Cannes 2014 : nos coups de coeur, nos palmes, nos regrets...
Passons outre un "Grace de Monaco" projeté en ouverture hors compétition et un film de clôture non diffusé à la presse, mais présenté par le charismatique Quentin Tarantino, "Pour une poignée de dollars" (1964) de Sergio Leone. Venons en au vif du sujet : dix jours de projections intenses, dix-huit films, avec des œuvres majeures, d'autres moins, mais qui ont enflammé les esprits comme rarement sur la Croisette. Les nôtres aussi, comme en témoigne notre tableau de cotation :
Premiers frissonsPremier film en compétition : "Timbuktu" du mauritanien Abderrahmane Sissako, d'ores et déjà récipiendaire du Jury Oecuménique décerné vendredi soir. La course à la Palme commençait bien avec ce film ancré dans l'actualité, pamphlétaire sur un islamisme d'actualité, réalisé aux portes du Mali par un réalisateur courageux et talentueux. Durant tout le festival ce film est resté dans les cœurs. Magnifique, il serait étonnant que "Timbuktu" ne récolte rien au final pour ses qualités filmiques, et son actualité brûlante rendue avec autant de recul, d'humour et de talent. Plus classique, mais néanmoins fort beau film, "Mr. Turner" inaugurait, après "Grace de Monaco" en ouverture, les films "d'après une histoire vraie", si nombreux cette année. Biopic sur le peintre paysagiste J.M.W Turner (1775-1851), le grand Mike Leigh (Palme d'or pour "Secrets et mensonges" en 1996) tire un portrait inattendu du maître. Construisant une image privilégiant l'immersion du peintre dans son oeuvre, il dresse le portrait d'un homme, dans ses frasques, son individualisme forcené avec un humour qui frise parfois le trivial, et de magnifiques personnages féminins. Dans le rôle-titre, l'acteur fétiche du réalisateur, Timothy Spall, dans une composition étonnante, est au premier rang pour le Prix d'interprétation. Mal vus
Vint ensuite "Captives", du Canadien Atom Egoyan. Une déception. Remarquablement introduit par une mise en place labyrinthique qui augure d'un scénario remarquable, le film s'enlise dans des invraisemblances multiples pour se précipiter, après une longue introduction énigmatique, dans un thriller des plus classiques et finir précipitamment comme une banale série policière. Comment Egoyan a-t-il pu bâcler un sujet qui lui ressemble tant, reste le mystère du film. A dégager du palmarès, malgré de grandes qualités de réalisation.. "Winter Sleep" du Turc Nuri Bilge Ceylan joue dans la cour des aimés de Cannes. Après moult récompenses antécédentes sur la Croisette, son dernier opus est auréolé de la meilleure appréciation critique, selon le bilan quotidien du magazine professionnel "Le Film Français" qui recueille les étoiles de la crème de la critique française au jour le jour. Si l'image est belle, premier argument de ses défenseurs, également reconnu par ses détracteurs, la cinématographie est pauvre : bavarde, antinomique au langage universel de l'image, propre au cinéma (dixit Chaplin). Ceylan nous soule, depuis longtemps. Avec ses propos philosophiques abscons lancés à l'emporte-pièce, sinon à la mitraillette, pendant 3h16. Mais il serait étonnant qu'il ne soit pas au palmarès, tant il est apprécié. "Saint Laurent" de Bertrand Bonnello fut un gentil moment, d'autant plus plaisant que l'on pouvait le comparer au film de Jalil Lespert sur le même sujet. Pas grand-chose à en dire, sinon un certain maniérisme qui recoupe le dandysme esthétique du personnage-titre. Une honnête interprétation sur une mise en scène laborieuse, ce que la critique ferait bien de reconnaître tout de même à chacun de ses films, malgré leurs meilleures intentions ("L'Apollonide"). Anecdotique. Sympas
Et puis débarque un curieux film, en provenance d'Argentine, "Les Nouveaux sauvages" ("Relatos Salvajes"), produit par Pedro Almodovar. Film à sketches, formule totalement abandonné depuis des lustres, hilarant, dont tout le monde parle sur la Croisette, incontournable et encensé. Pourquoi pas la Caméra d'or, s'agissant d'un premier film ? Génial. "Les Merveilles" de l'Italienne Alice Rohrwacher n'a pas convaincu les festivaliers, malgré la fraîcheur revigorante de son film, totalement décalé par rapport à une sélection cannoise (mais c'est justement sa place). Mettant une fois de plus dans le cinéma italien en perspective une émission de télé-réalité, les Italiens se révèlent avoir un vrai problème avec ce genre de show. Mais au final, peu d'intérêt.
"Still the Water" de la japonaise Naomi Kawase, une habituée de Cannes, fait, elle, le buzz. Ceux qui prétendent qu'elle peut avoir la Palme rêvent, tant le meilleur est à venir. Même si le film est beau à voir, mais sans plus. Bons plans
Les choses sérieuses commencent, avec "The Homesman" (en ce moment sur les écrans) de et avec Tommy Lee Jones. Magnifique western, malgré les dires de son auteur qui affirme ne pas savoir ce qu'est un "western". Provoc'. Le film renoue avec la veine "crépusculaire" du genre (Sam Peckinpah, Arthur Penn, Sydney Pollack, Ralph Nelson, Clint Eastwwood). Superbes scénario et mise en scène, lapidés par une critique chichiteuse. Rares sont les westerns à avoir traité la femme dans l'Ouest, d'autant que le film se situe à l'époque des premiers pionniers (1854). Quant à la folie que pouvait drainer cette expérience, encore moins. De superbes acteurs, un super film. Pas de place au palmarès, mais un grand "western", n'en déplaise à Mr. Jones. Gros morceau, avec "Maps to the Stars", également sorti en salles dans la foulée de sa projection à Cannes. Dernier film de David Cronenberg, il était très attendu et s'avère un des meilleurs de son auteur, en renouant avec ses obsessions filmiques. Le rapport à l'image ('Vidéodrome"), la mutation (une grande partie de sa filmographie), à travers une grand-brûlée manipulatrice d'un clan familial, et plus généralement des vices de la société américaine ("Crash")... Cronenberg renoue avec ses grands thèmes, dans un de ses meilleurs films. Il serait dommage de passer à côté. Mais il demeurera surement absent du palmarès, hormis Julianne Moore pour sa performance en star en rupture de ban, voire la jeune Mia Waskowka, fabuleuse. "Foxcatcher", du génial réalisateur de "Truman Capote" et du "Stratège", Bennett Miller, s'attaque encore à "une histoire vraie", avec le meurtre en 1996, du lutteur olympique Dave Schultz par son dernier entraîneur, le magnat de la finance et fou de lutte, John du Pont. Fou, tout court d'ailleurs. Thriller sportif incroyable, le film emporte du début à la fin, grâce, entre-autres, à la prestation de Steve Carell en John du Pont. Ce qui devrait en toute logique lui apporter le Prix d'interprétation masculine. A vérifier le temps venu, mais vérifiable. A mi-parcours
Un classique : les frères Dardenne, avec cette année, "Deux jours, une nuit". Très beau film, mais on a déjà donné. Beau sujet, toutefois traité sans surprise par le duo belge, avec la prestation convaincante de la star invitée Marion Cotillard. Elle aura cependant fort à faire face à Julianne Moore, hallucinante, dans le Cronenberg, ou, Anne Dorval dans "Mommy" de Xavier Dolan, comme on va le voir. Marion Cotillard demeure toutefois très bien placée. "The Search" de Michel Hazanavicius,, avec Bérénice Bejo, est très partagé, entre ceux qui ont adhérés et les réfractaires. Très bon sujet, sur la guerre en Tchétchénie en 1999-2000, mais traité sous un angle réducteur. Malgré de très bonnes scènes de guerre et sur l'enrôlement des troupes russes, le film déçoit, hormis les aficionados. Mais aucune chance au palmarès. Allez savoir... Curiosité anecdotique : Godard n'aurait pas mieux dit, quoique. La projection de son dernier film, en compétion, "Adieu au langage" très applaudie, n'a pas été très remarquée par la critique, bien que plein de qualités... godardiennes. Sans plus. Les dernières et meilleures lignes
"Mommy" du Québécois Xavier Dolan est d'un tout autre acabit. Surcoté avant l'arrivée des derniers films en lice, son dernier opus a fait l'effet d'une bombe. Très réussi, il aurait le Palme s'il n'était arrivé avant deux sérieux challengers, comme sait les programmer la sélection Cannoise. "Mommy" aura certainement quelque chose. Mais quoi ? On ne le sait trop. Palme, scénario, interprétation ?... Il a toutes les qualités de ce 67e Festival : originalité, talents, mais peut-être faudra-t-il attendre. Surtout quand il se trouve programmé juste avant la dernière journée, devant les "Sils Maria" d'Olivier Assayas et "Leviathan" d'Andreï Zyangintsev. Deux films sublimes, arrivés en dernière ligne. Les meilleurs du Festival.
"Sils Maria" joue sur l'émotion. Celle d'un sujet, parfaitement écrit, sur les rapports entre fiction et réalité, identifiables par tous, grâce à des actrices formidables : Juliette Binoche, Kristen Stewart et Chloë Grace Moretz. La première pourrait bien remporter le prix d'interprétation féminine, tant sa prestation est remarquable. Un très beau film, mémorable. Inoubliable. La cerise sur le gâteau demeure, notre Palme : "Léviathan". Dernier film présenté en compétition. L'incroyable opus du russe Andreï Zvyagintsev est le chef-d'œuvre de ce 67e festival de Cannes, comme s'il avait été conçu autour de lui, pour reconnaître ce film ultime. Incomparable. Il y a eu dans les dernières années du Festival des évidences : "Elephant", "4 mois, 3 semaines, 2 jours", "Le Ruban blanc", "la Vie d'Adèle", qui ont été perçus d'emblées et ont remporté la Palme. Pourvu que le jury rencontre encore une fois la critique et le public dans "Léviathan", chef-d'œuvre de ce 67e festival de Cannes. A vérifier ce soir.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.