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"L’Art de l’icône" : une mystique de l'image décryptée

"L’Art de l’icône" constitue une étude majeure sur cette plastique emblématique de la chrétienté. Tania Velmans, historienne de l’art, spécialiste de la civilisation byzantine, s’efforce, à travers un choix iconographique remarquable, de retracer le chemin de la pensée, du discours et de la technique aboutissant à une mise forme du mystère divin par la médiation de cet objet sacré.
Article rédigé par Jacky Bornet
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 3 min
École de Novgorod - Saint Georges et le dragon (détail) - Peinture, 89 x 63 cm - Saint-Pétersbourg, musée Russe
 
 (© Photo Scala Archives, Florence)

Cette analyse, réalisée sur un millénaire (de 500 à 1450) débute à Constantinople et s’étend à la Russie, aux Balkans, à Chypre, et à l’Éthiopie.

"Icône" tire son étymologie du mot grec eikon, signifiant "image". La conception platonicienne de l’image énoncée dans Le Banquet, "une manifestation de la réalité intelligible (elle-même invisible) dans le monde sensible qui en constitue l’indispensable support", est le point d’entrée pour comprendre l’art de l’icône. Une théorie de la forme et de l’idée inspirant les Pères de l’Église qui, l’associant à la symbolique et la typologie chrétiennes, constituèrent les fondements d’une sacralisation de l’image.

Archange Michel - Plat de reliure, émail et or, 46 x 35 cm - Venise, Trésor de la cathédrale Saint-Marc
 (© Luisa Ricciarini/Leemage)
Pouvoir et action de l’icône
C’est dans l’Antiquité et parmi les théologiens et les philosophes des premiers âges du millénaire chrétien, que s’élabore l’idée d’une représentation religieuse. L’image-icône, incarnation de la pensée et de la sagesse, intermédiaire entre le ciel et le monde matériel, permet de saisir le divin et d’agir sur la conscience. Denys l’Aéropagite y voyait même un reflet de l’invisible.

L’icône est ainsi opérante. À l’inverse de l’Occident, qui voit dans l’image religieuse un objet narratif et décoratif, elle est une "émanation" qui possède son énergie propre. Elle agit sur l’affectivité, ravive la foi, constitue une protection, pour les combattants, les voyageurs… Elle favorise la paix du foyer, éloigne l’ennemi de la cité.

L’icône est également objet de culte, exigeant de la part de l’artiste, du prêtre et du fidèle une attitude, une gestuelle de vénération. Sa beauté est aussi tout empreinte d’une réflexion platonicienne qui en fait l’équivalent du Bien. Douée d’une intelligibilité immédiate, elle est vecteur d’une communication ascensionnelle, pouvant mener jusqu’à l’extase mystique.
Christ trônant (détail), déisis, vers 955 - Bois de sycomore, or, argent doré, émail cloisonné sur or, pierres précieuses et perles,
Limburg an der Lahn, cathédrale Saint-Georges, Musée diocésain et Trésor de la cathédrale
 (© Werner Forman Archive/The Bridgeman Art Library)
Ruptures et consécration des styles
Byzance succède à l’Empire romain. L’empire naissant doit répondre à de nouvelles exigences sociales, esthétiques, spirituelles. Son idéal de beauté s’établit en discontinuité avec les canons romains (stature athlétique des dieux, à l’image de la puissance de l’empire) et grecs (attitudes et modelés sensuels du corps). Les premières icônes introduisent ainsi une démarche abstraite dans le traitement de l’espace et des personnages sacrés : très peu de modelé pour figurer l’essence plus que le corps ; des silhouettes légèrement étirées, presque dématérialisées ; des yeux, "fenêtres de l’âme" agrandis, des nez et des bouches étroitisés. Le corps dominé et immobile, lieu de résolution des contradictions, exprime l’universel, la paix, l’éternité. L’espace, hors la dimension terrestre, est représenté par un aplat de couleur or, énergie et lumière divines, ou par un bleu parsemé d’étoiles.

Querelle iconoclaste, séparation des églises de Rome et de Byzance, prise de Constantinople par les croisés, émergence du culte marial, les contextes historiques, géographiques, sociaux, religieux et spirituels façonnèrent cet art. Il rayonna ainsi à travers divers courants : du classicisme byzantin à la renaissance stylistique et thématique, coexistant avec un style rétrograde qui donna naissance à un courant pictural traditionaliste.
Vierge Hodighitria, xiiie siècle - Avers de l’icône bilatérale de la Péribleptos - Peinture, 97 x 67 cm - Ohrid, église Saint-Clément, galerie des Icônes
 
 (© Photo Scala Archives, Florence)
Icônes peintes, en mosaïque, pierre, émail et métal, l’art de l’icône se propagea dans toute la sphère d’influence byzantine, mais bien au-delà, comme en témoigne la production éthiopienne. La Russie devint l’un des centres de production majeurs, avec les écoles de Novgorod, Moscou et celle, célèbre, d’Andreï Roublev, présentant une sensibilité religieuse, une construction de l’espace pictural et des champs symboliques nouveaux.

Dans cette vaste emprise historique, entre l’Orient et l’Occident, à travers les textes fondamentaux, cet ouvrage, par une approche savante et sensible, nous instruit sur la valeur artistique, théologique et sociale de cet art si particulier, nous permettant de le comprendre, l’admirer et de le ressentir.
"L’Art de l’icône", Tania Velmans, éditions Citadelles & Mazenod : première de couverture
 (Citadelles et Mazenod)
L’Art de l’icône
Tania Velmans
Paris, éditions Citadelles & Mazenod, 2013
384 pages, relié sous jaquette et coffret illustré
280 illustrations couleur
27 x 32,5 cm
Prix : 189 euros

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