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Van Gogh dans l'oeil d'Artaud au Musée d'Orsay

Van Gogh n'était pas fou, proclamait Antonin Artaud en 1947, dans un texte en réaction au livre d'un psychiatre sur le peintre. La société l'a poussé au suicide, selon l'acteur, dessinateur et poète, interné lui-même pendant 9 ans. Le musée d'Orsay expose Van Gogh à la lumière de ce texte, une occasion rare de voir 45 chefs-d'oeuvre de l'artiste hypersensible (du 11 mars au 6 juillet 2014).
Article rédigé par Valérie Oddos
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
Vincent Van Gogh, La Chambre de Van Gogh à Arles, Saint-Rémy-de-Provence, septembre 1889, Paris, Musée d'Orsay, et Man Ray, Antonin Artaud, 1926, Paris, Centre Pompidou, MNAM-CCI, dist RMN-Grand Palais / Jacques Faujour
 (A gauche, Musée d'Orsay, dist. RMN-Grand Palais / Patrice Schmidt - A droite, Man Ray Trust / ADAGP, Paris 2014)

Fin 1946, le galeriste Pierre Loeb demande à Antonin Artaud (1896-1948) d'écrire sur Van Vogh, pensant qu'un artiste qui a été interné pendant des années est le mieux placé pour s'exprimer sur un peintre considéré comme fou. Artaud n'est pas chaud. Mais, fin janvier 1947, alors que commence une exposition de Van Gogh à l'Orangerie à Paris, la publication d'un texte du psychiatre François-Joachim Beer, "Du démon de Van Gogh", le met hors de lui et le décide à prendre le contrepied de ce qui est généralement admis.

Vincent Van Gogh, Portrait de l'artiste, Saint-Rémy-de-Provence, septembre 1889, Paris, musée d’Orsay, don de Paul et Marguerite Gachet
 (Musée d'Orsay, dist. RMN-Grand Palais / Patrice Schmidt)
 
Van Gogh : mon travail, j'y risque ma vie
 
En quelques jours, il compose "Van Gogh, le suicidé de la société", en partie rédigé sur un cahier d'écolier, en partie improvisé et dicté à Paule Thévenin qui l'assiste dans son travail. Subjugué par les toiles de Van Gogh, il s'est appuyé pour son travail sur l'exposition de l'Orangerie et sur deux livres sur le peintre.
 
Sa thèse est que Van Gogh n'est pas fou, il affirme que la société l'a poussé au suicide. "Et c'est ainsi que Van Gogh est mort suicidé, parce que c'est le concert de la conscience entière qui n'a plus pu le supporter."
 
A l'appui, on pourrait citer des mots du peintre lui-même qui exprime dans les lettres à son frère Théo l'engagement surhumain qui est le sien : "Mon travail à moi j'y risque ma vie et ma raison y a fondrée (s'y est effondrée) à moitié", dit-il en juillet 1890, quelques jours avant sa mort.

 
"Un fou, Van Gogh" ?
 
L'exposition d'Orsay a été construite à partir du texte d'Artaud et rassemble 45 tableaux du peintre, "un exploit", selon le président du musée Guy Cogeval. On n'en avait pas vu autant à Paris depuis 1947. Trois ans de travail ont permis de rassembler des prêts de musées du monde entier, d'Amsterdam à Copenhague ou Helsinki,  et aussi de collections particulières. Il s'agit d'œuvres que connaissait Artaud. Elles sont complétées par des dessins de Van Gogh et d'Artaud.
 
L'exposition, ponctuée par les mots enflammés d'Artaud, s'ouvre sur des photos de lui par Man Ray et Eli Lotar à la fin des années 1920. Et sur quatre autoportraits de Van Gogh, dont celui qui a servi pour l'affiche de la rétrospective de 1947. "Un fou, Van Gogh ?", demande Artaud. "Que celui qui a su un jour regarder une face humaine regarde le portrait de Van Gogh par lui-même", dit-il, soulignant son "extrême sensibilité".

Reportage: Virginei Delahautemaison, Genviève Faure, Laurence Corniot
 
Alors que "Le fauteuil de Gauguin" annonce la scène violente qui va opposer les deux peintres et entraîner l'internement de Van Gogh à l'hôpital d'Arles, Artaud soutient que le Dr Gachet, dont il a fait plusieurs portraits, est le principal responsable de son suicide. Le médecin collectionneur d'Auvers-sur-Oise aurait été jaloux de son génie et l'aurait poussé à travailler jusqu'à épuisement.
Vincent Van Gogh, Hôpital Saint-Paul à Saint-Rémy-de-Provence, 1889, Paris, musée d’Orsay, donation de Max et Rosy Kaganovitch
 (Musée d'Orsay, dist. RMN-Grand Palais / Patrice Schmidt)
 
La nature en pleines convulsions
 
En 1888, Van Gogh est à Arles où il peint des paysages où le talus du chemin de fer semble mouvant, où la "Pelouse du Jardin public de la place Lamartine" vibre comme une étendue d'eau. Pour Artaud, il représente "des choses de la nature inerte comme en pleines convulsions". Hospitalisé à Saint-Rémy-de-Provence en 1889, le peintre capte de façon extraordinaire le passage des saisons dans le jardin de l'hospice, la vivacité et la fraîcheur des arbres et des fleurs au printemps, la végétation plus sombre et le ciel plus intense en octobre, l'atmosphère austère et la lumière blafarde de décembre.
 
Artaud loue "la couleur roturière mais si juste des choses" chez Van Gogh. Des couleurs qui explosent dans ses natures mortes, où l'on peut voir un crabe sur une assiette au vert profond, un bouquet de fleur sur fond turquoise scintillant, des lauriers roses dans un environnement vert vif. Il est particulièrement fasciné par les tournesols du peintre, dont on verra ici la version du Kunstmuseum de Berne : en duo et en gros plan, les fleurs apparaissent dans un tourbillon de paillettes. "Ils sont peints comme des tournesols et rien de plus, mais pour comprendre un tournesol en nature, il faut maintenant en revenir à Van Gogh."
Vincent Van Gogh, Roses et Anémones, Auvers-sur-Oise, juin 1890, Paris Musée d'Orsay, don de Paul Gachet fils
 (Musée d'Orsay, dist. RMN-Grand Palais / Patrice Schmidt)
 
L'annonce du drame dans un vol de corbeaux
Installé à Auvers-sur-Oise en 1890, Van Gogh travaille sur les champs, étendues tourmentées sous des nuages qui roulent dans des ciels menaçants. Dans une lettre à son frère Théo écrite quelques jours avant sa mort, en juillet, il concède qu'il ne s'est "pas gêné pour chercher à exprimer de la tristesse, de la solitude extrême".
 
On a pensé à l'époque que "Champ de blé aux corbeaux" était son dernier tableau, qu'il y travaillait quand il s'était suicidé. En réalité, rien ne l'assure. Mais Artaud a été particulièrement fasciné par cette toile qu'il a admirée à l'Orangerie. Il a vu dans les blés convulsés et le vol de corbeaux l'annonce du drame.
 
"Méfiez-vous des beaux paysages de Van Gogh tourbillonnants et pacifiques, convulsés et pacifiés. C'est la santé entre deux reprises de la fièvre chaude qui va passer. C'est la fièvre entre deux reprises d'une insurrection de bonne santé. Un jour la peinture de Van Gogh armée et de fièvre et de bonne santé, reviendra pour jeter en l'air la poussière d'un monde en cage que son cœur ne pouvait plus supporter", écrit-il.
 
Le jeune Artaud, dont on peut voir le beau visage intensément expressif dans une vingtaine d'extraits de films, est interné en 1937. C'est dix ans plus tard, l'année où il écrit son texte sur Van Gogh, que Denise Colomb (qui est par ailleurs la sœur de Pierre Loeb) le photographie à Ivry, où il est toujours en maison de santé mais libre de ses mouvements : prématurément vieilli, il a les traits ravagés. Il mourra un an plus tard, sans doute d'une overdose de médicaments, alors qu'il est atteint d'un cancer.
 
Van Gogh / Artaud, Le suicidé de la société, Musée d'Orsay, 1 rue de la Légion d'Honneur, Paris 7e
tous les jours sauf le lundi, 9h30-18h, le jeudi jusqu'à 21h45
tarif unique avec l'entrée au musée : 11€ / 8,5€
 

 

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