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Dix ans après Fukushima : "Le Dit du Vivant", un étonnant roman dystopique de Denis Drummond

Denis Drummond est un écrivain franco-écossais. Il est l’auteur de plusieurs recueils de poésie et de romans. Dans "Le Dit du Vivant", son dernier ouvrage, il nous narre une découverte incroyable, trente ans après Fukushima, dans une langue magnifique de fluidité.

Article rédigé par Carine Azzopardi
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
L'écrivain Denis Drummond (DR)

Le dernier roman de Denis Drummond, paru le 14 janvier, nous emmène sur l’île d'Hokkaïdo, près de Sapporo au Japon, trente ans après Fukushima. Dans une langue élégante, qui sert une construction très originale, l’auteur nous raconte comment une nouvelle catastrophe va remettre en cause toutes nos certitudes existantes.

L’histoire : Nous sommes à Atsuma, en 2051, où un tremblement de terre a lieu, non loin de Fukushima. Le glissement de terrain qui engloutit le village à la suite du séisme va mettre au jour une incroyable nécropole. Sandra Blake, une paléoanthropologue australienne, se joint à l’équipe de chercheurs japonais pour participer aux fouilles, accompagnée de son fils autiste Tom, dont le père est décédé quelques années plus tôt.

Ce qu’ils découvrent est une vraie bombe scientifique. Dans la nécropole, les restes humains de plusieurs Homo Sapiens Sapiens datés au Carbone 14, remontent à 13 millions d’années. Or le premier humanoïde sur terre est apparu il y a 7 millions d’années. Après moult vérifications, la datation est confirmée, et médiatisée. C’est le début d’un chantier archéologique extraordinaire qui va durer près de dix ans, au centre de l’attention mondiale, et qui, très lentement, va révéler d’extraordinaires secrets remettant en cause toutes les connaissances établies jusqu’alors.

De mystérieuses écritures

Pourquoi cette mise en scène à l’intérieur de la nécropole ? D’où viennent ces traces de pas découvertes autour de la dernière sépulture ? Que recèlent ces disques empilés sur la tranche et formant un cercle autour du dernier homme ? Tous les corps de métier, les meilleurs laboratoires du monde, sont mobilisés pour percer le mystère.

Pendant ce temps, Tom devient adolescent et apprend le japonais aux côtés de sa chercheuse de mère. Il apprend à vivre avec ses tourments, et les progrès face à sa maladie suivent dans une belle allégorie les petits pas des découvertes scientifiques du chantier. Tom est un autiste surdoué qui va apporter une aide décisive à la compréhension de cette civilisation disparue il y a 13 millions d’années en déchiffrant leur message.

Le monde post-Covid-19 (on a appris à vivre avec le Covid-23), n’a pas radicalement changé de trajectoire. Ainsi, les canicules commencent désormais dans l’hémisphère nord dès le mois de mars, et une saison s’est rajoutée, superposée aux quatre déjà existantes : la saison des incendies. La terre brûle littéralement, mais nous continuons de prendre des avions, et d’aller passer des vacances en Indonésie. Pour refroidir le continent australien, des bateaux vont chercher des blocs de glacier du pôle Sud et les remorquer sur les côtes.

Un roman construit en forme de séquence d'ADN

La résolution de l’énigme d’Atsuma, comme la nomme la presse mondiale, nous aidera-t-elle à comprendre notre propre destinée et à y faire face ?
Sandra veut le croire. D’autres scientifiques voient dans la découverte de graines autour des restes humains une formidable opportunité pour nourrir l’humanité de cette deuxième moitié de XXIe siècle. Ces graines, en effet, consomment moins d’eau et sont beaucoup plus nourrissantes que n’importe quelle céréale déjà existante. Le séquençage de leur génome peut servir, espèrent-ils…

Le roman de Denis Drummond épouse la même construction qu’une séquence d’ADN : en six chapitres, chacun divisé en cinq sous-chapitres, faisant progresser le propos en tournant en spirale autour de chaque thème et chaque temporalité. Outre le récit proprement dit, il y a le journal de Sandra, celui de Tom, un quatrième regroupe des échanges mails et diverses publications scientifiques ou articles de journaux. Le dernier, enfin, est Le Dit du Vivant, l’histoire de ce dernier homme d’il y a 13 millions d’années et de la mise en scène de sa disparition.

On sort de ce roman enthousiasmé par son inventivité et sa dystopie si poétique, sans leçon malgré l’apocalypse ambiante, mais avec un étonnement renouvelé sur ce qui constitue l’âme humaine, et qui, au fond, demeure toujours un mystère.

Couverture du roman, "Le Dit du Vivant", de Denis Drummond (Editions Cherche Midi)

"Le Dit du Vivant", de Denis Drummond, est paru le 14 janvier 2021 aux éditions du Cherche Midi (288 pages, 19€)

Extrait : "Daisuke se demande comment il va aborder le sujet que tout le monde attend. Personne n’ose le presser, les visages sont figés. Sandra, Makoto et Kenji savent pourtant ce qu’il s’apprête à dire. Dans un mélange de réserve et d’exaltation, le géologue confirme la convergence des résultats du forage avec ceux des différentes analyses : la sépulture date de plus de 13,4 millions d’années, avec un écart de vingt mille ans environ selon les méthodes. L’observation des strates supérieures où quelques fossiles ont été identifiés corrobore cette datation sans doute possible.
Pour ce qui est du squelette, les images 3D sont en cours de traitement. La seule incertitude concerne les os arrière de la boîte crânienne que le laser n’a pas pu atteindre. Il s’agit d’une personne de sexe masculin, âgée d’une trentaine d’années, du type
Homo sapiens sapiens.
Sandra et Makoko restent muets. Ils sont sonnés. Cela n’a pas de nom et ne peut être vrai. Ils savent qu’ils mettront des années à réaliser et sans doute encore plus à comprendre.
Ran suit le pinceau que Tom tient dans sa main. Son regard passe de l’un à l’autre, le visage appliqué de ce garçon qui l’intrigue tant et ses doigts trop serrés qui figent son geste.
Dans le silence des adultes dont il ne sent pas la présence, Tom se met à peindre sur une feuille de papier vierge que Ran vient de poser devant lui. C’est un triangle. Il l’a placé dans un carré, lui-même accolé à un demi-cercle sur son côté.
Tom ne pense pas à la figure géométrique qu’il a vue sur la petite étoile tissée et dans le carnet de sa mère. Il ne sait pas qu’il en a mêlé les éléments, ni qu’il les a assemblés de manière différente. Tom ne pense pas à ce moment-là qu’il a rompu un ordre, inventé une vérité nouvelle, et pris date avec un après vertigineux. Il se laisse simplement guider par sa main comme les grands par leur silence."

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