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Dans son dernier roman, "Des âmes consolées", Mary Lawson trace les contours d’un chagrin invisible

Mary Lawson est une romancière canadienne qui vit depuis longtemps en Angleterre. Elle s’est replongée dans ses souvenirs de la forêt de l’Ontario où elle a grandi pour dresser le décor de son dernier roman.

Article rédigé par Carine Azzopardi
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
L'écrivaine Mary Lawson (@Belfond)

L’histoire : une adolescente a disparu dans la petite ville de Solace, dans le nord de l’Ontario. Rose s’est enfuie de chez ses parents, laissant sa petite sœur, Clara, sept ans, dans l’incompréhension. Dès lors, la vie de Clara s’organise près de la fenêtre d’où elle guette le retour de sa grande sœur adorée. Mais de sa fenêtre, Clara voit aussi que la maison de sa voisine, Mme Orchard, est occupée par un mystérieux usurpateur. Dès lors, la petite fille va organiser son enquête, et avoir la confirmation que les adultes lui cachent certaines choses... Des âmes consolées, de Mary Lawson, traduit de l’anglais par Valérie Bourgeois, est paru aux éditions Belfond. 

Le monde d'une petite fille de sept ans s'écroule

C’est une petite ville où tout le monde se connaît. Alors, lorsque disparaît Rose, 16 ans, les souffles se retiennent, et les doutes s’installent. Où a-t-elle pu aller ? Qui a-t-elle rencontré sur son chemin ? De cette disparition, Clara ne retient qu’une chose :  quoiqu’il advienne, Rose va revenir, et il faut qu’elle la guette. Ses parents, dévastés, vont faire cette concession à leur petite fille. Qu’à cela ne tienne, ils lui apporteront son dîner chaque soir, devant la fenêtre.  

Et une fenêtre, c’est comme dans Hitchcock, le lieu où le monde ressemble à un écran de cinéma muet. La maison de la voisine sera ce monde-là. La petite fille a promis à Mme Orchard, qu’elle pense toujours à l’hôpital, de nourrir son chat jusqu’à son retour. Elle quitte donc de temps en temps sa fenêtre pour aller sustenter le félin, et ces deux solitudes se tiennent compagnie un instant. Lorsqu’un soir, Clara voit apparaître un homme avec ses cartons qu’il pose au beau milieu du salon, elle le prend clairement pour un intrus, et guette ses absences pour continuer d’assurer sa mission : “Elle savait qu’aller chez Mme Orchard était risqué, bien sûr. L’homme pouvait changer d’avis et rentrer à n’importe quel moment. Seulement, elle n’avait pas le choix si elle voulait tenir sa promesse de s’occuper du chat.”  

Des personnages enfermés dans leur monde

Le roman de Mary Lawson est construit comme une valse, à trois temps. Les chapitres Clara, Liam (l’inconnu), et Elizabeth (Mme Orchard) se succèdent dans l’ordre ou le désordre, tissant ainsi le récit d’un autre mystère, une disparition passée, qui va se superposer au premier, pendant que l’on va tendre vers sa résolution. Ces trois personnages, avec lesquels alternent les récits du passé et de l’action présente, ont en commun des blessures intimes qui les rendent méfiants par rapport au monde extérieur, comme enfermés, sans possibilité de communiquer. Chacun, pour l’autre, va être une source d’ouverture au monde sensible, de ces petits pas dont sont faites les grandes passions qui parfois débordent.  

D’une écriture douce, simple, qui s’adapte à chaque récit, Mary Lawson nous replonge dans ses souvenirs canadiens qui paraissent émerger d’un long rêve. L’histoire s’ordonne peu à peu sous nos yeux, chaque personnage n’en connaissant qu’une partie. Le lecteur, qui se retrouve donc dans la situation d’en savoir beaucoup plus que chacun d’entre eux, est cependant tenu en haleine par l’issue imprévisible des histoires passées et présentes qui s’imbriquent les unes dans les autres pour arriver jusqu’à leur dénouement.  

"Des âmes consolées", de Mary Lawson, traduit de l’anglais par Valérie Bourgeois, est paru aux éditions Belfond le 17 février 2022 (272 pages, 20€). 

Couverture du roman de Mary Lawson, "Des âmes consolées" (@ éditions Belfond)

Extrait : “Une lumière s’alluma dans le vestibule de Mme Orchard, éclairant un instant le porche avant que l’homme referme la porte. Les salons des deux maisons étaient positionnés en miroir, avec chacun une fenêtre sur le côté qui faisait face à l’autre, ainsi qu’une deuxième orientée vers la rue. Clara fonça vers la première (Rose se moquerait de savoir où elle faisait le guet du moment qu’elle ouvrait l’œil). A peine avait-elle changé de poste d’observation que le salon de Mme Orchard s’allumait, à son tour. De là où elle était, rien ne lui échappait. Elle vit Moïse émerger de sous le canapé (sa cachette de prédilection en présence d’inconnus) et filer par la porte entrebâillée à l’autre bout de la pièce - si vite que l’homme n’eut pas le temps de le remarquer. Sans doute allait-il traverser ensuite le local à chaussures pour rejoindre le jardin. Il y avait trois portes dans le local en question. L’une ouvrait sur le salon, l’autre sur la cuisine et la dernière, dotée d’une chatière, sur l’extérieur. “Il s’est esbigné”, aurait dit Mme Orchard. Elle était la seule personne que Clara ait jamais entendu utiliser ce mot, “s’esbigner”.  
   
Elle-même était passée donner à manger à Moïse une heure plus tôt environ. Matin et soir, elle s’autorisait à quitter quelques instants sa place près de la fenêtre afin de tenir la promesse faite à Mme Orchard de veiller sur son chat pendant son séjour à l’hôpital. Rose comprendrait.” 

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