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Exotiques, fantasmées ou politiques : les peintures de l'ailleurs au Quai Branly

Pour la première fois, le musée du Quai Branly expose sa collection de peintures : des œuvres réalisées par des artistes occidentaux aux quatre coins du monde qui témoignent d'une vision exotique sur les horizons lointains qu'ils découvraient ou que, parfois, ils fantasmaient sans quitter l'Europe (jusqu'au 6 janvier 2019).
Article rédigé par Valérie Oddos
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
A gauche Lucien Lévy-Dhurmer, "Le Marocain", début du XXe siècle - A droite François-Auguste Biard, "Deux Indiens en pirogue", vers 1860 (Amazonie, Brésil)
 (A gauche © musée du quai Branly - Jacques Chirac, photo Claude Germain - A droite © musée du quai Branly - Jacques Chirac, photo Enguerran Ouvray)

Le musée du Quai Branly a hérité de la collection du musée des Arts d'Afrique et d'Océanie, héritier du musée des Colonies rebaptisé en 1935 musée de la France d'outre-mer et abrité au palais de la Porte dorée,  construit pour l'Exposition coloniale de 1931.
 
"On a tendance à associer la collection du Quai Branly aux arts et civilisations d'Afrique et d'Océanie, des Amériques et d'Asie", souligne la commissaire de l'exposition Sarah Ligner, "mais il y a aussi des œuvres européennes dans ce gigantesque fonds de plus de 300.000 oeuvres".

Prosper Marilhat, "Mosquée dans la Basse Egypte", années 1830
 (musée du quai Branly - Jacques Chirac, photo Claude Germain)

Une certaine image de l'ailleurs

Le musée du Quai Branly possède près de 500 tableaux de peintres occidentaux et en présente plus de 100, ainsi que des dessins, de 140 artistes, dans l'exposition "Peintures des lointains". Si l'on excepte quelques toiles d'Emile Bernard, quelques gravures de Paul Gauguin et quelques dessins de Matisse, il s'agit généralement artistes qui n'ont pas marqué l'histoire de l'art. Mais ils véhiculent une certaine image de l'ailleurs, marquée par leur époque. Et c'est tout l'intérêt de cette exposition : s'interroger sur la vision qu'on pouvait avoir sur les contrées lointaines explorées et conquises par les puissances européennes et en particulier par la France.
 
Accompagnant des expéditions ou l'armée, les artistes ont souvent représenté les ports, comme Charles Fouqueray, peintre de la marine, qui a peint celui de Djeddah et sa foule de pèlerins se rendant à la Mecque. Il représente aussi le port de Saïgon, dans le cadre d'une commande de la Marine marchande pour l'Exposition coloniale de 1931.
Théodore Frère, "Halte de la caravane", désert de Syrie, années 1860-1870
 (musée du quai Branly - Jacques Chirac, photo Claude Germain)

Imaginaire de l'exotisme

La première question que pose l'exposition, c'est celle des "clichés qui ont nourri l'imaginaire de l'exotisme", explique Sarah Ligner.
 
Prosper Marilhat, lui, accompagne en Egypte, en 1831, une expédition scientifique. Et au Caire, ce n'est pas la ville réelle qu'il nous montre mais une construction imaginaire recomposée plus tard dans son atelier parisien combinant le minaret d'une mosquée et la coupole d'une autre.
 
"Ces images qui sont célébrées par Théophile Gautier, ces peintures qui envahissent les salons, ces toiles orientales montrent bien comment l'Orient devient une préoccupation générale au XIXe siècle. C'est ce que dit Victor Hugo dans 'Les Orientales', et cet Orient est présent grâce à de nombreux clichés, les images archétypales de l'oasis, de la caravane de chameaux, sans oublier cette fascination pour une lumière nouvelle, décrite par beaucoup d'artistes orientalistes dans leurs écrits", souligne la commissaire.
Jean Baldoni, "Le flamboyant - Martinique", 1930
 (musée du quai Branly - Jacques Chirac, photo Claude Germain)

La lumière, les foules pittoresques et la nature luxuriante 

La lumière nouvelle, les artistes la traquent en Algérie ou au Proche-Orient. Maxime Noiré qui a voyagé à travers toute l'Algérie nous montre des espaces désolés en panoramique dans une lumière rose. Théodore Frère livre une caravane dans le désert de Syrie.
 
Les foules pittoresques et les étoffes colorées retiennent l'attention des artistes, sur les marchés à Madagascar ou lors de fêtes en Algérie.
 
Ils sont fascinés aussi par la nature luxuriante. Un flamboyant illumine un tableau de Jean Baldoni en Martinique, les bêtes sauvages peuplent les laques réalisées par Jean Dunand pour les décors de l'Expositions coloniale, comme des animaux fantastiques.
 
La nature, certains artistes la rêvent vierge, paradisiaque, habitée par des "bons sauvages" incarnant un âge d'or de l'humanité, comme le couple d'Indiens qui flottent en pirogue sur l'Amazone dans un tableau de François-Auguste Biard (vers 1860) acquis récemment par le Quai Branly.
Ange Tissier, "L'Odalisque", 1860
 (musée du quai Branly - Jacques Chirac, photo Thierry Ollivier, Michel Urtado)

Le fantasme de l'odalisque

Le fantasme de la femme exotique sensuelle et lascive est omniprésent au travers de la figure de l'odalisque ou de la vahiné. Il habite l'"Algérienne" d'Ange Tissier, un peintre qui n'a jamais quitté nos rivages, ou les danseuses cambodgiennes de Rodin.
 
Une partie de l'exposition est consacrée à la représentation de l'"autre". Elle est d'abord alimentée par la curiosité : à la fin du XVIIIe, les premiers modèles noirs sont invités dans les ateliers d'artistes européens. Louis-Philippe commande quelques portraits au peintre américain George Catlin, qui s'est passionné pour les Amérindiens : ces toiles ont été redécouvertes dans les années 1980 au Musée de l'Homme où elles étaient roulées dans un coin des réserves.
 
Dans la seconde moitié du XIXe siècle naît une approche plus ethnographique. "Une nouvelle génération d'artistes orientalistes prolongent leurs séjours dans les régions d'Afrique du Nord et revendiquent un regard plus soucieux d'exactitude", raconte Sarah Ligner. Eugène Fromentin croque des scènes de la vie de tous les jours en Algérie.
Jeanne Thil, "AOF - Togo - Cameroun", probablement exposé dans le pavillon de l'AOF (Afrique occidentale française) pendant l'Exposition coloniale de 1931
 (musée du quai Branly - Jacques Chirac, photo Enguerran Ouvray)

Quand le paradis fait place au champ de bataille

 La peinture des lointains a enfin un aspect plus directement politique quand Géo Michel peint pour l'Exposition coloniale de grandes fresques qui évoquent les productions des colonies françaises. Il s'agit d'une peinture de propagande, tout comme les toiles d'André Herviault envoyé en Asie du Sud-Est et en Afrique pour faire des tableaux à la gloire des officiers et des administrateurs coloniaux en Indochine.
 
Et l'image fantasmée d'un ailleurs idyllique peut s'effondrer quand Charles Giraud et Horace Vernet nous racontent les champs de bataille à Tahiti (communément vu comme un paradis) ou en Algérie où l'armée française affronte les résistants au milieu du XIXe siècle. 

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