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Woody Allen est-il devenu un cinéaste de cartes postales ?

Depuis une dizaine d'années, les films du réalisateur américain se déroulent généralement dans des villes européennes : Londres, Paris, Barcelone, Rome... Un peu trop cliché ?

Article rédigé par Ariane Nicolas
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
Le réalisateur américain Woody Allen s'adresse à ses acteurs sur le tournage de "To Rome with love", à Rome (Italie), le 21 juillet 2011. (PHILIPPE ANTONELLO / AP / SIPA)

Vicky Cristina Barcelona, Midnight in Paris, To Rome with Love... Suivez-mon regard. Depuis une dizaine d'années, Woody Allen joue à saute-mouton avec les métropoles européennes pour tourner ses films. Celui qui se présente comme "un réalisateur européen" a déjà écumé quatre grandes villes du Vieux continent (Londres, Barcelone, Paris et Rome). Avec, à chaque fois, une impression de carte postale, récemment moquée par le site Funny or Die.

La carte Michelin du réalisateur américain ne fait pas toujours dans la subtilité. Londres ? Excitante et moderne. Barcelone ? Sexuelle et lumineuse. Paris ? Enigmatique et littéraire. Rome ? Douce et enlevée... A 76 ans, Woody Allen est-il devenu une sorte de cinéaste pour touristes, dont les films ne révèlent rien d'autres sur les villes que le Petit Futé ? La question se pose, à l'occasion de la sortie de To Rome with Love, mercredi 4 juillet.

Attention, certains passages de l'article révèlent des intrigues de films.

Clichés, quand tu nous tiens

"Cette ville est vraiment spéciale." Prononcée par Woody Allen lors de la projection de To Rome with Love au 65e festival de Cannes, cette phrase aurait pu l'être tout autant en 2005, 2008 ou 2011. Amorcée en 2005, la tournée européenne de Allen présente, depuis Vicky Cristina Barcelona, les villes sous un angle forcément amoureux, idéalisé et comme mâtiné de nostalgie.

On boit du vin rouge à Paris, on fait l'amour en Espagne, on déguste un tomate-mozza dans la Ville éternelle... Ils sont loin, très loin, le Barcelone crasseux d'Inarritu (Biutiful), le Paris hybride de Léos Carax (Holy Motors) ou la Rome oppressante de Paolo Sorrentino (Il Divo). Le dernier long métrage de Woody Allen va jusqu'à adopter, en guise d'affiche, une lettre cachetée à l'ancienne avec rouge à lèvre et Colisée. Too much ?

Affiche du film de Woody Allen, "To Rome with Love". (MARS DISTRIBUTION)

Comme pour souligner le trait, Allen convoque, dans ces œuvres, des stars locales. Pour Barcelone, Penélope Cruz et Javier Bardem. A Paris, Marion Cotillard, Léa Seydoux, Gad Elmaleh et même la Première dame de France de l'époque, Carla Bruni. Et enfin, à Rome, l'incontournable Roberto Benigni, qui n'hésite jamais, lui-même, à s'auto-parodier en italien remuant (souvenez-vous des Oscars en 1999).

Un Américain en Europe

Interrogé à Cannes sur son choix de filmer des métropoles européennes, Woody Allen a répondu, sur un ton ironique : "Je ne pourrais pas filmer à la campagne ou dans le désert. Ces villes sont similaires à New York en termes d'énergie et de culture." Outre le fait que ces tournages lui permettent de trouver des financements plus facilement qu'aux Etats-Unis, ils donnent également la possibilité au cinéaste de donner à voir ces lieux à travers le regard de ses personnages -à savoir, à chaque fois, des Américains. 

Dès Match Point, en 2005, Woody Allen choisit de confronter les deux continents. Scarlett Johansson, Américaine jusqu'au bout des lèvres, vient semer le trouble dans une Angleterre coincée entre sa high society oisive et sa néobourgeoisie glaçante (l'appartement avec vue sur la Tamise). De même, en 2011, Owen Wilson ne déambule pas à Paris par hasard. Ville "magique", selon les mots du réalisateur, elle a également vécu mille et une vies... que le personnage principal rêve d'avoir eues, faute d'être heureux avec sa fiancée.

Pour prolonger l'analyse, une bonne partie de Midnight in Paris s'intéresse à la "Lost Generation", ces Américains exilés à Paris durant l'entre-deux-guerres... Comme un miroir du cinéaste, le héros est balloté entre les deux mondes. Déjà, dans Tout le monde dit I Love You (1996), Allen promenait des New-Yorkais un peu gauches et hystériques sous la neige parisienne. Loin d'être complaisant, il était plutôt attendri et second degré. Une distance amusée qui fonctionne toujours aujourd'hui.

Derrière les décors

Au fond, les choses ont-elles vraiment changé depuis Manhattan ? A l'époque (nous sommes en 1979), Woody Allen, qui incarne un écrivain dans le film, plonge au cœur d'une ville "qui n'a toujours existé qu'en noir et blanc", "aussi romantique et solide" que lui et qui est hantée par George Gershwin (voir l'intro du film). Comme une métaphore du héros, l'île new-yorkaise est bouillonnante, mais aspire au calme. Une tranquillité que seule une vue vers Brooklyn (donc loin du centre de la ville), peut apporter. 

En posant ses valises en Europe, Woody Allen ne filme pas autre chose. Le fantasme qu'un lieu inspire. Les villes sont, pour lui, des espaces-temps à géométrie variable, qui ne vivent pas à l'écart des mythes qu'elles renferment. A l'intérieur de ces coquilles profondes et colorées , cet apatride du cinéma continue de jongler avec les époques, les décors et les thèmes qui lui sont chers.

Le public va-t-il s'en lasser ? A en croire les recettes engendrées par son avant-dernier film, pas le moins du monde : Midnight in Paris est, à ce jour, le plus gros succès commercial du réalisateur aux Etats-Unis. Peu importe le flacon, pourvu qu'il y ait l'ivresse... Que le cinéma se rassure : Woody Allen ne marche toujours pas droit.

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