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Pierre Soulages a cent ans ce 24 décembre : retour sur 80 ans de création du père de l'outrenoir

Pierre Soulages, un des plus grands artistes vivants, fête ses cent ans le 24 décembre. Retour sur 80 ans de création, des brous de noix à Conques à l'outrenoir.

Article rédigé par Valérie Oddos
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6 min
Pierre Soulages le 27 novembre 2019 (FRED DUGIT / MAXPPP)

Pierre Soulages fête son centième anniversaire ce mardi 24 décembre. Et le père de l'"outrenoir" travaille toujours. Trois des œuvres exposées dans l'exposition hommage du Louvre, qui a débuté le 11 décembre, ont été peintes en 2019. Retour sur plus de 80 ans de carrière du plus grand artiste français vivant.

"Enfant, je préférais tremper mes pinceaux dans l'encre noire plutôt que d'employer des couleurs. On m'a raconté que je faisais de grands traits noirs sur le papier, j'aurais répondu que je faisais de la neige", racontait Pierre Soulages en 2009, lors de la rétrospective organisée par Centre Pompidou pour ses 90 ans. Il rendait ainsi le blanc du papier plus blanc en mettant du noir.

Pierre Soulages a toujours aimé le noir : "Ce fut la couleur de mes vêtements dès que j'ai pu les choisir. Ma mère était outrée. Elle me disait : 'Tu veux déjà porter mon deuil ?'", racontait-il à l'AFP en février dernier. Et c'est en noir qu'il s'est marié en 1942 avec Colette, dont il partage la vie depuis 77 ans. En 1979, Pierre Soulages a commencé à ne mettre que du noir sur ses toiles, inventant ce qu'il a appelé l'"outrenoir", un autre "champ mental que le noir".

Le choc de Conques

Vitraux de Pierre Soulages à l'abbatiale de Conques (Aveyron) (MANUEL COHEN / MANUEL COHEN / AFP)

Pierre Soulages est né en 1919 à Rodez, dans l'Aveyron. Son père, un carrossier qui fabrique des charrettes, meurt alors qu'il n'a que sept ans. Il est élevé par sa mère et sa sœur plus âgée que lui. Enfant, il s'évade en fréquentant les artisans de son quartier. Il en gardera un goût pour les outils, utilisant des pinceaux de peintre en bâtiment ou fabriquant lui-même ses instruments. 

Lors d'un voyage de classe, il visite l'abbatiale romane de Conques (dont il créera les vitraux, des années plus tard), un choc esthétique qui décidera de sa carrière : "C'est (…) là, je peux le dire, que tout jeune j'ai décidé que l'art serait la chose la plus importante de ma vie", disait-il dans un entretien à la Bibliothèque nationale de France en 2001.

Il peint régulièrement à partir de 1934 et monte à 18 ans à Paris pour préparer le concours de l'école des Beaux-Arts. Il est admis mais il trouve l'enseignement médiocre et décide de retourner à Rodez.

La période de la guerre est mouvementée : il est mobilisé en juin 1940, démobilisé début 1941, il étudie à l'Ecole des Beaux-Arts de Montpellier, puis travaille dans un vignoble sous une fausse identité pour échapper au travail obligatoire en Allemagne.

Soulages, ce n'est pas que le noir

Au musée Soulages de Rodez (26 août 2019), (© Mario FOURMY/SIPA)

La carrière de peintre de Pierre Soulages commence réellement quand il s'installe à Courbevoie, en banlieue parisienne, avec Colette, en 1946. D'emblée, ses œuvres sont abstraites. Il combine d'épaisses lignes verticales, horizontales, obliques, comme des idéogrammes. Il peint sur papier avec du brou de noix, sur des verres cassés avec du goudron. 

Au-delà de Conques, il a été impressionné par l'art pariétal, dans lequel il puise ses couleurs. Des couleurs sourdes, de l'ocre au noir en passant par le rouge ou des bruns plus ou moins intenses.

A partir de 1951, Soulages pratique aussi la gravure, sur plaques de cuivres. Ses estampes de petite taille utilisent toutes ces couleurs, en contraste avec le noir. Il réalise plus tard des lithographies où il utilise des couleurs plus vives, rouge vermillon, jaune vif, bleu. Puis des sérigraphies (c'est une sérigraphie de Soulages qui est utilisée pour l'affiche du festival d'Avignon en 1996). Sur papier, il peint des gouaches où il introduit des bleus intenses et lumineux.

Dans ses peintures des années 1950-1970, il fait contraster des formes noires avec des fonds colorés, puis il fait apparaître les couleurs du fond en raclant le noir. Ou bien il fait contraster le noir avec le blanc.

L'outrenoir : le noir et la lumière

Des "Outrenoir" de Pierre Soulages à l'exposition de 2009 au Centre Pompidou (LOIC VENANCE / AFP)

C'est en 1979 que Pierre Soulages invente l'"outrenoir" et ces toiles, pour lequel il est le plus connu, où il n'utilise que le noir. En 2009, lors de la rétrospective du Centre Pompidou, il expliquait à l'historien de l'art Hans-Ulrich Obrist que l'"outrenoir" est né alors qu'il était en train de "rater une toile. Un grand barbouillis noir". Malheureux, il est allé dormir. "Au réveil je suis allé voir la toile", racontait-il. "J'ai vu que ce n'était plus le noir qui faisait vivre la toile mais le reflet de la lumière sur les surfaces noires. Sur les zones striées, la lumière vibrait, et sur les zones plates tout était calme." Un nouvel espace s'ouvre, pour lui, devant la toile : "La lumière vient du tableau vers moi, je suis dans le tableau." 

Il se met alors à jouer avec la matière de la peinture noire qu'il travaille avec des outils, créant du relief, la rendant luisante ou mate. Dessus, la lumière produit des changements de couleur.

D'une toile en trois panneaux (Peinture 222 x 449 cm, 30 septembre 1983) qu'il avait observée chez lui à Sète, près de la Méditerranée, et qu'il présentait au Centre Pompidou en 2009, Pierre Soulages a dit : "Certains matins, elle est gris argent. A d'autres moments, captant les reflets de la mer, elle est bleue. A d'autres heures, elle prend des tons de brun cuivré (…). Un jour, je l'ai même vue verte : il y avait eu un orage et un coup de soleil sur les arbres qui ne sont pas loin de là."

Voir Soulages, de Conques à Rodez

Gros plan sur une peinture de Pierre Soulages au musée Soulages de Rodez (18 juillet 2019) (NICOLAS PARENT / MAXPPP)

Les vitraux de l'abbatiale de Conques, une commande publique, sont une des grandes œuvres de Pierre Soulages. Elles lui ont demandé sept ans de travail, entre 1987 et 1994. Pour les 104 verrières il a imaginé un verre particulier, créé avec le maître-verrier Jean-Dominique Fleury. Il utilise l'opacité et la transparence qu'il a réparties pour faire varier les intensités lumineuses en fonction de l'heure du jour : cela a donné des effets de couleurs inattendus. Des lignes fluides, obliques légèrement courbes, courent sur le verre. 

Un autre lieu qu'il faut visiter absolument pour rencontrer Soulages, c'est le musée qui lui est consacré dans sa ville natale et qui possède le plus important ensemble de ses oeuvres. Le musée Soulages de Rodez a ouvert ses portes en mai 2014. L'artiste en a accepté l'idée à condition qu'il soit ouvert à d'autres artistes. Il a fait une donation de 500 pièces au musée dont de nombreuses gravures, des gouaches, des encres, des brous de noix, des huiles sur toile et tous les travaux liés à la création des vitraux de Conques (notamment les cartons). Il y a ajouté quatorze peintures dont un Outrenoir de 1986.

Pour ses cent ans, le Louvre rend hommage à Pierre Soulages en exposant dans le Salon Carré une sélection d'une vingtaine d'œuvres couvrant toute sa carrière, prêtées par les grands musées du monde (du 11 décembre 2019 au 9 mars 2020). Le Centre Pompidou expose une sélection de 14 des 25 œuvres de l'artiste conservées dans sa collection, dont sept provenant du legs de Pierrette Bloch jamais encore montrées au Centre. Le musée Fabre de Montpellier, qui possède une collection importante de Soulages, lui rend aussi hommage avec un parcours enrichi de nouvelles oeuvres, dont des prêts.

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