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"Que sur toi se lamente le Tigre" : Emilienne Malfatto plonge au cœur de la tragédie du crime d'honneur dans une famille irakienne

Une jeune Irakienne, enceinte alors qu'elle n'est pas mariée, attend la mort : pour sauver l'honneur de la famille, son frère va la tuer. Le premier roman choc d'Emilienne Malfatto, "Que sur toi se lamente le Tigre" (Elyzad), a reçu le prix Goncourt du premier roman.

Article rédigé par Valérie Oddos
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Emilienne Malfatto (© Philippe Malfatto)

Que sur toi se lamente le Tigre (éditions Elyzad), un très court roman d'Emilienne Malfatto, est la chronique d'une mort annoncée, celle d'une jeune irakienne qui a commis l'interdit absolu. Enceinte, hors mariage, elle va inéluctablement être tuée par son frère aîné. Un texte fulgurant en forme de tragédie qui a reçu le prix Goncourt du Premier roman, décerné le mardi 4 mai.

"Lorsque les grands dieux créèrent les hommes, c'est la mort qu'ils leur destinaient."

Que sur toi se lamente le Tigre s'ouvre sur quelques lignes de l'épopée de Gilgamesh, une des premières grandes œuvres littéraire de l'humanité, découverte en Mésopotamie.

La jeune femme sait que la mort l'attend quand elle découvre qu'elle est enceinte de Mohammed, l'ami d'enfance devenu son amant un court instant, juste avant qu'il parte combattre avec la milice. "Ce fut sans plaisir, une étreinte terne et précipitée." C'est pourtant ce bref instant avec le futur fiancé, mort depuis sous les bombes, qui scelle son destin.

Une tragédie contemporaine

L'honneur doit être sauvé, au prix du sang. "L'honneur est plus important que la vie. Chez nous mieux vaut une fille morte qu'une fille mère", dit-elle. C'est le drame des femmes dans cette partie du monde. "Nous naissons dans le sang, devenons femmes dans le sang, nous enfantons dans le sang. Et tout à l'heure le sang aussi."

Le court roman est comme une tragédie antique mais il s'agit d'un drame contemporain, dans l'Irak d'aujourd'hui. Il se déroule dans le temps d'une journée dont l'issue est inéluctable. Dans un lieu clos, la maison familiale qui se referme comme une prison, bientôt une tombe. La jeune fille n'en sort que pour se rendre à l'hôpital afin qu'on lui confirme sa grossesse. Accompagnée de sa belle-soeur, car il aurait été "contraire à la pudeur" qu'elle sorte seule. Le médecin lui demande si elle a un endroit où fuir, mais où irait-elle ?

Il s'agit d'un récit choral. Tour à tour, chaque membre de la famille dit son sentiment sur le drame attendu. Baneen, la femme d'Amir le frère aîné, enceinte elle aussi, qui arbore fièrement son ventre rond, légitime lui. "Je suis l'épouse, la femme soumise, la femme correcte, celle qui respecte les règles, qui ne les discute pas."

Amir, le frère aîné, est "l'assassin" car "dépositaire de l'autorité masculine" dans la famille depuis la mort du père dans un attentat.

Je vais tuer tout à l'heure et je penserai que je n'ai pas le choix. Sa vie ou notre honneur à tous. Ce n'est pas moi qui tuerai, mais la rue, le quartier, la ville. Le pays. (Que sur toi se lamente le Tigre, p. 33)

Il y a "l'autre frère", Ali, plus moderne, plus tolérant, mais lâche. Il ne s'opposera pas au geste de l'aîné. Et puis Hassan, le plus jeune, le préféré. "Pas encore un homme", qui arrêterait le bras de son frère s'il le pouvait. Il se demande s'il deviendra comme Amir ou s'il fuira ce monde. "Je suis celui qui, peut-être, ne sera pas un assassin." La mère enfin, usée par une vie de soumission, ne s'opposera pas à ce que son fils tue sa fille.

Le roman est ponctué de courts extraits de l'épopée de Gilgamesh et des textes poétiques dits par un autre personnage du roman, le Tigre, fleuve qui traverse l'Irak du nord au sud, témoin des drames du pays et meurtri par les hommes : "Je connais la folie des hommes. Mille fois, j'ai vu leur vanité les conduire à la ruine."

L'écriture est simple, les phrases souvent courtes, percutantes. Le récit est rapide, puissant, une vraie réussite littéraire. Ces 80 pages se lisent d'une traite et vous poursuivront longtemps.

Emilienne Malfatto, née en 1989, photojournaliste indépendante, a souvent séjourné en Irak et connaît bien la réalité irakienne. Elle a reçu en 2015 le prix France Info-Revue XXI pour son reportage Dernière escale avant la mer. En 2019, son projet Al-Banaat, dans le sud de l’Irak, a été distingué par le Grand prix de la photographie documentaire de l’IAFOR (International Academic Forum). Que sur toi se lamente le Tigre est son premier roman.

La couverture de "Que sur toi se lamente le Tigre" d'Emilienne Malfatto (Editions Elyzad)


"Que sur toi se lamente le Tigre", d'Emilienne Malfatto (Editions Elyzad - 80 pages - 13,90 €)

Extrait :

Je suis la mère et je suis absente, confite en dévotion et en douleur obligatoire sur la tombe de mon mari, dans la vallée des morts. On va tuer ma fille. Amir attendra-t-il que je rentre ? La route est longue par le car des pèlerins. Mon fils va tuer ma fille et je ne m'y opposerai pas. M'y opposerai-je si je rentre à temps ? J'ai depuis trop longtemps accepté les règles. (Que sur toi se lamente le Tigre, p. 56)

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