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Baya, l’icône pionnière de la peinture algérienne célébrée dans une exposition rétrospective à l’Institut du monde arabe

L’Institut du monde arabe rend hommage à Baya, l’artiste algérienne la plus connue du Maghreb. Ses toiles pigmentées sont à admirer jusqu’au 26 mars.
Article rédigé par Yemcel Sadou
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 7 min
Baya, Les oiseaux musiciens, 1976 (© Photo Alberto Ricci)

"Baya fait partie des jeunes femmes colonisées qui transcende tous les déterminismes coloniaux, sociaux et de genre, pour s'affirmer très jeune", décrit Anissa Bouayed, historienne et commissaire de l’exposition Baya, femmes en leur jardin à l’Institut du monde arabe. Cette exposition rétrospective rend hommage au travail de Baya, femme pionnière de la peinture algérienne propulsée à 16 ans au sommet de la notoriété, éblouissant écrivains, artistes et amateurs d’art. Ses toiles aux couleurs vives et chatoyantes réchauffent le cœur du public qui découvre l’histoire miraculeuse de Baya. 

C’est d’ailleurs cette histoire qui fait la richesse de l’exposition : "Chez Baya, il y a quand même une intrication importante des questions biographiques dans ce qu'elle peint. L'apport spécifique de l’exposition, est le riche travail documentaire qui complète les œuvres de Baya", explique Anissa Bouayed.

L’IMA montre pour la première fois une quarantaine de ses premiers dessins de 1944-45, alors que Baya avait 13 ans. Des documents historiques inédits, comme ces lettres issues des Archives nationales d’outre-mer à Aix-en-Provence sont dévoilées également. L’exposition est à admirer jusqu’au 26 mars à l’IMA, puis au Centre de la Vieille Charité de Marseille du 11 mai au 24 septembre. 

L’histoire d’une enfant prodige 


L’exposition chronologique balaye les différentes étapes de la carrière artistique de Baya, de ses débuts dans les années 40, à sa rencontre avec Marguerite Caminat sa mère adoptive, en passant par son séjour à l’atelier Madoura de Vallauris où elle rencontre Picasso. La scénographie permet de comprendre la construction de Baya en tant qu’artiste et femme.

Portrait de Baya à l’exposition d’artistes algériens, Fête de l’Humanité, La Courneuve, septembre 1998 (Abderrahmane Ould Mohand)

Bahia, prononcé Baya par les Kabyles est orpheline et travaille dans les fermes agricoles avec sa grand-mère lorsqu’elle fait la connaissance, à 10 ans, de Marguerite Caminat : une artiste, amatrice d’art et adepte de l’éducation artistique libre des enfants. Celle-ci observe la jeune Baya dessiner dans la terre et créer des petites sculptures en argile. Impressionnée elle propose à la grand-mère de Baya de l’adopter, et l’emmène dans son appartement à Alger.

Baya apprend en autodidacte ou en imitant les femmes Kabyles qui manient l’art de la poterie avec habileté : "Elle a pu s'appuyer sur les personnes qui l’ont prise sous son aile en sauvegardant son patrimoine culturel et sa personnalité" explique Claude Lemand, collectionneur-donateur, chercheur et co-commissaire de l’exposition. 

Hommage à la culture arabo-kabyle


Baya valorise la richesse des arts populaires algériens, qu’ils soient un patrimoine oral comme les contes que les femmes Kabyles lui racontaient dans son enfance, ou un patrimoine plastique comme la poterie, les dessins ou les formes. "Il y a dans ses premières œuvres des femmes qu’elle appelle femmes au talisman ou en pendentif, avec ce qui ressemble à des bijoux kabyles. J'ai aussi beaucoup pensé au fouta kabyle pour les robes. Mais Baya ne fait pas une transcription stricte d’un folklore : elle le valorise différemment", raconte Anissa Bouayed.  

Baya, L'Âne bleu, ca 1950. Gouache sur papier, 100 x 150 cm. Collection Kamel Lazaar Foundation. (Rodolphe Alepuz)

Baya se donne le droit relativement tôt, de transcrire les choses avec sa singularité. "Au lieu de faire des motifs de fleurs sur les robes comme on a l'habitude d'en voir en Kabylie, chez Baya les robes vont être pleines de de papillons ou d'oiseaux mélangés à des points et des lignes. Elle s’arroge une très grande liberté de création", poursuit Anissa Bouayed. 

Le génie de Baya


Baya est l'héritière de millénaires d'art. Elle est très influencée par les contes que les familles kabyles racontaient dans son enfance. Sur un mur entier de l’exposition, de petites peintures sont rassemblées les unes à côté des autres. "Ce sont des illustrations de contes kabyles que Baya a fait autour de ces 15 ans.  L’une des peintures relate un conte kabyle très connu, la chèvre et les orphelins. Avant de mourir la mère confie une chèvre à ses enfants. La belle-mère refuse de donner à manger aux orphelins qui restaient malgré tout beaux et en pleine forme. Lorsque la marâtre découvre qu'ils boivent le lait de la chèvre en cachette, elle la fait tuer. Les enfants vont se recueillir sur la tombe de leur mère et voient son sein sorti. Ils iront la téter tous les jours, jusqu’à ce que la belle-mère s’en aperçoive et décide de le brûler", raconte Claude Lemand.

Une partie du mur de l'exposition "Baya, femmes en leur jardin", sur les contes de Baya. (FRANCEINFO Yemcel Sadou)


A travers ses illustrations, Baya représente un amour filial et sororal qui surpasse toutes les épreuves.  "Dans les contes qu’elle retient il y a toujours une maman qui meurt et un mari qui se remarie avec une belle-mère affreuse qui veut seulement faire du mal aux orphelins. Ce sont souvent un garçon et une fille qui s'entendent très bien", ajoute Claude Lemand. 

Les femmes ou les reines

Les femmes ont une place centrale dans l’œuvre de Baya. Elle porte une attention particulière aux robes et aux coiffes très extravagantes. "Il y a vraiment une volonté forte de montrer le monde à partir du regard féminin. Je pense que c'est l'essentiel peut-être du message de Baya. Il y a un côté émancipateur", explique Anissa Bouayed.

Baya, « Le rêve de la mère », une des deux versions, 1947 (© Gabrielle Voinot)

Baya ne met jamais les femmes dans des positions de victime, harassées de travail. Elle les montre toujours d’une grande beauté et dans des poses majestueuses. "Beaucoup d’écrivains dont Assia Djebar ont dit qu’elle montrait les femmes comme des reines, celles qui ordonnent le monde et protègent l’animal et le végétal" complète Claude Lemand.   

Monde idéal, rêvé

Les paysages luxuriants des œuvres de Baya nous font voyager non pas en Algérie mais dans un monde idéalisé proche d’un jardin d’Eden. "André Breton a eu cette intuition de considérer Baya comme la reine de l'Arabie heureuse. Cette reine c’est aussi la reine de Saba. Elle a quelque chose de mythique, de merveilleux. C’est ce qu’a fait Baya dans son œuvre : elle a créé naturellement un dialogue entre la femme et les oiseaux comme à l'époque du roi Salomon et de la reine de Saba", rapporte Claude Lemand.

Monde idéal, rêvé ? La nature selon Baya nous fait quitter la Terre. Elle était musulmane et très attachée à sa spiritualité : "Personne n'a dit qu’il y avait un aspect non pas religieux mais mystique, spirituel et universaliste dans l’œuvre de Baya. Il ne faut pas suivre les nationalistes algériens qui veulent se l'accaparer", rappelle Claude Lemand.

Baya, Sans titre, 1998. Gouache sur papier, 50 x 100 cm, Paris, Musée de l'IMA (Musée de l'IMA - Philippe Maillard)

L’omniprésence de l’oiseau nous interroge : "On peut penser que pour Baya l'oiseau est aussi une métaphore de quelque chose d'intérieur qui s'exprime. Il est le messager je pense, de l'âme des personnages, de l'âme des instruments de musique. L’oiseau a le même œil que les femmes et regarde de biais. Il est le symbole de la vigilance, de l’ouverture sur le monde, et de la transmission", interprète Anissa Bouayed.

Le papillon, autre animal signature de Baya, peut renvoyer à la métamorphose. "Les plantes peuvent ressembler à des animaux, les animaux ressemblent à des instruments de musique : la métamorphose est présente dans un monde qui conserve une unité et une harmonie, toujours très composé avec un élément central comme une femme ou un instrument ", poursuit Anissa Bouayed. La culture religieuse de Baya lui permet d'avoir une vision esthétique à la recherche d'une harmonie primordiale. 

Rencontre avec Picasso 


En 1948, Baya accompagne Marguerite à l’atelier Madoura de Vallauris. Elle y réalise de nombreuses céramiques et y rencontre Picasso, qui se montre intéressé par son travail. Baya évoquera cet épisode dans ses entretiens, en 1982 : "Nos ateliers étaient voisins et il venait de temps en temps me rendre visite. Nous discutions. Il était très gentil. Des gens ont dit qu’il m’avait montré comment travailler. Pas du tout. Chacun travaillait de son côté" ; et en 1993 : "Nos ateliers étaient mitoyens. De temps en temps, il venait regarder ce que je faisais. On déjeunait ensemble, on mangeait le couscous. C’était un homme superbe, formidable. J’allais voir ce qu’il faisait.
 
Une mythologie est née suite à cette rencontre. Un critique algérien écrira que Picasso a appris à Baya l’art de la sculpture, ce qui est faux. "Picasso ne travaillait pas l'argile entièrement seul. C'est Madame Ramié (céramiste et propriétaire de l’atelier Madoura ndlr) qui lui préparait les choses, lui les déformait et les peignait. Baya était déjà virtuose, ce qui a justement étonné Picasso", précise Claude Lemand. La commissaire Anissa Bouayed ajoute : "peut-être que le fait de regarder quelqu'un travailler est une forme d'apprentissage, mais il faut faire attention à ne pas extrapoler. Pour elle, c'est aussi valorisant de pouvoir dire qu’elle a intéressé un peintre qui était déjà extrêmement célèbre."

Baya, femmes en leur jardin à admirer à l'Institut du monde arabe jusqu'au 26 mars 2023, et au Centre de la Vieille Charité de Marseille du 11 mai 2023 au 24 septembre 2023, avec des œuvres complémentaires. 

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