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"La petite communiste qui ne souriait jamais", roman virtuose sur Nadia Comaneci

Prodigieux roman que celui de Lola Lafon sur la gymnaste Nadia Comaneci, quintuple médaille d'or aux Jeux Olympiques et star de Montréal, en 1976. Récit vif et tendu comme un arc, "La petite communiste qui ne souriait jamais" parle d'une championne, d'une ambition et d'une femme dépassée par l'enfant qu'elle fut. Et démonte la propagande sportive de deux systèmes rivaux.
Article rédigé par Anne Brigaudeau
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
La gymnaste roumaine Nadia Comaneci aux Jeux Olympiques de Montréal, en 1976
 (AFP)

Dix. Du jamais vu. Au point de mettre à mal le système suisse Longines, non paramétré pour cet exploit : l'écran a d'abord affiché 1,0.

Dix : la perfection atteinte sept fois, lors des Jeux Olympiques de Montréal, à l'été 1976,  par l'étoile Nadia Comaneci. Seul un public très averti savait de quoi était capable l'enfant de 14 ans, qui avait essentiellement concouru dans les pays de l'Est.

De cette perfection -enchaînement sans faute des figures, résultat d'un entraînement intensif, de capacités hors du commun et d'un mental extraordinaire - Lola Lafon tire une ouverture éblouissante, qui scotche d'emblée le lecteur. Puis elle rembobine le film.

La recherche du "perfect ten"

Qui a trouvé, formé, entraîné Comaneci ? Bela Karolyi,  entraîneur hongrois  qui avait créé une école de gym expérimentale à Onesti -autant dire nulle part- en marge de la fédération officielle roumaine. Il avait sélectionné des petites filles de sept ans sur leurs aptitudes gymniques et  leurs qualités spartiates (endurer sans se plaindre). Très vite, il capte en Nadia la perle rare, celle qu'il impose dans les compétitions à l'étranger, contre l'avis de Bucarest qui a d'autres candidates.

Imprégnée d'une riche bibliographie, y compris les Lettres à une jeune gymnaste (Letters to a young gymnast) de l'ancienne championne, parues il y a dix ans aux Etats-Unis, Lola Lafon déploie un immense talent pour ressusciter les figures, la douleur, la recherche du "perfect ten".

Mais la magie de son roman tient aussi au rendu - subtil, nuancé puisqu'elle y a vécu enfant- de la Roumanie de Ceausescu, qu'elle se refuse à peindre en gris convenu, en gris cliché. Car elle a connu le soleil brûlant de Bucarest, et, semble-t-elle dire, on pouvait être heureux dans ce pays, dans les années 70, avant que le régime ne vire à la dictature la plus ubuesque -surveillance généralisée, mots censurés et interdiction faites aux femmes, dont le corps était inspecté mensuellement, d'avorter.

Autant que le régime totalitaire des Ceausescu, dont elle rappelle la paranoïa, les restrictions, les mensonges (le pays "était devenu une fiction à laquelle personne ne croyait"), Lola Lafon sonde la propagande occidentale. Celle, qui a gagné, du capitalisme sans limites ni pudeur. "Ah oui, bien entendu ! Les Roumains vendaient le communisme. En revanche, les athlètes français ou américains, aujourd'hui, ne représentent aucun système, n'est-ce pas. Aucune marque !"  

"Chez nous, on n'avait rien à désirer. Et chez vous, on est constamment sommés de désirer"

Grâce à Nadia, meilleure publicité de la Roumanie au tournant des années 80 (au point que les dirigeants du monde entier réclamaient, comme on visite un musée, une démonstration à la poutre), elle passe au scanner l'intime et le décor. La rencontre d'un don et d'une propagande. Elle décrit le totalitarisme du régime communiste et l'obscénité de l'abondance occidentale. "Chez nous, on n'avait rien à désirer. Et chez vous, on est constamment sommés de désirer". 

Elle raconte, et c'est plus formidable encore, la transformation dévastatrice d'un corps-outil parfait de gymaste en corps de femme. Ces seins, ces hanches, ces règles ennemies de l'exploit. De bout en bout, le lecteur suit, fasciné, les métamorphoses de l'éclatant papillon de Montréal devenue jouet de la famille régnante -elle est convoitée par Nicu, le fils abhorré des Ceausescu. Un mois avant la chute du régime, en novembre 1989, elle s'enfuit aux Etats-Unis.

"Ravager le joli chemin rétréci qu'on réserve aux petites filles"

Comment Lola Lafon a-t-elle extrait de cette trajectoire un roman si haletant ? On gage qu'à son talent, elle a ajouté beaucoup de travail. Qu'elle a vu et revu les "salto Comaneci" et les "super-E", ces acrobaties que la petite Roumaine était seule au monde à réaliser. Qu'elle a construit, comme un enchaînement, un plan idéal. 

Dédiée aux "petites filles de l'été 76", ce roman emballant rappelle qu'un "elfe d'un mètre cinquante-quatre", vedette absolue de Montréal, a "décrassé le futur et ravagé le joli chemin rétréci qu'on réserve aux petites filles". "Grâce à vous, écrit la romancière, les petites filles rêvent de s'élancer dans le vide, les abdos serrés et la peau nue". Merci, Nadia.  Merci, Lola.

La petite communiste qui ne souriait jamais Lola Lafon (Actes Sud, 21 euros)

Extrait

"Béla, lui, s'en fichait qu'on soit jolies, il élisait chaque semaine la plus casse-cou d'entre nous et aussi la plus rapide. On voulait toutes avoir la médaille ... Il valorisait notre force, notre courage ou notre endurance, pas nos coiffures ! Je crois qu'il a voulu travailler avec des filles très jeunes pour ça, parce qu'on n'avait pas eu le temps d'apprendre ces ... règles".

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