Festival d’Avignon 2023 : prise de la "drogue du violeur", agressions sexuelles simulées… Carolina Bianchi raconte l’enfer des viols dans une performance à couper le souffle
Le bruit court qu’il s’agit d’une pièce où l’on ne ressort pas indemne. Les spectateurs qui assistent au spectacle de la metteure en scène Carolina Bianchi le savent. Fortement déconseillé au moins de 18 ans, A Noiva e o Boa Noite Cinderela (La mariée et bonne nuit Cendrilllon) est le premier chapitre d’une trilogie sur les violences sexuelles et leurs conséquences destructrices.
Le public est tendu, le visage fermé en attendant le début de la pièce. Carolina Bianchi arrive habillée tout en blanc pour lire en portugais des extraits de l’Enfer de Dante, ou expliquer des peintures de Botticelli inspirées d’une histoire du Décaméron de Boccace. On y voit un cavalier se livrer à une chasse à courre dont la proie est une femme. Elle finira éviscérée et dévorée par les chiens.
La violence appelle la violence
Intitulé Cadela Força (Force de salope), ce premier chapitre ressuscite l’histoire de la performeuse italienne Pippa Bacca et son œuvre Brides on tour (2008). Pippa Bacca traversait l’Europe en autostop avec une robe de mariée. Cette proposition symbolique tournée vers la paix et la rencontre s’est terminée par le viol et l’assassinat de Pippa à son arrivée en Turquie.
En racontant l’histoire de ces femmes, en analysant l’absurdité de la bonté et de la gentillesse dans notre humanité, Carolina Bianchi boit une vodka tonic dans lequel elle a déposé une pilule de sommeil, appelée au Brésil "Boa noite Cinderela" (Bonne nuit Cendrillon). Cette substance aussi intitulée "drogue du violeur", est utilisée dans les bars par les agresseurs sexuels pour agresser leurs victimes endormies.
"L’artiste doit s’auto-saboter. Le public doit cesser d’être protégé", cite Carolina Bianchi. Elle poursuit la lecture de son essai alors que les effets de la drogue se propagent. Elle ne parvient presque plus à lire, se cogne sur son micro, puis finit par s’allonger sur la table blanche au milieu de ses notes. Elle multiplie les références sur des performances de l’extrême qui ont marqué l’histoire du théâtre, jonchées de scarifications, d’automutilations ou de plongées dans des cadavres d’animaux.
Danse macabre
Trois ou quatre minutes passent. Le public qui attendait en silence que la metteure en scène tombe sous les effets de la pilule, est maintenant mal à l’aise, pétrifié par ce qui risque de se passer. Des comédiens débarquent et portent le corps inanimé de Carolina qu’ils commencent à déshabiller pour la laisser en nuisette.
Ils étirent une immense bâche noire qui dévoile une voiture noire pendant que d’autres placent des linceuls en plastique transparent qui montrent les différents états de décomposition d’un corps humain, de la chair en putréfaction au squelette ou aux restes de poudre blanchâtres.
Les scènes, qui se succèdent, captent notre attention sans jamais la laisser s’évaporer tant le spectateur est tétanisé et happé par la présence inerte de Carolina Bianchi. Quand va-t-elle se réveiller ? Que risque-t-elle ?
Deux écrans retranscrivent ce que la metteure en scène voulait dire avant de succomber. Les performeurs se dandinent dans une danse macabre endiablée après s’être imbibés d’alcool au sens propre de l’expression, en se vidant des bouteilles sur le corps. L’une d’entre elles, semble se faire violer par la carcasse métallique de la voiture dans des cris terrifiants.
La mise en scène est sombre, resserrée, inquiétante presque morbide. Carolina Bianchi se fait enfermer dans le coffre de la voiture avant de se faire allonger sur le capot. Les huit performeurs se rapprochent de se corps vulnérable et faible comme des charognards. Le reste de ce moment appartient à ceux qui assisteront au spectacle.
"A Noiva e o Boa Noite Cinderela", chapitre 1 de la trilogie "Cadela Força" au Maillon Théâtre de Strasbourg Scène européenne les 31 janvier, 1er et 2 février 2024.
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