César 2019 : "Jusqu’à la garde" meilleur film et 4 trophées pour "Les Frères Sisters"
Grand perdant de cette 44e cérémonie, "Le Grand bain" de Gilles Lellouche, parti avec 10 nominations et un seul César à l’arrivée, celui du meilleur second rôle masculin, revenue à Philippe Katerine. Autre déception, "En liberté !" de de Pierre Salvadori, nommé 9 fois et reparti bredouille. "Jusqu’à la Garde", outre que meilleur film, a été récompensé pour son actrice Léa Drucker, formidable en femme confrontée à un mari violent (Denis Ménochet, également nommé). Le film est également lauréat du meilleur scénario original. Autre grosse et bonne surprise celle d’Alex Lutz, qui, réalisateur de "Guy", se voit sacré meilleur acteur dans son rôle de chanteur de variété sur le retour.
Des 44e César pluriels, équilibrés et jeunes
A l’inverse du cru 2018, où "120 battements de cœur par minute" de Robin Campillo avait raflé six César, les statuettes ont été plus dispersés cette année en se focalisant sur des films précis, pour les distinguer. Avec la persistance tout le long de la cérémonie de voir récompenser une majorité de premiers films.Ainsi "Guy" qui, outre son prix du meilleur acteur, reçoit celui de la meilleure musique, décerné à Vincent Blanchard et Romain Greffe. Ils ont écrit leur partition dans le plus pur style de la variété française des années 70 que chante le héros du film. Des compositions récompensées auparavant par l’Académie des Lumières, remis par la presse étrangère au cinéma français quelques semaines avant.
Mais la surprise majeure est venue de "Shéhérazade", de Jean-Bernard Merlin, sacré meilleur premier film, meilleur espoir féminin (Kenza Fortas) et meilleur espoir masculin (Dylan Robert) : trois premières pour un seul film. Histoire d’un jeune repris de justice plein de violence qui rencontre l’amour dans les rues de Marseille, il est interprété par un novice lui-même un ex-délinquant réinserré.
"Jusqu’à la garde", "Guy", "Shéhérazade", trois premiers films qui cumulent à eux trois huit César, dont des prix importants. Un très bon signe pour la relève du cinéma français. Signe confirmé par les deux César remis aux "Chatouilles" d’Andréa Bescond et Eric Métayer, également un premier film. Ils ont reçu le prix de la meilleure adaptation, d’après leur pièce éponyme sur un cas de pédophilie, et Karin Viard a reçu le César de la meilleure actrice dans un second rôle dans le film.
Animation, film étranger et documentaire
Troisième producteur au monde de films d’animation, après les Etats-Unis et le Japon, la France se distingue dans ce domaine, tant par ses créateurs que ses techniciens. Michel Ocelot a aisément remporté ce César pour son envoutant "Dili à Paris" qui se déroule dans le Paris de la Belle-époque, où l’on croise Proust, Apollinaire, Cocteau ou Picasso. D’une splendide facture, mélangeant photographies et aquarelles, le film, aux couleurs rayonnantes, part d’une intrigue policière pour verser dans le meilleur discours féministe qui soit, tout en résonnance avec le monde actuel. Une merveille.Le César du meilleur film étranger est revenu à "Une affaire de famille", du japonais Hirokazu Kore-eda, déjà auréolé d’une Palme d’or à Cannes. Des distinctions justifiées au regard de ce film qui magnifie une famille composite, "inventée" par des parents ne pouvant pas avoir d’enfants et qui recueillent des petits négligés par leurs géniteurs. Le film bousculant les codes très respectés de la cellule familiale au Japon, il y a été mal perçu, mais est adulé à l’international.
Le César du documentaire, genre en constante augmentation dans les salles avec un franc succès, a été décerné à "Ni juge, ni soumise" de Jean Libon et Yves Hinant, issus de l’émission de la télévision belge "Strip-tease". Les auteurs ont suivi pendant trois ans à Bruxelles la juge Anne Gruwez au cours d'enquêtes criminelles, d’auditions, et de visites de scènes de crime.
César d’honneur à Robert Redford
Moment d’émotion quand Robert Redford est monté sur scène pour recevoir un César d’honneur comme acteur, réalisateur, producteur et initiateur du célèbre festival du cinéma indépendant de Sundance.Une longue standing ovation a précédé l’évocation par l’icône du cinéma américain de son arrivée à Paris quand il avait 18 ans, comme jeune artiste peintre. Puis il s’est remémoré son passage à Cannes à la même époque, où il dormait au pied du Carlton avant d’y occuper une suite sept ans plus tard, étant sélectionné dans un film en compétition. Ironie du sort.
Les prix techniques
L’Académie des César étant celle des Arts et techniques du cinéma français, de nombreux secteurs de la profession sont récompensés au fil de la soirée. Ils augmentent conséquemment le nombre de statuettes remportés par chaque long métrage.Ainsi sur ses quatre Césars (le plus grand nombre remis à un seul film cette année), "Les Frères Sisters" a reçu celui, très justifié, de la photographie remis à Benoît Debie, artiste et technicien hors pair qui a notamment signé les images novatrices d’"Irréversible", d’"Enter the Void" et de" Climax" de Gaspar Noé. Il joue ici d’une facture plus classique, mais toujours d’une beauté inédite. Le film a été également distingué pour ses décors westerniens splendides signés Michel Barthélémy, également designer de ceux de "En liberté !", en lice à ces César 2019, ou de "Frantz" (François Ozon).
Le César des costumes est revenu à Pierre-Jean Laroque pour "Mademoiselle de Joncquières" qui déploie une garde-robes XVIIIe siècle somptueuse, portée par Cécile de France, alors que son interlocuteur, Edouard Baer (également nommé), y est toujours vêtu du même costume, ce qui participe à son rôle. Ceux de "L’Empereur de Paris" auraient pu prendre le dessus, tant ils sont plus diversifiés, plus complexes, fidèles et réalistes par leur texture élimés ou chatoyantes.
Le César du montage à judicieusement récompensé Yorgos Lamprinos, pour "Jusqu’à la garde". Il a su raccourcir le récit pour démultiplier son impact. C’est sur la table de montage que se construit la manière de raconter une histoire, sa narration. Le film de Xavier Legrand gagne pour beaucoup dans le rythme, tout en heurts et relances constantes, à l’image de son sujet sur les violences conjugales. Bien vu.
Une cérémonie parfois complaisante
Présidée par Kristin Scott Thomas et animée par Kad Merad, cette 44e cérémonie des César a été plutôt enlevée et drôle, même si par moment une certaine auto-congratulation transparaissait entre les participants.Notamment quand Olivier Baroux est venu retirer son prix du public, qui récompense le film ayant fait le plus d’entrées, revenu aux "Tuche 3" (près de 5,7 millions de spectateurs). Baroux et Merad ont travaillé ensemble à Canal+, le père du second s’est attardé sur scène, et un faux duplex gaguesque avec Jamel Debbouze s’est invité à l’écran. Comme si la génération Canal fêtait en ces 44e César sa consécration, alors que la chaîne cryptée a l’exclusivité de la diffusion de la cérémonie. Sans doute l’enthousiasme a-t-il pris le dessus.
Contrairement à l’année passée, les numéros musicaux, plutôt ratés, se sont réduits à la seule belle interprétation d’Eddy De Pretto de "Je m’voyais déjà" en hommage à Charles Aznavour. L’élégance et la classe de Kristin Scott Thomas, qui est montée plus d’une fois sur scène, a donné la note de standing nécessaire à cette soirée dont Robert Redford mis à l’honneur demeurera le roi. Le palmarès reste, lui, bien réparti sur la base d’une sélection extrêmement riche. Le choix des jurés s’est porté sur la valorisation d’un nombre médiant de films, plutôt qu’à se concentrer sur un seul ou à trop se diversifier. Un choix équilibré, avec ses déceptions (un seul prix pour "Le grand Bain", rien pour "En liberté !"), la consécration de Jacques Audiard, et surtout l’accent mis sur l’avènement de nouveaux auteurs et comédiens ("Jusqu’à la garde", "Shéhérazade") qui donne confiance dans l’avenir du cinéma français.
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