Festival de Cannes 2024 : des clips de rap à "L'Amour ouf", comment Gilles Lellouche est devenu réalisateur

Article rédigé par Benoît Jourdain
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 8 min
Le réalisateur Gilles Lellouche présente "L'Amour ouf", son nouveau film, au Festival de Cannes, le 23 mai 2024. (HELOISE KROB / FRANCEINFO / SONIA RECCHIA / GETTY IMAGES / AFP / CÉDRIC BERTRAND / TRÉSOR FILMS / CHI-FOU-MI PRODUCTIONS / STUDIO CANAL)
Gilles Lellouche présente "L'Amour ouf", le film français le plus attendu de la compétition. Adapté du roman de l'Irlandais Neville Thompson, avec un budget XXL et un casting francophone cinq étoiles, ce projet confirme le nouveau statut du réalisateur au sein du cinéma tricolore.

Pour fouler le tapis rouge, Gilles Lellouche n'a pas hésité à prendre son téléphone. Alors qu'il termine le montage de son premier film en solo, Le Grand Bain, l'acteur-réalisateur appelle Thierry Frémaux, le délégué général du Festival de Cannes, pour qu'il regarde son film, en vue d'une projection sur la Croisette en 2018. Contre l'avis de ses producteurs, Alain Attal et Hugo Sélignac. "On voulait le protéger, et lui était le seul du trio à vouloir y aller. (...) Et il a eu raison", relate le second dans Libération.

Le Grand Bain, qui raconte les aventures d'un groupe d'hommes se lançant dans une compétition de natation synchronisée, a rassemblé près de 4,3 millions de spectateurs. Ce seul film a réussi à donner à Gilles Lellouche une crédibilité derrière la caméra, lui qui avait déjà une belle carrière devant. Et lui a permis de surmonter une première expérience douloureuse en tant que réalisateur, Narco, dirigé avec son ami d'enfance Tristan Aurouet. Fort de ce triomphe inattendu, il a pu se plonger dans L'Amour ouf, qui est présentée en compétition, jeudi 23 mai.

A l'école du clip

Ce projet, Gilles Lellouche en rêvait depuis une quinzaine d'années. Depuis que Benoît Poelvoorde lui a parlé, en 2006, de ce livre irlandais, signé Neville Thompson, qui raconte l'histoire d'amour passionnée et contrariée entre Johnser et Jackie. Mais transposer à l'écran ce qu'il imagine nécessite un budget conséquent. "Je me suis rendu compte de son ampleur et de sa démesure (...) Jamais un producteur ne m'aurait donné les moyens de faire un tel film", reconnaît-il dans le numéro de juin du magazine Première. Il a donc remisé au placard ses ambitions pour les ressortir après Le Grand Bain, "qui nous aura permis de faire le film que Gilles voulait", confirme le producteur Hugo Sélignac au site spécialisé Ecran total. Le succès, comme toujours, ouvre beaucoup de portes.

Gilles Lellouche a déplacé l'histoire dans le nord de la France, dans les années 1980 et 1990, et Johnser a été rebaptisé Clotaire. Les deux personnages sont interprétés par François Civil et Adèle Exarchopoulos. Autour de deux des nouvelles figures de proue du cinéma français, on retrouve Alain Chabat, Benoît Poelvoorde, Raphaël Quenard, Anthony Bajon, Elodie Bouchez et les deux jeunes Mallory Wanecque et Malik Frikah. Un casting prestigieux.

Mais avant d'en arriver là, Gilles Lellouche a fait du chemin. Une jeunesse à Fontainebleau, où il découvre le théâtre grâce à un professeur de français en cinquième. Puis le cours Florent, où "on parle de Brecht, on évoque Chéreau, et puis, le lendemain, on se retrouve propulsé dans la réalité de ce métier : le chômage", raconte-t-il dans Madame Figaro. Le choc La Haine, le film de Mathieu Kassovitz, cette "esthétique hip-hop qui [lui] correspond", comme il l'assure dans Le Monde, le pousse derrière la caméra. Avec son ami Tristan Aurouet et "une amie du cours Florent", Léa Drucker, il se lance dans un court-métrage, 2 minutes 36 de bonheur.

"On fait un saut dans le vide. Je n'ai jamais touché une caméra auparavant. Mais je me sens vivant comme jamais !"

Gilles Lellouche, acteur-réalisateur

dans "Le Monde"

Suivent des publicités (Cegetel, McDonalds) et des clips pour MC Solaar, Saïan Supa Crew et NTM. Une vingtaine de réalisations plus tard, un producteur propose au duo de réaliser un deuxième court-métrage, Pourkoi... passkeu. Alain Attal tombe dessus, aime et offre à Gilles Lellouche et Tristan Aurouet de coréaliser un premier film, Narco.

Une image à casser

Nous sommes en 2003, et avec ses amis Guillaume Canet, Léa Drucker et Benoît Poelvoorde, alors en pleine explosion, Gilles Lellouche se lance, enthousiaste, avant de déchanter. "Le tournage s'est très mal passé. J'avais une équipe pas très sympathique, qui n'avait pas beaucoup de compassion ni de patience. Et en plus, j'avais été très déçu par le résultat du film, à mille lieues de ce que j'avais fantasmé", retraçait-il fin 2023 dans Première. "Narco a donc causé chez moi un léger trauma."

Cette expérience le refroidit. "Plusieurs scripts n'ont pas vu le jour. Ma carrière d'acteur décollait et c'était compliqué d'écrire avec des interruptions de trois mois", explique-t-il dans Le Figaro. Ne le dis à personne, L'Instinct de mort, le premier volet du diptyque sur Jacques Mesrine de Jean-François Richet, Les Petits Mouchoirs, A bout portant, de Fred Cavayé, l'imposent comme acteur. Il devient dans l'imaginaire du grand public ce mec de bandes et l'acteur physique prêt à jouer les gros bras. Les Infidèles, film à sketchs dont il réalise un segment avec son pote Jean Dujardin, modèle aussi son image aux yeux du grand public. 

"J'étais forcément un débile qui passait sa vie en boîte de nuit."

Gilles Lellouche, acteur-réalisateur

dans "Psychologies Magazine"

Catherine Deneuve l'épingle dans Première, assurant que le passage à la mise en scène des deux compères est un acte "complètement aberrant". "Réaliser, c'est bien plus que savoir faire un champ-contrechamp", tacle-t-elle en septembre 2013. Une attaque dont il se fout "royalement", répond-il sur Europe 1. Avec ses clips et Narco, il affirme avoir "une toute petite légitimité en tant que réalisateur"

Fêtard insouciant, homme viril, bon copain... Gilles Lellouche veut se débarrasser de toutes ces étiquettes. "J'ai longtemps eu l'impression d'être à côté de qui j'étais, il était grand temps de faire un film qui me ressemble", confie-t-il au Figaro. Il se plonge alors dans Le Grand Bain. Durant deux mois, il s'exile avec son ami et coauteur Ahmed Hamidi en Californie et écrit "de 8 à 22 heures, tous les jours, sans ami, sans coup de fil, sans rendez-vous ", détaille-t-il dans la revue GQ.

Une personnalité fédératrice

Lui qui a toujours été "celui qui organisait les dîners, les vacances, qui appelait les gens", note-t-il dans le magazine Elle, se retrouve alors au centre d'une grosse machine de 16 millions d'euros rassemblant des acteurs et actrices de premier plan, venus d'horizons très différents. L'homme de bandes trouvait "intéressant de briser les chapelles", affirme-t-il dans "Clique" sur Canal+.

"Je ne voulais pas tourner 'Les Petits Mouchoirs à la piscine'. J'ai choisi des génies d'acteurs que j'estime."

Gilles Lellouche, acteur-réalisateur

dans "Madame Figaro"

Mathieu Amalric est le premier qu'il sollicite. Son accord, sans même lire le scénario, entraîne celui des autres. "Ce film a été une succession de feux verts assez hallucinante", savoure Gilles Lellouche dans "Clique". S'il envisage de jouer le rôle tenu par Philippe Katerine ou Benoît Poelvoorde, il s'y refuse finalement, afin de se consacrer totalement à son long-métrage, comme il le dit dans Première. Il y met également ce qu'il a appris au contact de son ami Guillaume Canet, lui aussi acteur passé à la réalisation avec succès. "J'ai observé, avec beaucoup d'admiration, comment il fédérait son équipe, l'énergie qu'il déploie sur un plateau de tournage", décrit-il dans Psychologies Magazine.

Sur son plateau, la personnalité de Gilles Lellouche transparaît. "C'est très joyeux ce tournage [de L'Amour ouf]. Très solidaire", commente Adèle Exarchopoulos dans le magazine Première de juin. "C'est le type le plus enthousiaste et le plus généreux que je connaisse." Mais le bon copain sait aussi remettre de l'ordre quand il le faut. Sur Le Grand Bain, "Gilles a méchamment recadré les comédiens une ou deux fois", confirme au Parisien le producteur Alain Attal. "Il leur a dit : 'Vous faites ch... Vous avez répété six mois pour faire ça !'" A la sortie du film, le public découvre un nouveau Lellouche. "Les gens me disaient : On n'attendait pas ça de toi. J'avais envie de répondre : 'Mais tu t'attendais à quoi ? A un film de kung-fu ?' C'est là que j'ai compris le fossé entre ce que je suis et l'image que je renvoie", confie-t-il au quotidien.

La pression d'un film cher et ambitieux

Même s'il n'a tourné que trois films en bientôt 30 ans de carrière, Gilles Lellouche aime coiffer cette casquette de cinéaste. L'écriture des scénarios, l'ambiance du plateau, "créer un monde qui n'appartient qu'à [lui], cette soustraction à la réalité [lui] plaît énormément", justifie-t-il dans Madame Figaro. Pour L'Amour ouf, il s'est entouré de son fidèle acolyte Ahmed Hamidi, mais aussi de la réalisatrice et scénariste Audrey Diwan, Lion d'or à Venise en 2021 avec L'Evénement. "J'ai tout de suite vu en elle un alter ego", raconte-t-il dans Psychologies Magazine. "C'est une femme très forte, intelligente, une féministe éclairée qui porte des combats dans ce qu'ils ont de plus juste. J'ai aussi toujours été admiratif de sa capacité à pouvoir raconter plein d'histoires très différentes avec la même implication et la même originalité. J'avais besoin de sa justesse, de sa poésie et de sa technique d'auteure, car elle écrit extrêmement bien."

Déjà aux manettes d'un budget confortable pour Le Grand Bain, Gilles Lellouche a eu les coudées encore plus franches pour ce nouveau projet : 32 millions d'euros. De quoi mettre un peu la pression ? "Dire ne pas avoir ce poids serait mentir", confesse-t-il dans Première. Mais ses producteurs l'ont laissé travailler, malgré les trois heures de film annoncées. "J'ai vécu le tournage avec enthousiasme et sans doute une forme de naïveté face à la pression qu'un film aussi cher et ambitieux peut engendrer", conclut-il dans le magazine. Et 18 ans après avoir découvert le livre, il en a tiré "le film qu'[il] rêvai[t] de voir"

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