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Les impressionnistes et la décoration, un aspect méconnu de leur travail révélé au musée de l'Orangerie

À travers une centaine d'œuvres, de Renoir à Monet, de Morisot à Caillebotte, le musée de l'Orangerie à Paris explore une aspect largement ignoré du travail des impressionnistes, sa dimension décorative (jusqu'au 11 juillet 2022).

Article rédigé par Valérie Oddos
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 5 min
A gauche, Claude Monet (1840-1926) "Les Villas à Bordighera", 1884, décoration pour l’appartement de Berthe Morisot, Paris, musée d'Orsay - A droite, Pierre Auguste Renoir, "Baigneuses. Essai de peinture décorative",dit aussi "Les Grandes Baigneuses",1884-1887, Philadelphia Museum of Art, The Mr. and Mrs. Carroll S. Tyson, Jr., Collection, 1963 (A gauche Photo © Musée d’Orsay, Dist. RMN-Grand Palais / Patrice Schmidt  - A droite Photo © Philadelphia Museum of Art)

Claude Monet appelait les Nymphéas ses "grandes décorations", fait remarquer Sylvie Patry, conservatrice générale au musée d'Orsay et co-commissaire de l'exposition avec Anne Robbins, conservatrice à Orsay. "Alors qu'ils sont aujourd'hui une œuvre très appréciée, pourquoi leur dimension décorative a-t-elle été si peu, voire jamais, interrogée ?", demande-t-elle. Cette question, alors que "tous les impressionnistes se sont intéressés à ces questions de décoration", est à l'origine d'une belle exposition au musée de l'Orangerie à Paris.

Renoir a publié quatre textes sur les questions de décoration et a lui-même été formé dans le milieu des "arts industriels", souligne-t-elle. C'est sur un étonnant clown peint par l'artiste pour décorer un café que s'ouvre l'exposition.

"Dans l'histoire de l'impressionnisme, on a un pan béant, celui des travaux décoratifs, très peu étudiés, voire pas identifiés comme tels et il me semblait très intéressant de les remettre à l'honneur", explique Sylvie Patry.

Claude Monet (1840-1926), "Le déjeuner", vers 1873, musée d'Orsay,  (Photo © RMN-Grand Palais (Musée d’Orsay) / Hervé Lewandowski)

Des œuvres décoratives perçues comme des peintures de chevalet

Plusieurs raisons expliquent que ces œuvres n'aient pas été identifiées comme décoratives. Elles étaient réalisées sur toile, donc plus facilement dispersées que des œuvres peintes directement sur un mur. Une fois dispersées, elles ont souvent été vues comme des peintures de chevalet.

Et puis les impressionnistes n'ont jamais accédé à la commande publique, sauf deux femmes, Mary Cassatt et Marie Bracquemond. Leurs œuvres décoratives répondaient à des commandes privées, ou étaient imaginées pour des amis, des membres de la famille, ou pour l'intérieur de l'artiste lui-même. On a peu de documents visuels attestant de leur installation. Parfois, on n'est même pas sûr qu'elles aient été installées.

Dès les années 1860, ceux qui ne sont pas encore désignés comme impressionnistes réalisent des travaux décoratifs. Tout jeune, Cézanne orne la maison familiale de monumentales peintures. Camille Pissarro réalise des dessus-de-porte pour la salle à manger de son cousin, sur le thème des saisons, jamais montrés en France depuis des décennies.

Gustave Caillebotte (1848-1894), "Baigneurs". Panneau décoratif, dit aussi "Baigneurs, bord de l’Yerres", 1878, Collection particulière  (Photo © Photo Josse / Bridgeman Images)

Des "panneaux décoratifs" aux expositions impressionnistes

Quand les impressionnistes organisent leurs premières expositions, dans les années 1870, "ils vont régulièrement exposer des œuvres qu'ils intitulent 'décoration' ou 'panneau décoratif'", remarque Sylvie Patry. Comme le célèbre Déjeuner du musée d'Orsay présenté par Monet en 1876, d'un format inhabituel pour l'artiste à l'époque, qui avait pour nom "Panneau décoratif".

A l'exposition impressionniste de 1879, Gustave Caillebotte présente trois "panneaux décoratifs" évoquant les loisirs de bord de rivière et dont on ignore la destination. Dispersés dans des collections privées et au Musée des Beaux-Arts de Rennes, ils sont exceptionnellement réunis à l'Orangerie.

Il s'agit sans doute pour les impressionnistes de montrer qu'ils sont capables de peindre de grandes œuvres décoratives. Monet reçoit d'ailleurs une commande de quatre panneaux pour l'homme d'affaires Ernest Hoschedé, dont les célèbres Dindons. Il imagine aussi des vues de jardin et d'étang pour ce travail dont on ne sait pas s'il a jamais été installé chez le collectionneur, bientôt en faillite.

Berthe Morisot (1841-1895, "Bergère couchée", 1891, Décoration pour le salon blanc de l’appartement de l’artiste, 40 rue de Villejust à Paris, Paris, musée Marmottan-Monet, legs Annie Rouart en 1993 (Photo © musée Marmottan Monet, Paris)

Une approche immersive

"On passe de tableaux de fleurs à une peinture de jardin, une évolution très intéressante du point de vue de la décoration", remarque Sylvie Patry. Et puis "Monet a une approche beaucoup plus immersive du décor, qui inclut le spectateur et qui l'enveloppe", remarque la commissaire, qui souligne aussi le caractère "vibrant" et "peu fini" de ces travaux.

Dans les années 1880, les décors des impressionnistes sont aussi pleins de figures, souvent inspirées du passé. Berthe Morisot peint une Vénus d'après François Boucher pour son appartement. Et puis on découvre de surprenantes Baigneuses (Essai de peinture décorative) où Renoir a voulu renouer avec la tradition classique en cherchant à imiter la fresque. Pour un effet plus mat, il ajoute le moins d'huile possible aux pigments. Conservé à Philadelphie, le tableau n'avait jamais été montré en France depuis 1922.

Claude Monet (1840-1926), "Massif de chrysanthèmes", 1897, Bâle, Kunstmuseum Basel, dêpot de la Dr. h.c. Emile DreyfusStiftung, en 1970 (Photo : © akg-images)

Fleurs : un effet de papier peint

Une salle magnifique est consacrée aux fleurs, avec des parterres de chrysanthèmes par Monet et par Caillebotte, tous deux peintres et jardiniers, ainsi que les célèbres Marguerites de ce dernier. Les impressionnistes innovent en couvrant totalement la toile de fleurs. "On n'a plus des arrangements dans des vases, qu'on trouvait très souvent dans les tableaux décoratifs. On est dans une peinture qui regarde du côté du papier peint, des paravents japonais, comme si les fleurs étaient jetées à la surface du tableau. On perd tout repère spatial", commente Sylvie Patry.

A côté de portes ornées de décors floraux créées par Manet pour l'appartement du marchand Durand-Ruel, on peut admirer celles peintes par Caillebotte pour sa propre maison, au Petit-Gennevilliers. Il ouvre la maison sur le jardin, créant un trompe-l'œil sur le fouillis de la serre qu'il avait installée dans sa propriété.

Claude Monet (1840-1926), "Nymphéas", 1908, Vernon, Musée de Vernon (Photo © Musée de Vernon)

Retour aux Nymphéas

Partie d'une interrogation sur les Nymphéas l'exposition se termine sur l'œuvre majeure de la fin de la vie de Monet, motif devenu une obsession pour le peintreà partir de la fin des années 1890, et sorte de point d'orgue de la peinture décorative impressionniste. C'est au départ un projet pour une salle à manger, qui ne verra pas le jour mais Monet crée "un environnement qui n'a ni haut, ni bas, ni côté, sans repère, qui englobe le spectateur".

Quelques vues du bassin aux Nymphéas qu'il a créé dans son jardin de Giverny 1899-1900 où eau et végétation se mêlent sont une invitation à monter voir ou revoir les grands Nymphéas conservés à l'Orangerie.

Le Décor impressionniste, Aux sources des Nymphéas
Musée de l'Orangerie
Jardin des Tuileries (côté Seine)
Tous les jours sauf mardi, 9h-18h, nocturnes les 25 mars, 29 avril, 20 mai et 24 juin 2022
Tarifs : 12,50 € / 10 €
Du 2 mars au 11 juillet 2022

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