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"Les Dîners de Gala" : à la table de Salvador Dali, peintre et gastronome

Vraie curiosité que ce livre de cuisine de Salvador Dali, chef d'œuvre surréaliste du genre paru en 1972 et réédité aujourd'hui par Taschen. Le peintre espagnol savait recevoir. Lui et sa muse Gala avaient compilé dans ce recueil 136 recettes des plus grands chefs de l'époque qui les régalaient. Une bible culinaire forcément délirante, abondamment illustrée de photos et de toiles du maître catalan
Article rédigé par Laure Narlian
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 3 min
"Les Dîners de Gala" de Salvador Dali Page 32 et couverture de l'édition internationale.
 (Taschen)

Dali voulait être "cuisinière"

Dali était un passionné de cuisine. Dès l’âge de 6 ans, il avait exprimé le vœu de devenir "cuisinière". Plus tard, il élabora sa propre mystique gastronomique. "Dans ma vie quotidienne, tout geste devient rituel", écrit-il dans ce livre. "L’anchois que je mâche participe, de quelque façon, au feu qui m’éclaire. Je suis la demeure d’un génie. Cela me contraint à soigner cette demeure, et je me soumets à la contrainte, j’obéis avec joie à cette Sainte Inquisition."

Avec sa muse et épouse Gala, le peintre catalan organisait des dîners mondains entrés dans la légende. On peut en approcher avec ces "Dîners de Gala", paru initialement en 1972 à quelques centaines d’exemplaires et depuis certifié "collector".

"Les Dîners de Gala" de Salvador Dali, pages 104-105.
 ((c) Salvador Dalí. Fundació Gala-Salvador Dalí, Figueres, 2016)

136 recettes élaborées par de grands chefs

Somptueusement illustré par Dali, ce recueil réunit 136 recettes forcément surréalistes aux ingrédients étranges, mais toutes réalisables et mangeables. Œufs à la broche, Soufflé de boudin aux marrons, Cervelle de bœuf au bacon, Escalopes de veau fourrées aux escargots, Buissons d’écrevisse aux herbes des Vikings : il s’agit d’une cuisine d’un autre âge, concoctée en partie par de grands chefs français de maisons étoilées : La Tour d’Argent, Maxim’s ou Lasserre.

Sur les photos, Dali pose devant des tables chargées de mets apprêtés et disposés sous les ors comme pour un banquet de rois. L'occasion de vérifier combien l’esthétique culinaire a changé en quarante ans.

"Les Dîners de Gala" de Salvador Dali, pages 20-21.
 ((c) Salvador Dalí. Fundació Gala-Salvador Dalí, Figueres, 2016)

Délices aphrodisiaques et autres spoutniks astiqués

Les intitulés des chapitres comme "Les Suprêmes de malaises lilliputiens" (les entrées) ou "Les spoutniks astiqués d’asticots statistiques" (escargots, grenouilles), sont particulièrement loufoques. Consacré aux délices aphrodisiaques, le chapitre "Je mange Gala" est plein de promesses. Piment, gingembre et poivre sont bien entendu à l’honneur dans le Cocktail Casanova ou la Purée d’Aphrodite. Mais le symbole règne aussi en maître : ainsi, la Culotte de bœuf aux laitances, Les tétons de Vénus ou le Rumstek Eros qui consiste en un rumstek farci d’une saucisse…

Dali met en garde en préambule : "Si vous êtes un disciple de ces peseurs de calories qui transforment les joies d’un repas en punition, refermez ce livre, il est trop vivant, trop agressif et bien trop impertinent pour vous."

On ajoutera : végétariens, passez votre chemin. Car le peintre à la moustache relevée affectionne la viande, le gibier et les abats, souvent mis en scène de façon morbide dans ses illustrations et ses textes (le chapitre "Chairs monarchiques" et son oison cuit vif). Il y a chez lui un plaisir sado-masochiste revendiqué à "manger des êtres cuits et vivants", raffinement suprême qu’il compare au Sacrement Eucharistique des catholiques : "avaler Dieu – vivant".

"Les Dîners de Gala" de Salvador Dali, pages 172-173
 ((c) Salvador Dalí. Fundació Gala-Salvador Dalí, Figueres, 2016)

Extase holographique

Plus qu’à ses recettes, ce livre à la luxueuse jaquette dorée vaut surtout pour les illustrations somptueuses du peintre surréaliste. "D’après mes plans", dit-il, cet ouvrage "doit transformer l’art de manger en extase holographique."

Oeufs au plat façon montres molles, volailles têtes de mort, pièces de bœuf géantes, montagne d’écrevisses sanguinolentes, citations et clins d’œil répétés à Jérôme Bosch, collages mêlant cygne, écrevisses et brosse à dents : tout concourt à causer un choc esthétique et à faire de ce beau livre un must pour les amateurs de surréalisme.

"Les mâchoires de mon esprit sont en mouvement perpétuel", disait Dali. "Il faut qu’on me dise qu’un plat est exceptionnel pour que mes papilles frémissent." Tenez vous le pour dit : cette bible du goût dalinien est avant tout une nourriture de l’esprit.

"Les Dîners de Gala" de Salvador Dali (Taschen, 49,99 euros)
"Les Dîners de Gala" de Salvador Dali, pages 164-165.
 ((c) Salvador Dalí. Fundació Gala-Salvador Dalí, Figueres, 2016)

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