Salon du livre de Montreuil : comment se porte le secteur de la littérature jeunesse ?
Alors que le Salon du livre jeunesse ouvre à Montreuil ce mercredi 1er décembre, Franceinfo fait le point sur la santé du secteur après deux années perturbées par des confinements successifs et des fermetures ponctuelles des librairies. Bonne nouvelle, le chiffre d’affaires de l’édition jeunesse est en hausse de 1% pour 2020. La tendance se poursuit en 2021.
"Dans tout le champ du livre, la jeunesse est l’un des secteurs qui se portent le mieux", s’exclame Alexandra Flacsu, directrice des librairies indépendantes Chantelivre. En 2020, l’édition jeunesse affichait en effet une croissance de son chiffre d’affaires de 1%, pour un total de 355 millions d’euros. La tendance se poursuit cette année. "Fin octobre 2021, nous étions à +13%", se félicite Agathe Jacon, responsable du service Promotion et Développement à la maison d'édition L’école des loisirs. Même constat, pour Valérie Cussaguet, éditrice de la maison indépendante Les fourmis rouges, qui observe une croissance de son entreprise de 30%. "Ce sont des données relatives, il nous reste encore un mois, et non des moindres", prévient-elle.
Livre refuge
Un bilan positif qui pour une fois doit un petit quelque chose à la pandémie. "Avec l’école perturbée, les parents se sont demandé comment alimenter leurs enfants d’un point de vue pédagogique et culturel", explique Alexandra Flacsu. Beaucoup craignent alors le décrochage de leurs marmots, et envisagent le livre comme un soutien à la curiosité et à l’éveil intellectuel. "C’est aussi une manière pas trop onéreuse de détourner son enfant des écrans", ajoute Valérie Cussaguet. Le livre redevient une alternative de loisir, et souvent un moment de partage.
Les parents sont davantage à la maison, et la lecture regroupe les familles. "Le livre a été un refuge durant cette période anxiogène, souligne l’éditrice des Fourmis rouges. Pendant les crises, les gens se disent que c’est un objet qui dure. L’enfant va le relire plusieurs fois. Il restera dans la maison pendant vingt-cinq ans." Au fur et à mesure, les jeunes s’attachent aux personnages découverts lors des confinements. "On sent qu’ils ont envie de continuer à lire", remarque Marion Jablonski, présidente du groupe des éditeurs jeunesse du Syndicat national des éditeurs et directrice des départements jeunesse et bande dessinée d'Albin Michel.
Succès de la bande dessinée
Dans sa maison d’édition, comme ailleurs, l’accent est mis sur la bande dessinée. L’école des loisirs a par exemple monté son propre catalogue BD, La Rue de Sèvres. Et pour cause, le secteur a connu en 2020 une augmentation de 6,3% de son chiffre d’affaires. La plus forte croissance de l’univers BD repose actuellement sur le manga dont les ventes ont explosé en 2020. "Le pass culture a été révélateur de ce phénomène implanté en France depuis 20 ans", détaille Marion Jablonski. Son succès est dû à un effet de collection (Dragon Ball, Naruto, Fairy Tail ou encore One Piece), ainsi qu’à l’adaptation de certains ouvrages en film d’animation sur des plateformes comme Netflix (L’attaque des titans).
Au-delà des mangas, la BD jeunesse séduit par la multitude de sujets qu’elle aborde. "Elle permet d’accéder à des thématiques difficiles de manière plus facile", déclare la libraire Alexandra Flacsu. Elle pense à la mythologie. "Les BD sur ce sujet répondent à plusieurs attentes, celles des parents qui veulent transmettre un patrimoine, et celles des enfants intéressés par l’univers fantasy." De quoi expliquer l’engouement autour de la série de BD de Luc Ferry, La Sagesse des mythes. Parmi les ouvrages qui ont cartonné en 2020, il y a aussi Lucky Luke, L’Arabe du Futur ou encore Mortelle Adèle, des "valeurs sûres" appréciées des lecteurs depuis longtemps.
Retour aux "valeurs sûres"
"Pendant les confinements, les gens ont fonctionné avec le click and collect. C’est comme de la vente en ligne, on ne peut chercher que ce qu’on connait déjà", rappelle Alexandra Flacsu. En l’absence de conseil des libraires, les nouveautés sont délaissées au profit des bestsellers. "Deux de mes livres sont passés à la trappe. L’un d’eux – Alcie et la forêt des fantômes chagrins – avait pourtant reçu le prix RTL", déplore Fred Bernard, auteur de BD et illustrateur de livres jeunesse. Lui a pu vivre de ses anciens ouvrages devenus aujourd’hui des classiques, ou ce que les éditeurs appellent aussi "le fonds".
"C’est tout ce qui n’est pas de la nouveauté", explique Valérie Cussaguet. Chez Les fourmis rouges comme à L’école des loisirs, le fonds s’écoule mieux que les ouvrages fraichement publiés. "Cela représente 80% de nos ventes", confie Agathe Jacon, avant d’ajouter : "un livre est toujours une nouveauté pour un jeune enfant." Faire connaître les récentes parutions est donc aujourd’hui un enjeu pour chaque maison. L’école des loisirs se dit "très vigilante" quant au nombre de titres édités par an, 350. L’objectif ? Laisser à chacun le temps de trouver sa place. "Il faut que les libraires apprennent à connaître les auteurs, à découvrir leurs livres", indique Valérie Cussaguet, qui, elle, a choisi de ne publier que dix à douze livres par an.
"Il y a beaucoup de créativité en littérature jeunesse, ça bouillonne", précise Agathe Jacon. Les sorties restent très nombreuses. Résultat, la durée de vie d’un ouvrage en rayonnage est particulièrement courte. "Les libraires sont submergés", témoigne Fred Bernard. Dans le milieu depuis 1995, il a observé la multiplication des publications : "on est dans de la surproduction. Aujourd’hui c’est plus facile de se faire éditer qu’il y a 25 ans, mais c’est plus difficile de vendre ses livres." Le nombre de ventes a d’ailleurs diminué entre 2019 et 2020 de 5,39%. La croissance s’explique donc par des prix plus élevés.
Les Salons
"Vivre de son art confortablement pour un jeune auteur, ça prend quelques années. Ce n’est pas un chemin facile", enchaîne Agathe Jacon. A 37 ans, la carrière de Claire Schvartz – autrice de deux ouvrages estampillés Les fourmis rouges en 2017 et 2021 – commence tout juste à décoller. A côté de sa production littéraire, elle conserve son métier de graphiste dans la communication. "C’est ce qui me permet de ne pas avoir de stress financier." Pour assurer sa production, elle compte sur les à-valoir de sa maison d’édition, les bourses du Centre national du livre ou encore des prix comme celui de la Révélation jeunesse qui lui a été délivré par l’ADAGP (Société des auteurs dans les arts graphiques et plastiques), pour Le gravillon de pavillon qui voulait voir la mer. Il s'agit de rétributions généralement obtenues après la publication d'un ouvrage "pour éponger le coût de la création".
A cela s'ajoutent les déplacements dans les salons et les écoles. Dans ces cas-là, les artistes sont rémunérés au prix fixé par la Charte des auteurs et illustrateurs jeunesse. "C’est aussi un moyen de gagner sa vie", insiste Claire Schvartz. Durant le confinement, les rencontres ont cessé, "beaucoup d’entre nous ont été très embêtés", commente Fred Bernard. De nombreux auteurs ont subi un manque à gagner. Mais pour Fred Bernard, le plus pénible a été de ne plus croiser les autres artistes sur les salons. "C’est aussi là que se font les associations pour des créations", explique-t-il.
Les premiers évènements ont rouvert cet été. Fred Bernard s’est rendu mi-novembre à Morlaix pour la 10e édition de la Baie des livres. "On était plein de vieux copains, Magali Le Huche, Thomas Baas, Charlotte Gastaut … Ce sont des gens avec qui j'ai travaillé après les avoir rencontrés dans des salons. C’est là où on discute." C’est aussi le lieu où maisons d’édition et libraires se rencontrent. "On n’a pas de contact à la Fnac, mais avec les indépendants c’est rapide et direct, aussi grâce aux salons", précise Valérie Cussaguet.
Regain de la librairie indépendante
Durant l’année 2020, sa maison, Les fourmis rouges, a bénéficié du regain d’intérêt pour les librairies indépendantes, notamment celles dites de proximité. Chantelivre, qui possède un magasin dans le centre de Paris et un autre à Issy-les-Moulineaux, a vu les ventes du second atteindre des records. Pour la directrice Alexandra Flacsu, cela est dû à la forte communication autour des librairies et de la reconnaissance du livre comme bien essentiel, ainsi qu'au frein à la mobilité imposé par le gouvernement. De nouveaux clients ont découvert ces magasins tout proches de chez eux.
"Ce sont les grandes surfaces culturelles qui ont finalement le plus souffert", selon Agathe Jacon. "Elles sont souvent situées dans des centres commerciaux où il y a beaucoup de brassage. Les gens ont eu peur des structures." Chantelivre a réfléchi, elle aussi, à sa disposition : "Nous avons agrandi la librairie du centre de Paris de 80m2, sans ajouter de meubles ou de livres." Tout pour que les gens ne se sentent pas oppressés dans ce lieu de rencontre avec le livre mais aussi avec les auteurs. "Ce lien avait manqué à tout le monde", souflle Fred Bernard. Créateurs, libraires et maisons d'édition se rejouissent à l'idée de se retrouver dès ce mercredi au Salon de Montreuil.
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