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DVD : 5 frissons fantastiques pour l'été

Le cinéma fantastique est un des genres les plus prisés en DVD et Blu-ray. Au-delà des films récents, les éditeurs n'hésitent pas à puiser dans les catalogues anciens pour faire ressurgir quelques pépites, allant des productions de prestige aux plus obscures, souvent étonnantes et rares. Cinq de ces trouvailles méritent l'attention.
Article rédigé par Jacky Bornet
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9 min
Combo "The Uninvited"
 (Wild Side Vidéo)

"The Uninvited" ("La Falaise mystérieuse") invente le film de fantôme

Produit en 1944 par la Paramount, "The Uninvited", ou "La Falaise mystérieuse" en français, est une œuvre oubliée, que l'intérêt pour les films de patrimoine permet de (re)découvrir. Le film signé Lewis Allen, qui n'a guère laissé de souvenir hormis avoir tourné avec Alan Ladd, Starling Hayden, ou Edward G. Robinson, a la particularité de s'avérer la première histoire de fantôme surnaturelle du cinéma. En effet, les autres moutures sur le sujet se concluaient toujours jusqu'alors par une explication rationnelle, comme les différentes versions de "The Cat and the Canary", ou de "The Old Dark House".

Inventant les arcanes du genre, encore inconnus en ce milieu des années 40, "The Uninvited" voit un frère et une sœur (!) emménager dans une belle demeure près d'une falaise, bientôt hantée par un fantôme tourmenté. Comme de coutume, la résolution du mystère mettra fin à cette présence. Si quelques frissons parcourent le film, en annonçant les incontournables du genre que sont "La Maison du diable" (1963, Robert Wise) et "Les Innocents" (1961, Jack Clayton), un anachronique ton de comédie sentimentale parcourt le récit, comme pour freiner l'épouvante. Le charme demeure pourtant, grâce notamment à la très belle photographie noir et blanc, la bande son, et la présence de Ray Milland qui œuvra beaucoup dans le fantastique.

"The Uninvited" est disponible en combo (DVD + Blu-ray) sous la forme d'un très beau coffret, enrichi d'un livret de 86 pages rédigé par Monsieur Cinéma de Minuit, Patrick Brion, et accompagné de superbes photos. Deux bonus apportent les lumières du réalisateur Christophe Gans sur le film, et un documentaire démontrant l'influence de "The Uninvited" sur le cinéma fantastique. Incontournable pour les aficionados.

"The Uninvited" ("La Falaise mystérieuse")
De Lewis Allen – Etats-Unis – 1944
Avec : Ray Milland, Ruth Hussey, Donald Crisp, Barbara Everest
Editeur : Wild Side Vidéo
24 euros

"Contronatura" : entre tradition et innovation

Antonio Margheriti, ou Anthony Dawson - son pseudonyme -, a réalisé "Contronatura" en 1968, alors que l'âge d'or du cinéma gothique italien était arrivé à son terme. Le cinéaste y a largement contribué avec des titres tels que "La Vierge de Nuremberg" (1963), "la Sorcière sanglante" (1964), ou "Danse macabre" (1964). Sorti en Italie en 1969, "Contronatura" fut un échec cuisant, sans doute pour son obsolescence dans un marché en pleine mutation, avec l'arrivée du nouvel Hollywood et une approche du fantastique plus contemporaine ("Rosemary's Baby",1968, Roman Polanski). 

Avec une scène d'ouverture qui renvoie à "The Old Dark House" (1932, James Whale) - voyageurs  contraints de se réfugier chez l'habitant suite à un déluge - "Contronatura" revendique son enracinement dans un fantastique gothique des plus classiques. Pourtant le film déroge à ses codes, laisse de côté le XIXe siècle traditionnel au profit des années 1920, aborde le thème du saphisme et joue d'une construction tout en flash back étrangement articulé.

Plus d'un atout sont à relever au bénéfice du film, notamment d'excellents acteurs, Claudio Camaso et Dominique Boschero en tête, servis par une magnifique photographie en couleur. L'intrigue, autour d'une séance de spiritisme, où la medium semble tout connaître de l'origine douteuse de la fortune d'un des protagonistes, fonctionne en crescendo jusqu'à un climax spectaculaire. Dommage que le titre racoleur "Contronatura", imposé par le distributeur de l'époque en référence au thème secondaire lesbien du film, ait pris le dessus sur "Transe", choisi par Margheriti, beaucoup plus en phase avec le film.   

Comme de coutume chez Artus, le complément composé d'une analyse d'Alain Petit, spécialiste du cinéma Bis, est bourré d'érudition et d'enthousiasme communicatif.

"Contronatura" : le boîtier DVD
 (Artus Films)

Contronatura
de Antonio Margheriti - Italie - 1969
Avec : Joachim Fuchsberger Marianna Koch Dominique Boschero
Editeur : Artus Films
17,99 euros

"Le Manoir maudit" : du Bis qui sent bon le Zed

Unique film signé Antonio Boccacci, "Le Manoir maudit", sort en 1963, en pleine vague du cinéma fantastique gothique italien. Tourné avec deux francs six sous, le scénario voit une jeune femme obsédée par le portrait d'une comtesse jadis assassinée et qui pourrait bien en être la réincarnation. Château hanté, chambre des tortures, souterrains tortueux, belles jeunes femmes en péril, domestique défiguré… tous les ingrédients classiques du genre y sont. "Le Manoir maudit" en est comme un catalogue. Et c'est tant mieux !

Antonio Boccacci ne fait pas moins bien que ses compatriotes, dans ses meilleurs moments, même s'il n'atteint pas le niveau d'un Bava, d'un Margheriti ou d'un Freda. Tourné en location, "Le Manoir maudit" tire parti du patrimoine médiéval italien. Tourner dans un château existant est moins onéreux que de filmer dans les décors de Cinecitta, et l'image est plus réaliste. D'autant que le film bénéficie d'une belle photographie soignée.

Très efficace dans ses premières vingt minutes, le film sombre dans le pire, une fois lancée l'enquête menée par un journaliste de service. Des incohérences pointent le nez de-ci de-là, comme l'intrigue amoureuse bouclée en deux temps trois mouvements ; ou ce dialogue qui restera dans les annales : "Je l'ai vu en rêve; il était masqué", dit l'héroïne. "Tu pourras donc le reconnaître" lui rétorque sa comparse. Beau comme du Lewis Carroll. La présence d'un prince hindou de pacotille, au maquillage et costume ridicules, ajoute encore à l'exotisme. En revanche le maquillage horrifique du domestique est des plus réussis et le dernier quart d'heure renoue avec les qualités initiales du film.

Mineur, "Le Manoir maudit", n'en reste pas moins évocateur d'un cinéma révolu, sans prétentions, mais qui soigne ses aspects les plus troubles : ses références au "Château d'Otrante" d'Orace Walpole, à Edgar Poe dans le thème du tableau hanté ; ses scènes sadiennes… Rare depuis sa sortie, le film vaut par ailleurs pour son humour involontaire. Cerise sur la gâteau sans lequel le Bis ne serait pas ce qu'il est.

"Le Manoir maudit" : le boîtier DVD
 (Artus Films)

Le Manoir maudit
De Antonio Boccacci – Italie – 1963
Avec : Annie Alberti, Adriano Micantoni, Mario Mariani
Editeur : Artus Films
17,99 euros

"La Tour du diable" : le club des cinq en enfer

S'il n'a pas réalisé grand-chose, le britannique Jim O'Connolly a tout de même dirigé Joan Crawford dans "Le Cercle de sang" en 1968, Telly Savalas dans "Crooks and Coronets" en 1969 et surtout, la même année, le très réjouissant "La Vallée de Gwangi", curieux western confrontant des cow-boys à des dinosaures, pour le compte du génie des effets spéciaux Ray Harryhausen ("Le 7e Voyage de Simbad", "Jason et les Argonautes"…)

Il signe en 1972 "La Tour du diable", film d'horreur fauché sans acteurs connus, entièrement tourné en studio, alors que l'action se déroule sur une île rocheuse en pleine mer. Le film demeure une curiosité pour être un rare avatar qui évoque le dieu Baal, divinité de l'orage et de la fertilité sémitique, cananéenne, puis phénicienne. Mais que diable Baal vient-il faire dans cette galère ? Suite à un triple meurtre commis sur une île où est érigé un phare abandonné, une lance phénicienne a été retrouvée sur un des cadavres, entraînant une expédition d'archéologues spécialistes de la civilisation phénicienne, pour résoudre le mystère.

"La Tour du diable" a tout des productions fantastiques européennes de l'époque, qui surfent sur ce qui a fait la fortune de Hammer Films, alors en bout de course. La veine de l'épouvante gothique s'épuise et l'heure est à la surenchère dans la violence et l'érotisme. Le film de Jim O'Connoly n'est effectivement pas avare en hémoglobine et en chair fraîche, pour l'époque. L'équipe d'archéologues devant résoudre un mystère rappelle la structure des romans pour la jeunesse "Le Club des cinq" de la Britannique Enid Blyton, chasse au trésor à la clé. La comparaison s'arrête là, le film s'avérant plus sulfureux.

"La Tour du diable" enquille les scènes de meurtres sanglants et de coucheries dans une ambiance seventies où la libération sexuelle et le cannabis font bon ménage. Avec une morale douteuse au final, puisque la jeune femme emblématique de ces tendances dans le film finira trucidée, alors que sa plus chaste comparse tombera dans les bras de son prétendant. Ouf… on l'a échappé belle. Les costumes valent aussi le détour, avec leurs pantalons patte d'éph', manteaux afghans, gros ceinturons, pulls bariolés et autres chemises pelle à tarte. Petite bande distrayante et soignée dans son style, du Bis pur sucre.

la Tour du diable : le boîtier vidéo
 (Artus Films)

La Tour du diable
De Jim O'Connely – Grande-Bretagne - 1972
Avec : Bryant Haliday, Jill Haworth, Mark Edwards, Jack Watson, Anna Palk, Dennis Price
Editeur : Artus Films
14,99 euros

"La Poupée diabolique" : le ventriloque perverti 

Le thème du ventriloque obsédé par sa poupée alter ego est un thème récurrent du fantastique. Erich Von Stroheim interpréta "Gbagbo le ventriloque" (1929, James Cruze) ; le meilleur sketch de "Au cœur de la nuit" (1945), "Le Mannequin du ventriloque", signé Alberto Cavalcanti, faisait appel à lui ; et "Magic" (1978, Richard Attenborough) voyait Anthony Hopkins sous sa défroque. "La Poupée diabolique" de Lindsay Shonteff se démarque en 1964, en s'ancrant dans le surnaturel et non dans le déséquilibre psychologique du personnage.

Le Grand Vorelli (Bryant Haliday) intrigue le tout Londres avec son numéro d'hypnotiseur et de ventriloque, où sa poupée se meut en toute indépendance du marionnettiste. Son pouvoir lui permet de faire de Marianne (Yvonne Romain), une belle et riche héritière, sa chose. C'est sans compter sur son ami Mark, journaliste, qui va enquêter sur le passé de Vorelli, pour la délivrer de son emprise…   

Il émane une atmosphère très british de cette "Poupée diabolique" filmée en plein swinging London. On pense aux meilleures épisodes de "Chapeau melon et bottes de cuir" première période, un élégant noir et blanc accentuant ce côté vintage du meilleur cru. La présence de la Française Yvonne Romain, qui apparaît dans plusieurs films de la sacro-sainte Hammer Films va dans le même sens. On pense aussi à la série américaine "Twillight Zone" ("La Quatrième dimension") dans l'écriture du scénario. Un script excellent en l'occurrence, avec un retournement de situation aux trois-quarts du film des plus judicieux, même s'il précipite un peu une résolution inattendue.

Soulignons la prestation remarquable de Bryant Haliday en ventriloque mégalomane, au puissant charisme, dont la prestance, la fascination hypnotique et les actes criminels rappellent le Dracula campé par Christopher Lee, mixé à un comte Zaroff sadien. C'est dire si cette petite production, inédite en France, vaut d'être découverte, d'autant que sa sortie en DVD bénéficie d'une belle copie. Un must.

"La Poupée diabolique" : le boîtier DVD
 (Artus Films)

La Poupée diabolique
De Lindsay Shonteff – Grande-Bretagne – 1964
Avec : Bryant Haliday, Yvonne Romain, William Sylvester, Sandra Dorne
Editeur : Artus FIlms
14,99 euros

Quatre films sortis chez Artus Films alimentant cette chronique, un coup de chapeau s'impose à cette maison d'édition d'Alignan-du-Vent, dans l'Hérault, spécialisée dans le cinéma bis et d'exploitation. Dénichant des films rares, invisibles, Artus apporte un soin à ses bonus, avec souvent les commentaires érudits d'Alain Petit, spécialiste du Bis, toujours passionnants (Eric Pereti le remplace pour "La Tour du diable). Les copies ne sont pas toujours nickel, mais elles permettent au moins d'avoir accès à des films introuvables. Des documents rares, tels que des scènes coupées dans certaines versions, sont des plus précieux, ainsi que des reproductions d'affiches magnifiques dans chaque boîtier. De la belle ouvrage. 

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