"Une existence sans précédent" de Claire Fercak : une cavale déjantée aux basques d’une héroïne en quête de ses origines
Quand on ne sait plus "comment s’enfuir de soi ?", autant commencer par s’enfuir tout court. Claire Fercak fait partie de ces auteur(e)s qui ont réussi à imposer en quelques années un univers singulier aux confins d’un imaginaire prolifique. Une œuvre au style incisif, constamment irriguée de poésie surréaliste, jonglant avec tous les genres.
L'histoire : Orpheline au passé cabossé, Helena Cervak plaque un beau jour son boulot et son quotidien tout triste pour tailler la route, direction la Slovénie. Elle veut voir à quoi ressemble le pays de ses parents, morts dans un accident l’année de sa naissance, et retrouver la trace des Cervak vivant en Slovénie. "Ainsi, je me deviendrai peut-être familière", pense-t-elle. L’occasion de recommencer une "existence toute neuve" et de se délester des séquelles d’années passées en foyer d’accueil. Helena va alors traverser la France et l’Italie dans une cavale bourrée de péripéties hilarantes, égrenant dans le rétroviseur certaines périodes sombres. Trouvera-t-elle les réponses sur ses origines une fois arrivée à bon port ?
Imaginaire prolifique
Si l’on plonge si facilement dans cette virée sans retour, c'est d’abord pour Helena, l’héroïne sans-filtre et mal lunée, à laquelle on s’attache immédiatement. Un anti-modèle salutaire, à rebours de certains clichés superlatifs. Parce qu’elle a beau concéder "un ego rachitique", Helena trouve dans son imagination débridée, combinée à une ironie mordante, les moyens de s’extraire des petites et grandes défaites de la vie. Et c’est la force de ce personnage un peu givré, profondément angoissé. Avec cette idée que la création poétique, parce qu’elle recompose le monde à travers un nouveau langage, est un merveilleux antidote aux désespoirs intimes.
En ce sens, l’amitié qu’Helena porte à Wallid, compagnon d’infortune rencontré au temps des centres pour "adolescents décomposés", en est un bon exemple : "Je le baptisais Wallis, moi, j'étais Futuna, rapport aux îles Wallis-et-Futuna du Pacifique, ça nous permettait de voyager un peu, il nous inventait des excursions polynésiennes, on les avait localisées sur une carte, on avait regardé des photos, on s’y projetait. On aimait bien faire des plans sur la colline."
Réparer l'enfance
Mais peut-on vraiment réparer les blessures de l’enfance quand elles font à ce point partie de son identité ? Ce thème traverse le roman de part en part. Il a le visage sombre du père d’adoption d’Helena, mauvais génie de l’histoire et dangereux mythomane. Étrange écho d’un autre père maltraitant, celui du Rideau de verre (Verticales, 2007), premier roman de Claire Fercak.
S’il est bien sûr impossible de revenir en arrière, c’est dans la littérature qu’Helena trouvera des ressources réparatrices. Et notamment à travers l’évocation des travaux du philosophe allemand Walter Benjamin, mort en 1940. Auteur inclassable et fantastique pédagogue, "il voulait prendre soin des enfances, ces avant-gardes de nous-mêmes ; ça recollait des débris dans mon cœur."
Identité fragmentée
Ce roman aborde aussi la question de l’identité fragmentée. Comment définir les contours de soi-même quand il est impossible de reconstituer une généalogie, ou de retrouver des traces d’antécédents familiaux ? Une fois en Slovénie, aucune des familles Cervak rencontrées sur le chemin d’Helena ne semble coïncider avec la sienne. Et alors que l’on imagine l’effondrement inévitable, le déclic se produit. "Ma liste est trouée. Et si je comblais ces vides ? Saurais-je mieux jouer maintenant, adulte ?". C’est la clé du livre parce qu’à partir de ce moment-là, Helena parvient justement à combler les vides de la plus poétique des manières, donnant une dimension totalement nouvelle à son existence. Une existence sans précédent, oui, mais au sens d’unique en son genre. Exactement comme elle.
"Une existence sans précédent" de Claire Fercak (éditions Verticales, 154 pages)
Extrait :
"La route, c’est pas le pied, c’est pas le bonheur de la liberté sans attache, sans entrave. La réalité est plus décevante que ma vie de l’esprit ; une part de moi l’a toujours su. Je pensais que ma désillusion permanente était due à mon quotidien d’adulte sédentaire, à mon adolescence poussive, à mon enfance blessée, à mon abandon ; maintenant je sais que la vie en mouvement ne change rien à l’affaire. L’ennui, la déception, le chagrin, la colère se confirment en voyage, sur les autoroutes et les chemins de campagne. La réalité nous colle aux basques."
(Une existence sans précédent, p.14)
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