les costumes féminins se composent de plusieurs pièces : une robe chemise, un pantalon, une camisole (sous-vêtement), un chapan, un chapeau, des chaussures, des galoches et des foulards. Si les coupes sont similaires aux hommes, la qualité du tissu ainsi que les ornements distinguent les classes sociales et les couleurs indiquent le statut matrimonial de la femme.

Le travail de broderie d’or est un artisanat masculin dans une société où il est dit que l’or "se ternit des mains et du souffle d’une femme", souligne la commissaire de l'exposition. On craint également que les secrets de cet artisanat ne soient divulgués lors du passage d’une famille à une autre par le biais du mariage. Tout comme il est interdit aux femmes de toucher l’or, il leur est défendu d’en porter de manière ostentatoire. La broderie d’or n’apparaît que sur leurs accessoires : "Ce sont des broderies parsemées qui ne recouvrent pas le tissu", ajoute-t-elle. L’intégralité du costume féminin est dissimulée dans l’espace public sous un parandja, un manteau long qui recouvre la tête et le corps.

Exposition "Sur les routes de Samarcande, merveilles de soie et d'or" à l'Institut du Monde Arabe : une tenue du vestiaire féminin (CORINNE JEAMMET)

 

Les suzanis, une fonction aussi bien décorative que protectrice  

Dans le cadre familial, l’art de la broderie trouve aussi son expression symbolique dans les suzanis, mot persan signifiant "fait à l’aiguille". Il s’agit de grandes pièces de tissu brodées de fils de soie qui ornent les intérieurs. Les femmes s’adonnent aux travaux d’aiguille, notamment pour la préparation de la dot. "Seules les femmes brodaient les suzanis. Quand la fille naissait, on se mettait au travail. Les brodeuses suivaient les motifs, réalisés au préalable par une dessinatrice invitée, selon les désirs de la famille. Ces lés étaient tissés à la main puis rassemblés et brodés". Ces créations, censées assurer une vie de couple et de famille harmonieuses, ont une fonction aussi bien décorative que protectrice : abondance, prospérité, sécurité et fertilité sont assurées par les symboles brodés. 

Ces riches motifs brodés témoignent de leur goût, de leur créativité et de l’influence de leur environnement : "Chaque région avait sa particularité, ses couleurs et ses dessins". Décorations de murs, couvertures de lit, taies d’oreiller, rideaux et tapis de prière constituent les ouvrages d’un artisanat féminin qui se transmet de génération en génération. "En fait, la maison était un jardin couvert de fleurs et de couleurs", résume Yaffa Assouline. 

Exposition "Sur les routes de Samarcande, merveilles de soie et d'or" à l'Institut du Monde Arabe : les suzanis, les tissus de soie colorée (CORINNE JEAMMET)

 

Les tapis d’Ouzbékistan, une symbolique ancestrale

La section suivante est consacrée à l’art du tapis. Compte tenu de la fragilité de la laine, il ne reste que peu de pièces aujourd’hui et la majorité des œuvres conservées dans les collections date du XIXe siècle. En apparence simples objets domestiques, leurs iconographies révèlent le mode de vie, l’environnement et les croyances de leurs créateurs, leurs relations avec les peuples voisins ainsi que leurs considérations esthétiques. Au-delà de l’aspect décoratif et fonctionnel, le tapis déploie un vocabulaire coloré et symbolique. Les tisseuses s’assurent, avec un choix précis de motifs, la protection de la maisonnée en s’appuyant sur une symbolique ancestrale transmise de génération en génération. 

Les steppes et les régions montagneuses fournissent une abondance de laine et de produits lainiers. Les femmes, expertes dans le tissage de tapis et le feutrage, produisent les tapis pour l’aménagement et le confort domestique. Leurs productions alimentent aussi les marchés locaux urbains. C’est pourquoi la majorité des pièces commercialisées sont d’origine turkmène et se vend à Boukhara.

Exposition "Sur les routes de Samarcande, merveilles de soie et d'or" à l'Institut du Monde Arabe : un tapis (CORINNE JEAMMET)

Une terre d'inspiration pour les peintres de l'avant-garde russe 

La visite se termine, à l'étage inférieur, où nous accueille un mur entier de manteaux en Ikat très colorés suspendus dans les airs. Le déploiement de symboles et de couleurs omniprésent dans le patrimoine culturel du pays s’illustre aussi dans la technique du abrbandi – ces ikats en soie  – des tissus aux mille couleurs. On admire aussi ici une galerie de bijoux, gages de protection et de bonheur, et des paranjas.

Enfin, une grande partie de cette salle accueille la peinture orientaliste de l'avant-garde russe : "Je voulais avec la galerie des gens et des peintures s'immerger un peu plus dans ce rêve", indique la commissaire qui nous explique qu'au tournant du XXe siècle, le Turkestan est la destination de prédilection de l’avant-garde russe qui connaît son apogée entre 1917 et 1932. Alors que l’Empire disparaît pour devenir l’URSS, des artistes soviétiques vont découvrir ce territoire correspondant à l’actuelle République d’Ouzbékistan. Les peintres de l’école russe, à la recherche de "la couleur locale" trouvent une inspiration dans la richesse des paysages, des formes, des couleurs et des visages de l’Asie centrale. "Ils ont raconté l'histoire de ce pays et de leur émerveillement". Chaque artiste aborde cette quête d’exotisme en suivant son propre courant symboliste, néo-primitiviste, constructiviste... et une école ouzbèke voit le jour dont Alexander Volkov prend la tête. 

Cette exposition est "une invitation à découvrir la culture du beau", conclut Yaffa Assouline.

Exposition "Sur les routes de Samarcande, merveilles de soie et d'or" à l'Institut du Monde Arabe : l'avant-garde russe en peinture (Laziz Hamani)

Exposition "Sur les routes de Samarcande, merveilles de soie et d'or" à l'Institut du Monde Arabe, jusqu'au 4 juin 2023. 1, rue des Fossés Saint-Bernard, 75005 Paris. En parallèle, le musée du Louvre présente "Splendeurs des oasis d’Ouzbékistan" jusqu'au 6 mars 2023. 

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