"Du même bois" de Marion Fayolle : une ferme, quatre générations et d'insécables racines
Dessinatrice de presse et autrice de bande dessinée, Marion Fayolle publie Du même bois chez Gallimard et troque ses crayons pour écrire l’histoire d’une ferme et de ses habitants. De la mémé au jeune veau en passant par la gamine et l’orphelin, la romancière esquisse tout un monde qui gravite autour de l'étable familiale. Un récit qui sonde et chérit les racines.
L'histoire : Quelque part en Ardèche, une bâtisse dont la longueur est telle qu’il faut s’en écarter pour la contempler tout entière. Ses murs de pierres abritent trois générations d’éleveurs et une très grande lignée de bovins. Autour, il y a les poules, les lapins, les prairies et les arbres. Dans ce paysage à l’horizon inviolé, toute la famille met la main à la pâte. Les jeunes et les anciens cohabitent, s’occupent des bêtes. Chaque nouvel être vient au monde avec une mission sur les épaules : reprendre la ferme parentale.
Sans éclipser les autres membres de la famille, la perspective de la petite dernière constitue le centre du récit. Son regard dévoile la beauté de la terre et du pelage des vaches. Il dévoile aussi ses rêves et ses angoisses. Ses angoisses justement, sa mère ne voit que ça. La gamine porte en elle les failles de ses ancêtres. Dans un monde où les blessures du paysage imprègnent les hommes et leurs enfants après eux, dans une vie où l'on transmet ses monstres comme on transmet sa ferme, quelle place reste-t-il à la dernière-née pour mener sa propre histoire, sculpter son être dans un même bois ?
Des bêtes en héritage
Le pépé, la mémé, la mère... Les personnages de Marion Fayolle semblent tout droit sortis d'un jeu de sept familles. Aucun d'entre eux n'est désigné par un prénom ou un nom. Les personnages sont des types. Ils représentent une génération d'éleveurs. Les jeunes rêvent d'ailleurs, "imaginent une vie à eux, qui ne serait pas celle des parents, qu’ils auraient réussi à inventer tout seuls". Les vieux ne veulent pas vivre sans les bêtes et craignent le départ des jeunes.
Les perspectives radicalement différentes des personnages n'en font toutefois pas des êtres que tout oppose. Bien au contraire. Avec une démarche presque naturaliste, Marion Fayolle questionne l'hérédité. On hérite de la terre de ses parents, de leur étable, de leur cheptel. Pas seulement. On hérite aussi d'une sensibilité, d'un univers mental. La petite dernière hérite des bêtes qui broutent et de celles qui trottent dans la tête, envahissent le quotidien et contre lesquelles il faut lutter. Un monde magique qui se promène de génération en génération, marque au fer les nourrissons, les suit où qu'ils aillent.
Mots d'amour à la ruralité
"Dès l'enfance, ils ont appris à dormir avec l'odeur des bêtes, avec leurs meuglements, le bruit des chaînes quand elles se grattent, celui des corps lourds qui tombent pour se reposer, des jets d'urine sur les grilles, des bouses qui s'éclatent sur la dalle". Marion Fayolle ne lisse par la réalité du quotidien des éleveurs. Au fil des pages, elle relève les odeurs, la fatigue et les bruits. Mais elle évoque aussi la joie, les parties de cartes, les chants de la mémé et, parce qu'il est là, l'amour pour le troupeau.
Du même bois est le récit d'un monde qui disparaît. Le livre de Marion Fayolle le fait brillamment vivre. Avec quelques mots de patois et le dépoussiérage des clichés d'un vieil album, l'autrice plonge à bras-le-corps dans une paysannerie qui s'éteint. Et si les enfants partent et que le silence s'immisce dans l'étable, elle ne manque pas d'écrire la force de leur attachement à la terre, de montrer qu'il est possible d'avoir, tout à la fois, des racines et des ailes.
"Du même bois" de Marion Fayolle (Gallimard, 113 pages, 16,50 euros).
Extrait : "Parfois, le pépé et la mémé ont du mal à deviner si c'est les vaches qui tapent ou si c'est le corps du beau-frère, derrière l'autre mur, qui tombe d'avoir trop bu. Tant que les cloisons parlent, meuglent, miaulent, ronflent, ça ne les inquiète pas. C'est le silence qui serait grave. Quand on les invite dans d'autres maisons, ça les angoisse qu'il n'y ait rien derrière les murs, aucune vie collée à la leur, aucune odeur pour fuiter sous les portes.
Le pépé répète souvent que le jour où il n'y aura plus de bêtes, ça ne sera plus vivable. Ça la rassure un peu la gamine, même si elle sait qu'il ne parle pas exactement des mêmes bêtes." (Du même bois, pages 50-51).
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.