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Zoe Leonard le long du Rio Bravo / Rio Grande, entre Mexique et Etats-Unis, au Musée d'art moderne de Paris

Le Rio Bravo / Rio Grande n'est pas un long fleuve tranquille. Portrait photographique d'un cours d'eau mythique par l'Américaine Zoe Leonard. Jusqu'au 29 janvier 2023.

Article rédigé par Valérie Oddos
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 4 min
Zoe Leonard "Al río / To the River", 2016–2022, Epreuves gélatino-argentiques, tirages C-print, impressions jet d’encre, Courtesy l’artiste, Galerie Gisela Capitain et Hauser & Wirth. La production de l’oeuvre a bénéficié du soutien du Mudam Luxembourg – Musée d’Art Moderne Grand-DucJean, le Museum of Contemporary Art Australia, de la Graham Foundation for Advanced Studies in the Fine Arts, de la John Simon Guggenheim Memorial Foundation, de la Galerie Gisela Capitain et de Hauser & Wirth (© Zoe Leonard)

Le Rio Bravo / Rio Grande délimite la frontière entre le Mexique et les Etats-Unis, il est chargé politiquement et historiquement. Le Musée d'art moderne de Paris nous invite à découvrir Al Rio / To the River, le travail que la photographe américaine Zoe lui a consacré entre 2016 et 2021.

Zoe Leonard, née dans l'Etat de New York en 1961, est autodidacte et allie démarche documentaire et conceptuelle. Engagée dans le combat pour les droits des malades du sida à New York à la fin des années 1980, elle a milité aussi pour les droits des femmes et des homosexuels. Peu montrée en France, elle a été exposée dans de grandes institutions du monde entier, des Etats-Unis à l'Australie en passant par la Suisse, l'Allemagne, l'Espagne.

Elle expose à Paris son dernier travail : partie de El Paso et Ciudad Juàrez, elle a longé le Rio Bravo (nom mexicain) / Rio Grande (nom américain) en direction de son débouché sur le golfe du Mexique, suivant son parcours qui délimite la frontière entre les deux pays sur 2000 km. Elle dresse le portrait d'un fleuve mythique et aussi des populations qu'il traverse ou qui le traversent.

Zoe Leonard Al río / To the River, 2016–2022, Epreuves gélatino-argentiques, tirages C-print, impressions jet d’encre, Courtesy l’artiste, Galerie Gisela Capitain et Hauser & Wirth  (© Zoe Leonard)

Un rapport physique avec le paysage

Rien de monumental dans les photographies de Zoe Leonard. Plus de 300 tirages, d'environ 30 sur 50 centimètres, presque tous en noir et blanc, courent comme un fleuve le long de tout l'espace d'exposition du premier étage du Musée d'art moderne de Paris. Elle travaille au 35 mm, avec un vieil appareil argentique qu'elle tient à la main, assumant un rapport physique avec le paysage. Une façon de résister et de s'accrocher à la matérialité de l'image quand la photographie numérique s'est généralisée.

Les gris dominent donnant parfois un côté triste, voire tragique aux paysages. Ceux-ci sont rarement grandioses, même si l'artiste convoque ponctuellement l'imaginaire du western, avec un homme à cheval qui disparait dans un méandre du fleuve. Celui-ci peut être large et majestueux ou réduit à l'état de ruisseau. L'artiste montre sa force au centre de l'exposition, dans une série de vues en gros plan sur l'eau trouble tourbillonnant. Elles sont en couleur mais presque monochromes. Les seules autres images en couleur seront quelques fleurs de cactus roses.

Depuis le début du XXe siècle, le Rio Bravo / Rio Grande a été profondément modifié et domestiqué en raison de la fonction politique qui lui a été attribuée. Les paysages ont été bétonnés et sont dominés par les clôtures. Le fameux mur érigé par les Etats-Unis le long d'une partie de la frontière pour empêcher l'immigration illégale, toujours en construction, est omniprésent.

Zoe Leonard, Al río / To the River, 2016–2022, Epreuves gélatino-argentiques, tirages C-print, impressions jet d’encre, Courtesy l’artiste, Galerie Gisela Capitain et Hauser & Wirth (© Zoe Leonard)

Des séquences

La migration est un sujet qui intéresse particulièrement l'artiste, issue d'une famille polonaise réfugiée aux Etats-Unis pendant la Seconde Guerre mondiale. En même temps, elle veut casser l'image médiatique stéréotypée de la frontière et des migrants. On peut voir des enfants se baigner dans le fleuve, des petites fermes installées au bord de l'eau.


Zoe Léonard a navigué des deux côtés de la frontière, d'une petite route poussiéreuse à une autoroute qui longe l'eau, d'un pont à un poste frontière embouteillé pris depuis l'intérieur d'une voiture.

Les images sont le plus souvent présentées en séquences de quatre à sept photographies où l'artiste change légèrement le point de vue. Une façon d'interroger notre façon de regarder le monde. Elle se rapproche d'une patrouille de garde-frontières avec leurs pick-up, tout en restant à distance. Car si les hommes sont présents dans ses images, ils ne sont jamais tout près, on ne voit jamais leurs visages.

Zoe Leonard Al río / To the River, 2016–2022, Epreuves gélatino-argentiques, tirages C-print, impressions jet d’encre, Courtesy l’artiste, Galerie Gisela Capitain et Hauser & Wirth (© Zoe Leonard)

Zone contrôlée

Sur un pont, au contraire, Zoe Leonard reste au même endroit, ce sont les voitures et les piétons qui traversent l'image. Ou bien, du bord de l'eau, on voit un petit bac passer d'une rive à l'autre. Quelques lumières percent la nuit. Sur la dernière image de la séquence, le jour commence à se lever et le fleuve apparaît.

D'un côté, une nuée d'oiseaux s'envole au-dessus d'un champ. En face, c'est le ballet des hélicoptères qui anime le ciel. Car de nombreux éléments du paysage nous rappellent qu'on est dans une zone militarisée et contrôlée, des barbelés le long des ponts aux patrouilles. Des animaux broutent tranquillement sous l'oeil d'une voiture de police. Un palmier semble incongru, coincé entre le mur et l'eau. En forme d'épilogue, la "coda" de l'exposition est constituée de photos des écrans de contrôle des caméras de surveillance du poste frontière d'El Paso. Mais, entretemps, le Rio Bravo / Rio Grande s'est libéré des barrières en atteignant la mer.

Zoe Leonard, Al río / To the River
Musée d'art moderne de Paris
11 avenue du Président Wilson, 75016 Paris
Du mardi au dimanche, 10h-18h, le jeudi jusqu'à 21h30, fermé le lundi
11 € / 9 €
Du 15 octobre 2022 au 29 janvier 2023

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