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Bernard Buffet, une célébrité méconnue réhabilitée au Musée d'art moderne de la Ville de Paris

Bernard Buffet, peintre populaire, star même dans les années 1960, et en même temps méprisé par la critique, n'avait jamais eu de grande rétrospective dans un musée parisien. Le Musée d'art moderne de la Ville de Paris remet à l'honneur cet artiste prolifique et controversé avec une grande exposition d'oeuvres sélectionnées (jusqu'au 26 février 2017).
Article rédigé par Valérie Oddos
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6 min
Bernard Buffet, Les Plages, "Le Parasol", 1967, Musée d'art moderne de la Ville de Paris
 (Musée d'Art moderne / Roger-Viollet © ADAGP, Paris 2016)

"C'est la première fois qu'un musée parisien fait une exposition rétrospective de l'œuvre de Bernard Buffet. C'est un des artistes français les plus connus du XXe siècle, celui qui a été le plus célèbre de son vivant, et aussi celui qui a été le plus critiqué, rejeté par la critique et par le monde de l'art, moi y compris", souligne Fabrice Hergott, le directeur du Musée d'art moderne de la Ville de Paris.
 
Bernard Buffet (1928-1999) a été soutenu dès 1948 par un marchand inconditionnel, Maurice Garnier, qui lui a organisé des expositions tous les ans au mois de février, sur des thèmes divers. Fait exceptionnel, à partir de 1977, Maurice Garnier, décédé en 2014, lui a même consacré exclusivement sa galerie. Il rêvait qu'un musée lui soit dédié, il avait gardé et racheté ce qu'il considérait comme le meilleur de son œuvre, alimentant un fonds de dotation dans ce but.

Bernard Buffet, "L'Atelier", 1947, Musée Bernard Buffet, Surugadaira (Japon)
 (Musée Bernard Buffet © ADAGP, Paris 2016)


Un artiste précoce

Le Musée d'art moderne de la Ville possède la plus grande collection publique de Bernard Buffet. Elle a aussi puisé dans ce fonds de dotation pour construire sa rétrospective.
 
"C'est en allant voir Maurice Garnier, en parlant avec lui, que je me suis rendu compte que Buffet était un beaucoup plus grand artiste que ce que sa mauvaise réputation laissait penser. Et je pense que cette exposition est une des plus audacieuses que nous ayons faites", affirme Fabrice Hergott.
 
Bernard Buffet est un artiste précoce et remarqué : au lycée, il ne s'intéresse qu'aux sciences naturelles. Il le quitte en 4e pour suivre des cours de dessin avant d'entrer à 16 ans à l'Ecole des Beaux-Arts. Il commence à exposer dans les salons à 19 ans, il est remarqué et vend des tableaux à 20 ans. A 22 ans, il est exposé dans des galeries à New York, Londres, Bâle, Copenhague ou Genève.
Bernard Buffet, "Autoportrait sur fond noir", 1956, Collection Pierre Bergé
 (Dominique Cohas © ADAGP, Paris 2016)


Des figures anguleuses dans des tons sourds

Bernard Buffet trouve son style très vite : il peint des natures mortes, des portraits, dans des tons sourds, beiges, gris. Ses figures sont allongées et anguleuses. Il n'y a pas de profondeur : ce qu'on voit par la fenêtre d'un "Atelier" (1947) semble dans le même plan que le mur de la pièce. Des natures mortes flottent sur une table dont le plan se renverse vers nous.
 
"La Ravaudeuse de filets" qui fait sensation au Salon d'automne en 1948, grande figure filiforme raccommode un filet fait d'un enchevêtrement de lignes.
 
Dès 1948 il remporte le Prix de la critique organisé par la galerie Saint-Placide avec "Deux hommes dans une chambre" où un homme se déshabille et l'autre est assis, nu, sur une chaise.
 
Des autoportraits récurrents (une salle en réunit trois) le représentent debout, silhouette toujours allongée, le pinceau à la main devant une toile, dans le coin gauche du cadre.
Bernard Buffet, "Horreur de la guerre, L'Ange de la guerre", 1954, Collection fonds de dotation Bernard Buffet, Paris
 (Fonds de dotation Bernard Buffet © ADAGP, Paris 2016)

Des paysages tranquilles et les horreurs de la guerre

"Il y a énormément de variété dans cette peinture qu'on connaît extrêmement mal", souligne Catherine Gagneux, la commissaire de l'exposition. "Tout le monde a quelque chose à dire sur Bernard Buffet et quand on creuse un peu on se rend compte que très peu de gens ont réellement vue sa peinture".
 
Ainsi, au détour d'une salle on tombe sur des paysages de Nanse, dans les Alpes-de-Haute-Provence, où il loue une bergerie au début des années 1950. On a toujours le même style graphique : un bâtiment à peine esquissé de quelques traits est posé dans un paysage vide, avec trois arbres dénudés, et c'est magnifique.
 
A 26 ans, Buffet peint un triptyque gigantesque et glaçant sur "L'Horreur de la guerre" plein de corps nus fusillés, pendus ou égorgés dans des paysages désolés et sous un soleil glacé. Un an plus tard, c'est le cirque qui l'inspire : son "Clown" sera reproduit partout.
Bernard Buffet, "Nature morte à la sole", 1952, Collection Pierre Bergé
 (Dominique Cohas © ADAGP, Paris 2016)

La question de la popularité de l'artiste

Le parcours chronologique est ponctué de vitrines avec des photos et des articles de magazines de l'époque qui montrent comment Bernard Buffet a été une star, avant de devenir pour Paris Match le "maître à la rolls" qui vit dans un château. Il s'agit aussi de montrer comment alors "il a connu un désamour progressif de la part d'un certain monde de l'art, mais jamais du grand public" et "ça pose la question de la popularité d'un artiste : quand son œuvre est accessible au grand public, est-ce que les élites ne s'en détournent pas ?" se demande Catherine Gagneux.
 
En 1958, Bernard Buffet n'a alors que trente ans, la galerie Charpentier organise sa première rétrospective d'une centaine de tableaux qui provoque quasiment une émeute.
 
Au milieu des années 1950 la peinture de Bernard Buffet a changé, il met plus de couleur, plus d'épaisseur. Tous les ans, pour son exposition de février, il y a un thème différent : en 1960, on a les "Oiseaux", énormes, disproportionnés, au-dessus de femmes nues à terre, jambes écartés, une réinterprétation du thème de Léda et le Cygne qui fait scandale. En 1965, les "Ecorchés", gros plan sur des têtes sanguinolentes aux yeux effrayants.
 
On a des "Plages" monumentales en 1967 où de longues jambes s'étalent ou se plient sur le sable.
Bernard Buffet, Mes Singes, "Orang-Outan femelle", 1997, Collection fonds de doation Bernard Buffet
 (Fonds de dotation Bernard Buffet © ADAGP, Paris 2016)


Un effet d'attraction et de répulsion

A côté de scènes effroyables et gigantesques tirées de "L'Enfer" de Dante où il revient au style graphique de ses débuts, Buffet peint des paysages paisibles ou bien des animaux en gros plan, tout plats : un petit-duc ébouriffé sur une branche, un gros insecte qui rappellent son goût pour les sciences naturelles. Il semble souffler constamment le chaud ou le froid, avec une peinture souvent austère, parfois flamboyante (souvent jugée vulgaire). Fabrice Hergott parle à propos de ses tableaux d'un "effet d'attraction et de répulsion".
 
Plus loin, ce sont quasiment des scènes de BD qu'il crée, quand il s'approprie l'univers de "20.000 lieues sous les mers". Et puis on a la surprise de voir des personnages de "Kabuki" : c'est que Bernard Buffet, honoré par le Japon où on le collectionneur Kiichiro Okan lui a consacré un musée, est tombé amoureux du pays. On est proche encore de la bande dessinée quand, en 1997, trois bras tendus brandissent des pistolets ("Les trois rigolos", série des "Terroristes").
 
Le 4 octobre 1999, atteint de la maladie de Parkinson, Bernard Buffet se suicide dans son atelier après avoir préparé son exposition annuelle de 2000 à la galerie Maurice Garnier baptisée "La mort" : ses squelettes féminins et masculins en habits Renaissance de couleurs vives semblent nous défier.

Il aura fallu presque vingt ans encore pour qu'un grand musée le juge digne d'être montré sous toutes ses façettes. Le débat sur la valeur de son oeuvre n'est certainement pas clos, mais cette rétropective donnera à chacun l'occasion de se faire sa propre idée sur un peintre qu'on connaît finalement assez mal.
Bernard Buffet, "La Mort 7", 1999, Museum für Moderne Kunst, Frankfurt am Main
 (Bernard Buffet, "La Mort 7", 1999)

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