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Prix Renaudot 2021 : dans "Premier sang", Amélie Nothomb se glisse dans la peau de son père pour lui dire adieu

Le père d'Amélie Nothomb, Patrick, meurt en mars 2020, en plein confinement, et elle ne peut lui dire au revoir. Elle décide alors de lui dédier un ouvrage, "Premier Sang", où elle lui rend la vie, en le faisant parler à la première personne. Ce roman vient de décrocher le prix Renaudot 2021.

Article rédigé par franceinfo Culture - Camille Bigot
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 3 min
L'écrivaine Amélie Nothomb. (Photography agency Iconoclast Image © Jean-Baptiste Mondino)

On le sait, il n'y a pas de rentrée littéraire sans l’annuelle publication d'Amélie Nothomb, aux éditions Albin Michel. Ce cru 2021, Premier Sang, a une saveur particulière : l'oeuvre n'est pas anodine, elle est particulièrement intime. Elle a su attirer l’œil de la critique et d'un jury de prix littéraire important, le Renaudot.

Adepte des biographies romancées où elle se met régulièrement en scène, l’autrice redonne vie cette fois, dans son 32e roman, à son père, Patrick Nothomb. Et à la première personne. Elle, qui confiait enfanter ses écrits, prolonge la métaphore avec en ouverture une citation du dramaturge Sacha Guitry : "Mon père est un grand enfant que j’ai eu quand j’étais tout petit."

L’histoire : Amélie Nothomb se glisse dans la peau de son père. Ce dernier, devenu narrateur, raconte son enfance dans les années 1940, à travers les yeux d’un garçonnet. Le doux Patrick - marqué par la mort de son père et le désamour de sa mère – est élevé par ses grands-parents maternels, dans un milieu aristocratique. Une enfance entrecoupée de séjours chez son grand-père paternel, Pierre Nothomb. Séjours spartiates à l'éducation carrément darwinienne, aux côtés d'une horde d’enfants sauvages. De quoi endurcir Patrick qui, une fois adulte, doit survivre à une prise d’otage au Congo.

La volonté de vivre face au peloton d’exécution

La construction du roman est savamment pensée. En première page, le personnage se retrouve face à un peloton d’exécution. Une entrée en matière saisissante : sur le point de mourir, la sensibilité du narrateur est décuplée. Jeté au sol, le corps à même la terre, il se réjouit de ce contact, si incarné, avec sa planète "charmante". Chaque détail alentour est commenté : lumière, odeurs. Une paradoxale joie de vivre se dégage de ces premières lignes. Puis s’en suivent 180 pages de flashback, où le narrateur voit défiler sa vie, du moins jusqu’à ses 28 ans, avant la naissance de sa fille. Amélie Nothomb, la véritable autrice, ne parle que de ce qu'elle n'a jamais vécu.

Le roman ne ressemble en rien à un hommage traditionnel. En donnant la parole à son père, l’autrice s’efface totalement, si bien que sans la correspondance des noms de famille, le lien filial n’aurait pas été perceptible. Le personnage vit de manière autonome, mis en mouvement par les mots malicieux de la romancière. Alors qu’on l’imaginait mélancolique, le livre est solaire, comme lorsque l’autrice s’amuse à raconter l’énergie sauvageonne des petits Nothomb, ou se moque de la poésie d’un grand-père un peu loufoque.

Sang 

L’écriture glisse d’une période à l’autre de la vie du narrateur avec une fluidité déconcertante. Sans que l’on s’en rende compte, Patrick a 15 ans et fait une découverte : il s’évanouit à la vue du sang. Référence au titre. Mais pas seulement. Difficile de ne pas penser au "lien du sang" unissant si bizarrement les membres d’une même famille. Quoi qu’il en soit, pour le narrateur, cela devient "un handicap non négligeable"… ou pas ! C’est après l’un de ses nombreux évanouissements qu’il arrive enfin à attirer une fille - son premier amour - venue à sa rescousse. L’anecdote fait sourire, encore une fois. Mais elle est fondatrice.

Alors que rien ne l’y prédestinait – surtout pas sa phobie du sang – il devient héros malgré lui. Lors d’une prise d’otage au Congo orchestrée par des rebelles en 1964, il se propose comme négociateur. De nombreuses bribes de palabres entretenues avec ses bourreaux parviennent au lecteur, lui donnant la sensation de lui aussi tourner en rond, esquiver, éluder, jusqu’à la dernière page du roman. Retour au peloton d’exécution. La boucle est bouclée, avec cette phrase finale (que l'on vous taira), d’une simplicité étonnante qui annonce de manière déguisée, pleine d’espoir, la naissance d’Amélie Nothomb.


Rencontre pour le journal de 13 heures

Amélie Nothomb : elle rend hommage à son père avec son dernier livre
Amélie Nothomb : elle rend hommage à son père avec son dernier livre Amélie Nothomb : elle rend hommage à son père avec son dernier livre (FRANCE 2)


La couverture du roman d'Amélie Nothomb, Premier Sang, août 2021. (Photography agency Iconoclast Image © Jean-Baptiste Mondino)

"Premier sang", d'Amélie Nothomb (Albin Michel, 180 pages, 17,90 €)

Extrait

"On me conduit devant le peloton d'exécution. Le temps s'étire, chaque seconde dure un siècle de plus que la précédente. J'ai vingt-huit ans. En face de moi, la mort a le visage de douze exécutants. L'usage veut que parmi les armes distribuées, l'une soit chargée à blanc. Ainsi, chacun peut se croire innocent du meutre qui va être perpétré. Je doute que cette tradition ait été respectée aujourd'hui. Aucun de ces hommes ne semble avoir besoin d'une possibilité d'innocence." (Premier Sang, p9)

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