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"Perspective(s)", un polar épistolaire haletant de Laurent Binet au cœur de Florence et de la Renaissance

En 1557, le peintre Pontormo est assassiné devant les fresques qu'il réalisait depuis onze ans. Giorgi Vasari, l'homme de confiance du duc de Florence, est chargé de l'enquête. "Perspective(s)", le dernier roman de Laurent Binet, est une correspondance pleine d'humour et de suspense.
Article rédigé par Juliette Pommier
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 5min
En 2019, Laurent Binet remporte le grand prix de l'Académie française pour "HHhH", récit de l'assassinat de Reinhard Heydrich, chef de la Gestapo et planificateur de la solution finale. (JULIEN DE ROSA / EPA via MaxPPP)

De Laurent Binet, on connaît le goût pour les récits mêlant fiction et histoire. Après l'uchronie Civilizations (2019) et le génial HHhH (2010), prix Goncourt du premier roman, c'est tout naturellement que l'écrivain revient en librairies, le 16 août, avec une pépite du genre, Perspective(s), un récit publié chez Grasset.

À la croisée du roman épistolaire, du polar et du récit historique, ce nouvel ouvrage embarque les lecteurs dans la Florence des peintres, en plein cœur de la Renaissance italienne. Sur la piste d'un assassin et d'un tableau volé, pas moins de vingt correspondants, issus de tous milieux, s'échangent plus de 170 lettres, au cours de l'année 1557.

Meurtre à Florence

Qui a tué le Pontormo ? Grande figure du maniérisme et ancien élève de Léonard de Vinci, ce peintre admiré par ses pairs a toute la confiance du duc de Florence, Cosimo Ier. Il a été mandaté pour réaliser les fresques monumentales de la chapelle San Lorenzo de Florence. Voilà onze ans que le peintre travaillait, nuit et jour, pour terminer "la rivale de la chapelle Sixtine". Son corps a été retrouvé au pied des fresques, "avec un ciseau fiché dans le cœur, juste en dessous du sternum". Et pourquoi l'artiste semble-t-il avoir retouché son œuvre peu de temps avant sa mort ? Pour résoudre l'enquête, le duc de Florence Cosimo Ier dépêche Giorgio Vasari, son plus fidèle serviteur.

Le tout premier historien de l'art fait appel à Michel Ange, désormais octogénaire et exilé à Rome, pour l'aider. Les deux amis doivent s'appuyer sur leurs connaissances picturales et leur réseau d'artistes pour rassembler des indices et confondre le meurtrier. Les suspects sont nombreux et le temps presse : Cosimo est menacé par un complot. La reine de France Catherine de Médicis, sa cousine, rêve de reprendre la main sur le duché. Elle a trouvé en Piero Strozzi, républicain convaincu et ennemi de toujours du duc, le parfait allié pour renverser le pouvoir.

Mais la reine de France n'est pas la seule à contester l'autorité du duc. Les fervents défenseurs de l'ancien prédicateur Savonarole, qui exècrent les silhouettes dénudées des peintures de Pontormo et ses contemporains – des "sodomites dégénérés aux mœurs bestiales, dont l’âme doit rôtir en enfer"–, prolifèrent dans les couvents toscans.

Des temps "bien cruels pour les défenseurs de l'art"

Dans cette Florence médiévale, habitée par des ambitieux, des fanatiques et des opportunistes, Laurent Binet brouille les pistes. Nobles, artisans et bourgeois, tous les personnages sont suspects. Et ils sont nombreux, plus d'une vingtaine de protagonistes. En ces temps "bien cruels pour les défenseurs de l’art et de la beauté", chacun tente de tirer son épingle du jeu.

Jouant sur la polysémie de Perspective(s), Laurent Binet n'offre pas seulement une leçon de peinture. Derrière les luttes de pouvoir entre les puissants et les questionnements esthétiques d'une génération d'artistes, l'écrivain donne à voir les luttes sociales de l'époque. La colère des ouvriers, trop souvent méprisés par les peintres, gronde dans les ateliers. "Nos salaires et nos droits, voilà ce qui nous intéresse. La misère et la faim, voilà ce qui nous préoccupe."

Le romancier teinte aussi son roman de références classiques. Impossible, à la lecture de certaines lettres, de ne pas penser aux Liaisons dangereuses (1782) de Choderlos de Laclos. La correspondance entre Maria, fille de Cosimo, et Catherine de Médicis répond à celle de Cécile de Volanges et Madame de Merteuil. Froide et calculatrice, la reine de France est un personnage cynique et profondément lucide sur sa condition. "Moi aussi, jadis, j'ai rêvé d'amour. Mais la lourde croix d'être née Médicis, ajoutée à l'infortune d'être une femme, m'a tôt fait comprendre qu'il n'était pas dans les plans de notre Seigneur que sa créature goûtât trop d'insouciance et de félicité."

De ce jeu de dupes, souvent bien cruel, seuls les plus rusés sauront triompher, car la clef de l'énigme réside dans les fresques du Pontormo.

La nouvelle fresque historique de Laurent Binet, "Perspective(s)" (2023), plonge le lecteur dans une affaire de meurtre, à Florence, au XVIe siècle. (Editions Grasset)

Perspective(s), Laurent Binet (éditions Grasset - 304 pages - 21,50€, parution le 16 août 2023)

Extrait :

“Cela étant dit, puisque tout tourne autour de l’assassinat du Pontormo, nous suivons d’autres pistes dont je peux assurer Votre Excellence qu’elles sont dans un état d’avancement promoteur et ne manqueront pas de porter leurs fruits sous peu, à savoir la recherche de la femme qu’on a vue au logis du peintre, ou cette bizarrerie observée sur l’un des panneaux de San Lorenzo, que je suis retourné voir pour constater que les couleurs sur la partie retouchée s’étaient, en séchant au fil des jours, en quelque sorte séparées de celles du reste du tableau, s’en distinguant légèrement, si bien que la partie retouchée est désormais nettement visible, ce qui ne peut signifier qu’une seule chose : celle-ci a été peinte par un peintre très habile mais pas par Pontormo"

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