Découvrez au musée de la Toile de Jouy l'étonnante rencontre entre le livre et les étoffes
Deux expositions au Musée de la Toile de Jouy et à la Maison de Chateaubriand font découvrir la richesse et la singularité des liens entre les étoffes et la littérature. La première aborde "La littérature dans les indiennes aux XVIIIe et XIXe siècles", la seconde en 2022 se penchera sur "Les étoffes dans la littérature au XIXe siècle".
C'est une thématique étonnante et passionnante, le lien entre le livre et les étoffes : qu’elles soient tendues sur les murs, encadrant les portes et fenêtres ou ornant le mobilier, les étoffes d’ameublement inspirent la littérature, et réciproquement. Avec La littérature dans les indiennes aux XVIIIe et XIXe siècles, le musée de la Toile de Jouy explore les thèmes littéraires et musicaux qui ont inspiré les arts décoratifs, en particulier ceux des indienneurs (ndlr, les fabricants d'étoffes) pour concevoir des toiles imprimées servant à décorer les intérieurs.
Cette exposition (jusqu'au 27 mars 2022) sera suivie par Les étoffes dans la littérature au XIXe siècle (à partir du 22 janvier 2022). La maison de Chateaubriand et la maison Pierre Frey y traiteront de l’intérêt des écrivains pour les textiles aussi bien dans le décor de leurs intérieurs que dans la narration de leurs romans.
Alain Montandon, professeur en littérature comparée à l'Université de Clermont-Ferrand, et commissaire de l'exposition La littérature dans les indiennes aux XVIIIe et XIXe siècles, nous a servi de guide et a décrypté une des toiles exposées au Musée de la Toile de Jouy. Rencontre et explications passionnantes.
Un support privilégié pour la représentation de thèmes littéraires et musicaux
Au XVIIIe siècle, Christophe-Philippe Oberkampf s’installe à Jouy-en-Josas pour y créer sa manufacture d’impression sur coton. Sous Napoléon, cette manufacture est la troisième entreprise de France. Plus de 30 000 motifs y sont créés durant les 83 années d’activité : d’abord inspirés des étoffes provenant des Indes, ils font peu à peu place à des jardins exotiques, des fleurs des champs, des figures géométriques et des scènes à personnages. La toile de Jouy est une étoffe de coton (dite indienne) sur laquelle sont représentés des personnages avec décors ou paysages.
C'est grâce aux progrès de l’indiennerie et de l’impression "en cuivre" que les toiles à personnages deviennent alors un support privilégié pour la représentation de thèmes littéraires et musicaux. Elles s'imposent comme un nouvel art décoratif : outre leur fonction idéologique et mémorielle, elles ont aussi une fonction pédagogique dans le milieu familial pour les adultes comme pour les enfants.
"Parcourir toute la culture d'une époque à travers ces toiles"
Dans l'exposition Étoffes et littérature. La littérature dans les indiennes aux XVIIIe et XIXe siècles, la juxtaposition de 41 toiles, d’objets d’art (gravures, livres, tableaux...), d’éléments décoratifs (papiers peints, fragments d’architecture, fauteuils, lits, rideaux...) et industriels (cartes à jouer, éventails, pendules, paravents....) montrent cette influence de la littérature dans les arts décoratifs. Ils sont complétés par des extraits de textes explicatifs.
La sélection des toiles présentées, ici, s'est faite en raison de l'intérêt littéraire, esthétique et de leur disponibilité : "certaines toiles en mauvais état ont dû être réparées", explique le commissaire d'exposition avant d'ajouter : "c'est très intéressant de parcourir toute la culture d'une époque à travers ces toiles". Pour le professeur en littérature comparée à l'Université de Clermont-Ferrand, "elles reflètent non seulement le goût mais aussi les grandes passions de l'époque comme la littérature et l'opéra comique. Pour cette raison, l'exposition les analyse sous l'angle des désirs (d’ailleurs, d’histoire, d’amour, d’aventure, d’émerveillement et de moralité)".
"Il y a des ouvrages qui ont survécu et sont restés à la mode comme Chateaubriand, Racine, La Fontaine, ce sont de grands classiques", précise encore Alain Montandon, "mais il y a aussi beaucoup d'oeuvres qui étaient à l'époque des blockbusters extraordinaires comme les romans de Sophie Cottin, archi connus et disponibles dans de très nombreuses éditions. Ainsi son roman Mathilde - qui raconte les amours d'une chrétienne et d'un musulman pendant les croisades - a fait l'objet de très nombreuses gravures et de toiles ainsi que d'objets dérivés".
Des thèmes chers à Oberkampf dans "Paul et Virginie"
Alain Montandon nous décrypte une des toiles illustrant un roman qui a eu, explique-t-il, "énormément de succès" : Paul et Virginie de Jacques-Henri Bernardin de Saint-Pierre (1788). Cette toile bistre, dessinée par Jean Baptiste Huet et gravée par Georges Lemeunié, a été faite à la manufacture d'Oberkampf en 1803. "Cette grande toile de coton de 2 x 1,4 mètres, imprimée à la plaque de cuivre, offre un coloris bistre très joli. C'est une des marques distinctives de la manufacture d'Oberkampf qui privilégiait trois couleurs : le bistre, le bleu et parfois un coloris plus foncé".
Le commissaire souligne aussi que l'on retrouve sur cette toile de grands thèmes chers à Oberkampf : le goût pour la nature, les végétaux et les animaux. "Une des grandes passions d'Oberkampf était ce rapport à la nature pastorale. Là, en plus, c'est la nature de l'ïle de France (ndlr : l'actuelle île Maurice) et cette végétation exotique que l'on se plaît à montrer a aussi charmé ceux qui possédaient ces toiles".
Comme une bande dessinée
Les indienneurs choisissaient des moments particuliers du roman, significatifs de l'histoire. Pour Paul et Virginie, les scènes ne sont pas mises les unes à la suite des autres comme c'est le cas, par exemple, dans la toile Le meunier, son fils et l'âne de La Fontaine, où l'on suit toute l'histoire comme une bande dessinée. Pour Paul et Virginie, il y a une répartition assez aléatoire des gravures, ce qui donne beaucoup de mouvements et invite le regard du spectateur à errer d'une scène à l'autre.
Le commissaire d'exposition insiste aussi sur le fait qu'ici "il y a un effet de profondeur réalisé grâce à la juxtaposition de gravures plus grandes et d'autres plus petites", créant un mouvement très intéressant. "Par exemple, lorsque Madame de la Tour et Marguerite, avec leurs deux bébés, parlent déjà mariage pour leurs deux enfants, c'est une scène assez importante. En revanche dans la scène où Virginie part pour l'Europe et où l'on voit la mère de Virginie qui tend le bras vers le bateau qui va s'éloigner, là le dessin est plus petit. Il en est de même lors du naufrage du bateau lorsque Paul est couché sur le cadavre de Virginie, là encore l'image est plus petite".
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