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Une ministre de la Culture qui ne lit pas, vrai ou faux scandale ?

Fleur Pellerin l'a confessé sur le plateau de Canal+ : elle n'a lu aucun livre de Patrick Modiano, récent prix Nobel français. Ni aucun autre roman depuis deux ans, d'ailleurs.

Article rédigé par Anne Brigaudeau
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 3 min
La ministre de la Culture Fleur Pellerin sur le perron de l'Elysée, le 22 octobre 2014. (YANN KORBI / CITIZENSIDE / AFP)

Vaine polémique ? Changement d'époque ? Fleur Pellerin l'a avoué, dimanche 26 octobre, sur le plateau du "Supplément" de Canal+ : elle n'a pas lu de romans de Patrick Modiano, pourtant sacré prix Nobel de littérature 2014. Ni aucun autre livre depuis deux ans, car trop prise par ses activités ministérielles. Faut-il s'émouvoir qu'une ministre de la Culture ne lise pas de fiction ? Francetv info confronte les points de vue.

Non, c'est un mauvais procès

"Quelle tempête et quel verre d'eau !" Ainsi a réagi sur son compte Facebook le membre de l'académie Goncourt Pierre Assouline. Contacté par francetv info, il précise sa pensée : "Je ne vois pas où est le problème ! J’apprécie beaucoup sa franchise, qu’elle dise qu’elle n’ait pas eu le temps de lire. Ça ne me choque pas." Et l'écrivain de positiver : "Je trouve bien qu’elle ne se soit pas précipitée sur le dernier roman de Modiano pour le dévorer en deux jours parce qu’il a eu le Nobel. D'autant qu'elle aime d'autres écrivains, parfois moins connus. Elle adore Baudelaire, et elle a lu le romancier hongrois Sandor Marai [1900-1989, dont l'ouvrage le plus connu s'intitule Les Braises], ce qui est plus original que de lire Modiano."

"On n’attend pas d’un ministre qu’il lise des romans, ni qu’il soit écrivain. Vous voyez Jean d'Ormesson, dont le nom avait un moment circulé, autrefois, comme ministre de la Culture ? Ça aurait été une catastrophe", ajoute-t-il. "Faut-il être agriculteur pour être ministre de l'Agriculture ?, interroge encore Pierre Assouline. Un ministre de la Culture doit d'abord être administrateur, savoir gérer de l’argent. Un ministre de la Culture aujourd’hui, c’est quelqu’un qui se farcit le conflit des intermittents du spectacle, un dossier extrêmement compliqué et difficile. C'est un truc de technocrate." L'auteur conclut : "Et même si être ministre de la Culture requiert aussi une sensibilité culturelle, cette polémique est vraiment un mauvais procès fait à Fleur Pellerin."

Oui, c'est symptomatique de la classe politique

Coauteur avec Raphaël Poirier de Main basse sur la culture : argent, réseaux, pouvoir (éd. La Découverte), qui retrace l'évolution du rôle du ministère de la Culture ces trente dernières années, Michaël Moreau affine le tableau. "Ministre des industries culturelles, Fleur Pellerin a une grosse crédibilité sur le numérique, analyse-t-il dans son essai. La classe politique n'a commencé vraiment à s'interroger sur la question qu'en 2009, quand la Bibliothèque nationale de France a songé à confier la numérisation de son fonds à Google. Il n’y a d'ailleurs toujours ni ligne ni cap sur le numérique car le gouvernement n'y connaît pas grand-chose à l'exception de Fleur Pellerin. En revanche sur la culture, le spectacle vivant, le livre, elle a ses preuves à faire, elle doit se crédibiliser."

Si l'aveu de Fleur Pellerin à propos de Patrick Modiano a retenu à ce point l'attention, estime-t-il, c'est parce qu'il "est symptomatique du désintérêt grandissant du monde politique pour la culture depuis les années 1980. Et, plus précisément, du désintérêt pour le livre. François Hollande lit peu, sauf des livres d’histoire." En témoigne cette phrase d'Erik Orsenna qu'il cite dans son ouvrage : "Quand on voit aujourd'hui un président qui dit ne jamais ouvrir un roman, d'une certaine manière, c'est pire que Sarkozy."

Signe que les temps ont changé, conclut-il, François Léotard, ministre de la Culture de 1986 à 1988 dans le gouvernement de cohabitation de Jacques Chirac, "nous a raconté comment il voyait François Mitterrand, alors président de la République, s’isoler pour lire. Ce n’est plus le cas avec François Hollande et ça ne l'était pas non plus avec Nicolas Sarkozy. On se souvient de la polémique avec La princesse de Clèves. Le dernier président lecteur, c’était François Mitterrand."

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