"Orchidéiste" de Vidya Narine, un premier roman entre drame intime et pamphlet écologique

Avec l'"Orchidéiste" Vidya Narine transporte le lecteur sur la piste de l'orchidée, des fleuristes parisiens aux serres hollandaises, en passant par le Guatelama.
Article rédigé par Juliette Pommier
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 4 min
Vidya Narine publie son premier roman "Orchidéiste" le 23 août 2023. (© Chloé Vollmer-Lo)

C’est en entrant par hasard dans une boutique d’orchidées que l’idée lui est venue. En discutant avec le propriétaire des lieux, Vidya Narine découvre que ces fleurs ne sont pas seulement blanches et vouées à décorer des halls d’hôtels ou des instituts d’esthétique. Car derrière la très grande beauté des orchidées, vieilles de plus de quatre-vingts millions d’années, se cache l’histoire bien plus sombre de l’exploitation à outrance des ressources naturelles.

Avec L'orchidéiste, un premier roman poétique et engagé, Vidya Narine propose au lecteur une réflexion sur notre mode de vie effréné, bercé par la surconsommation et éloigné du vivant. L'ouvrage est à paraître aux éditions Les Avrils, le 23 août.

S'occuper des orchidées, sept jours sur sept

Dans sa petite boutique “dissimulée entre le jardin du Palais-Royal, la Comédie française et la place des Victoires”, Sylvain prend soin de plantes plus âgées que les dinosaures. Il est orchidéiste. Sept jours sur sept, il taille, nourrit, fait pousser des orchidées aux couleurs et aux formes variées. Il faut satisfaire des clients toujours plus exigeants. Qu’ils veuillent acheter “ce qu’il y a de plus cher” pour fleurir leur maison de centaines de plants, même s’ils ne sont “quasiment jamais” chez eux. Qu’ils viennent dénicher une nouvelle espèce rare pour compléter leur “serre ancienne”. Ou qu’ils cherchent de quoi “affirmer quelque chose, un statut social, un standing”.

Depuis la nuit des temps, les orchidées fascinent. Pourtant, Sylvain s’interroge. À l’heure où des fermes hollandaises, allemandes ou asiatiques géantes peuvent se targuer de contrôler la floraison, “prévue à date et heure exacte du marché”, à quoi bon continuer un travail aussi épuisant ? Mais “que pourrais-je faire d’autre ? [...] Et à dire vrai, pourrais-je être un autre que celui qui connaît l’orchidée dont chacun a besoin” ? Une consultation chez l'ostéopathe aura raison de ses doutes : “vous avez des symptômes d’accidenté de la route”, lui assène le médecin. L’orchidéiste doit s’y résoudre : il lui faut trouver un successeur.

Mais comment transmettre lorsque l’on a été privé de racines ? Sylvain a perdu son père, encore enfant. Ce père qui n’a pas su apprendre “la langue du charbon, de l’acier et des révolutions industrielles” de ses ancêtres, riches industriels de la Sarre. Un homme pour lequel l’injonction à l’accroissement des richesses familiales était impossible à entendre. Rejeté par ses proches et étranglé par la morale bourgeoise, il s’est suicidé. Voilà ce qui arrive à “celui qui a tout mais refuse de se battre”.

"Forgerons aux joues noires" devenus grands "bourgeois"

En entremêlant le drame intime d’un homme au récit de l’exploitation des richesses naturelles, Vidya Narine interroge le lecteur : l’avenir doit-il toujours être entendu sous le prisme du progrès ? Nourrie par des recherches minutieuses, l’auteure s’est plongée dans les récits de voyage d’explorateurs du XIXe siècle, les journaux de marins du XVIe et des études contemporaines pour raconter L’orchidéiste et ses fleurs.

Construit selon une alternance de chapitres consacrés à Sylvain et de flash-back historiques, le roman traverse les époques. À l’émerveillement des botanistes européens pour cette plante aux trente mille espèces, succède l’épopée familiale des industriels de la Sarre, anciens “forgerons aux joues noires de suie” devenus grands “bourgeois”. L’après-guerre marque un tournant : dans “la capitale mondiale des orchidées”, à Bussy-Saint-Georges, les pépiniéristes Vacherot & Lecoufle ont découvert une technique de clonage des bulbes “avant les Américains, avant tout le monde en somme”. Un succès de courte durée.

Un pur produit de la mondialisation

Dans les années 1980, l'orchidée devient un pur produit de la mondialisation : alors que le père de l'orchidéiste claque la porte du domaine et signe la fin d’une dynastie sidérurgique qui a “construit son pays”, le géant des fleurs exotiques Ter Laak déferle sur le marché. Les Phalaenopsis ne sont plus cultivées dans la jungle, mais à des milliers de kilomètres de là, au Guatemala, dans des "serres aux technologies hollandaises brevetées". Absurdité doublée d'une injustice criante, héritée de la colonisation. "On n’y trouvera pas d’employés guatémaltèques qui auraient pu saisir là une opportunité face au chômage galopant”, mais des “robots développés et pilotés depuis l’Europe qui prendront soin de ces millions d’orchidées arrosées d’engrais européen, sous des serres et des pots en plastique européens."

De son écriture poétique et imagée, Vidya Narine dresse le portrait bien sombre d'un monde à bout de souffle. Pour Sylvain et ses contemporains, l'espoir subsiste peut-être dans "un murmure en lui", qu'il faut choisir ou non d'écouter. "Presque rien, la naissance d'un désir."

"Orchidéiste", Vidya Narine, 2023. (Editions Les Avrils)

Orchidéiste, Vidya Narine (éditions Les Avrils - 144 pages - 18€, parution le 23 août 2023)

Extrait : p18

"De l'orchidée je ne savais rien, rien de ses trente mille espèces suspendues à la canopée d'Amazonie, aux falaises des plages noires d'Islande et à toutes les caisses des Leroy Merlin. Leur légion, déployée partout sur la planète sauf aux pôles, m'intéressait peu, je trouvais même l'orchidée obscène avec sa gueule de sexe béant maquillé comme un camion volé, plus racoleuse qu'un masque de carnaval, l'air embaumé tant sa floraison paraît immuable. [...] Tout autour de moi, dans son parfum vert et moite, cette inconnue avec qui j'allais passer les prochaines années de ma vie affichait ses colifichets de séductrice, ailes de soie mouchetée, vulves orange comme des cris ou tendres comme le poitrail du colibri, feuilles en sucre d'orge et bulbes doux comme des malléoles."

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