"L'Oncle de Brooklyn" : pamphlet radical sur une Sicile déconfite
De Daniele Cipri, Franco Maresco (italie), avec : Salvatore Gattuso, Pippo Augusta, Salvatore Schiera - 1h38 - Sortie : 3 juillet 2013
Synopsis : dans la périphérie de Palerme, les habitants vivent dans la plus grande misère, tant matérielle que morale, sous l'influence de deux familles mafieuses rivales. Jusqu'au jour où l'une d'elle, commandée par deux nains, ordonne au Gemely d'accueillir et cacher un curieux personnage "venu de loin", qui ne mange pas, ne dort pas, ne parle pas, alors le groupe rival a demandé d'exécuter le deux mafieux, suite à un règlement de compte...
Même s’ils n’ont que peu de rapports, hormis l’usage d’un très beau noir et blanc et des décors lépreux, « L’Oncle de Brooklyn », comme « Erarserhead » de David Lynch, n’est pas un film que l’on oublie de sitôt. A la croisée d’un Fellini et d’un Pasolini, avec un zeste de surréalisme à la René Clair - époque « Entr’acte » (1924) -, cette comédie acerbe, un rien scatologique et crue ne laisse pas indifférent par ses excès, sa poésie et sa dénonciation de l’état d’abandon dans lequel est laissée la Sicile aux mains de mafiosi tout puissants.
L’ouverture du film sur une scène de zoophilie laisse d’emblée pantois. La suite aligne les tableaux les plus scabreux, faisant le portrait d’une communauté laissée à vau-l’eau, tarée, débraillée, certains seulement vêtus d’un slip et de chaussettes. Parqués dans des maisons délabrées, décrépies, voire insalubres, les habitants de cette immédiate périphérie de Palerme ne connaissent que frustration, par l’absence de femmes; un manque qui alimente des propos salaces obsessionnels et les pratiques déviantes. Parias de la terre
Mais que l’on ne s’y trompe pas, « L’Oncle de Brooklyn » n’aligne pas les provocations gratuitement. Les décors délabrés, les mœurs dégénérées des protagonistes stigmatisent un état d’abandon, de non droit dans lesquels l’Etat les laisse aller. Un fils ne cesse de vilipender sa mère incontinente, la famine sévit, alors que les mafiosi sont repus et élégants, pendant qu’un indigent ne cesse de se goinfrer au milieu de ses chiens, évoquant la toile de Goya « Saturne dévorant ses enfants ». La mort rôde, les convois funéraires sont tournés en ridicule et dérision…
Laissez passer les parias de la terre, est-on tenter de dire, comme s’ils étaient les rejetons dérisoires d’une société qui ne cesse de les vampiriser, de les trainer dans la fange, pour mieux les neutraliser. Des damnés qui ne manquent toutefois pas d’humour. L’on pense enfin à Gommora (2008) de Matteo Garrone qui traitait en quelque sorte du même sujet, mais dans une veine hyperréaliste. Le constat n’est toutefois pas éloigné. Daniele Cipri et Franco Maresco en tire un petit théâtre de la dérision et de l’horreur qui met le doigt là où ça fait mal, sans concession aucune, sans pour autant oublier d’en rire... jaune, plus qu’en pleurer. Dérangeant.
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