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Amadeo de Souza-Cardoso, le météore portugais de l’art moderne au Grand Palais

Amadeo de Souza-Cardoso, peintre portugais qui, à Paris, a connu Brancusi, Modigliani, les Delaunay, a produit en dix ans une œuvre protéiforme, nourrie de cubisme, de futurisme, d’expressionnisme, une œuvre en même temps originale et personnelle. Il n’est pas connu en France bien qu’il y ait passé huit ans. Le Grand Palais répare cet oubli en lui consacrant une grande rétrospective.
Article rédigé par Valérie Oddos
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Amadeo de Souza-Cardoso, à gauche "Le Saut du lapin", 1911 -  à droite "Océan vermillon bleu tête" (continuités symboliques), vers 1915, Lisbonne, CAM / Fundação Calouste Gulbenkian
 (Photos Paulo Costa)

Il était déjà au Grand Palais en 1912, au Salon d’Automne. Il exposait huit œuvres au célèbre Armory Show aux Etats-Unis en 1913 : elles y faisaient sensation et presque toutes étaient vendues. Dans la première décennie du siècle, il était une figure de l’avant-garde artistique à Montparnasse. Pourtant, Amadeo de Souza-Cardoso n’est resté célèbre que dans son pays, le Portugal, où il été montré à partir des années 1950 (jusque-là, sa veuve avait échoué à placer son œuvre dans un musée prestigieux).
 
Le Grand Palais propose une rétrospective en 300 œuvres (dont quelque 200 peintures) pour faire redécouvrir l’œuvre prolifique d’un jeune homme qui mourra fauché par la grippe espagnole en 1918, à trente ans à peine.
 
La première salle nous montre, dans une projection de photos, un beau garçon élégamment vêtu, avec ses amis parisiens ou en famille au Portugal. Et ses premières caricatures, datant des années 1906-1910. Car Amadeo de Souza-Cardoso, fils d’un riche producteur de vin, né en 1887 à Manhufe près d’Amarante, dans le nord du Portugal, commence sa carrière en dessinant des caricatures qui sont publiées dans les journaux portugais.

Amadeo de Souza-Cardoso, Titre inconnu (Bellevue), vers 1911-1912, Lisbonne, CAM / Fundação Calouste Gulbenkian
 (Photo Paulo Costa)


A Paris, "on respire"

Pour faire plaisir à son père, il entame des études d’architecture et se rend pour cela à Paris en 1907. Il renonce très vite pour se consacrer uniquement à la peinture à partir de 1910. « Ici on respire, au Portugal on étouffe », écrit-il à sa sœur. L’effervescence artistique et le cosmopolitisme de la scène parisienne contrastent avec le conservatisme bourgeois de son milieu d’origine. D’ailleurs son travail fera scandale à Lisbonne et à Porto lors de sa première exposition personnelle en 1916.
 
A Paris, où il reste huit ans, le jeune Amadeo fréquente d’abord des intellectuels portugais avant de rencontrer Amedeo Modigliani (dont il sera très proche), Constantin Brancusi, l’Ukrainien Archipenko, Otto Freundlich, Umberto Boccioni, le couple Delaunay et aussi Diego Rivera, Blaise Cendrars, Apollinaire, Francis Picabia ou Marc Chagall… Toute sa courte carrière, il est imprégné des différents courants de l’avant-garde : le cubisme qu’il interprète librement, y ajoutant mouvement et couleur, le futurisme dont il adopte la vitesse, l’orphisme des Delaunay et même plus tard l’expressionnisme.
Amadeo De Souza-Cardoso, Titre inconnu (Clown, cheval, salamandre), vers 1911-1912, Lisbonne, CAM / Fundação Calouste Gulbenkian
 (Photo Paulo Costa)


"Il n’y a que l’originalité qui nous intéresse"

Amadeo de Souza-Cardos s’approprie l'esthétique des mouvements tout en ne les suivant jamais complètement : "Il me semble intelligent celui qui, quand il aime intensément une œuvre d’art, se garde d’autant plus de l’imiter", écrit-il en 1910 à son oncle Francisco, qui l’a encouragé dans ses projets artistiques. Dans cette lettre il se démarque du futurisme ("un truc de charlatan sans sensibilité ni cerveau") et du cubisme ("une calligraphie mentale et littéraire").
 
Il revendique l’éclectisme : "Je ne fais partie d’aucune école. Les écoles sont mortes. Nous, la nouvelle génération, il n’y a que l’originalité qui nous intéresse. Impressionnisme, cubiste, futuriste, abstractionniste ? Un peu de tout."
 
On peut encore citer au nombre de ses influences le Douanier Rousseau, par exemple dans sa toile "Le Saut du Lapin" de 1913, avec sa végétation exubérante. Il s’inspire encore des estampes japonaises, dans un vol d’oies, ou dans cette gouache : "Clown, cheval, salamandre" (1911-1912).
Amadeo de Souza-Cardoso, Titre inconnu (Fileuse), vers 1913, collection particulière
 (Photo José Manuel Costa Alves Amadeo de Souza-Cardoso Titre inconnu (La Maison de Manhufe) vers 1912-1913 huile sur bois 50,8 x 29,3 cm collection particulière en dépôt au Museu Municipal Amadeo de Souza- Cardoso / Câmara Municipal de Amarante Photo Paulo)


Les paysages du Portugal, traversés par différents styles

Les paysages de sa région natale, faits de montagnes ondoyantes à perte de vue, sont un motif récurrent de sa peinture auquel il applique différentes techniques.
 
Plusieurs petits tableaux peints entre 1910 et 1912, exposés côte à côte, montrent son évolution stylistique et, là encore, les différentes influences qui traversent sa peinture, de la construction cézannienne aux couleurs des Delaunay ou à la perspective verticale des peintres primitifs italiens, qui l’ont fortement impressionné lors d’un voyage en 1910 à Bruxelles : "Je passe mes journées en compagnie de quelques peintres primitifs, qui sont mes idoles", écrit-il
 
Dans ses paysages, il va introduire des scènes de la vie populaire, une fileuse avec ses chèvres, un berger avec ses moutons qui épousent les courbes des montagnes.
Amadeo de Souza-Cardoso, Chanson populaire, vers 1916, collection particulière
 (Photo José Manuel Costa Alves)

Retour au Portugal pendant la guerre

Un temps, vers 1913, il expérimente à la Delaunay les effets de la lumière et de couleur sur les formes, le paysage se fait de plus en plus abstrait, avec des courbes puis des conjugaisons de formes géométriques de couleurs vives.

En 1914, Amadeo de Souza-Cardoso voit un séjour au Portugal prolongé, en raison de la guerre. Il ne pourra jamais retourner à Paris et travaille dans l’atelier que son père lui a fait construire sur son domaine. L’artiste réintroduit dans sa peinture des figures et continue à expérimenter. Il fait penser aux expressionnistes allemands, notamment ceux du groupe Die Brücke, dans une série de têtes à la palette plus sombre, auxquelles il attribue des états émotionnels, tristesse, folie qui pourraient faire écho à la situation de guerre.
 
Par ailleurs, il s’inspire de l’imaginaire populaire de sa région, plaçant des pièces de céramique, des personnages en tenue traditionnelle, des instruments de musique, dans des compositions aux couleurs vives. Il met littéralement en scène les chansons populaires en faisant flotter leurs mots dans le cadre.
Amadeo de Souza-Cardoso, Titre inconnu (Coty), vers 1917, Lisbonne, CAM / Fundação Calouste Gulbenkian
 (Photo Paulo Costa)

Une œuvre brutalement interrompue

Il crée d’étonnants visages-masques, baptisés "Têtes océan" constitués de formes légèrement géométriques et de taches de couleurs vives, avant d’imaginer de grands collages colorés et saturés où il mêle divers éléments : du sable, un petit miroir, un collier, des éléments publicitaires. Ce sont ses dernières œuvres.
 
Alors qu’il prépare son retour à Paris, Amadeo de Souza Cardoso meurt le 25 octobre 1918 de la grippe espagnole, dix ans seulement après ses débuts en peinture. A trente ans, ce travailleur acharné a digéré tous les styles de son temps pour choisir une synthèse toujours originale, ne cessant d’expérimenter et de renouveler ses moyens d’expression. Au terme d’une courte carrière, il laisse plus de 200 peintures et de nombreux dessins et aquarelles. Comme toujours dans le cas de la disparition précoce d’un artiste, on ne peut s’empêcher de s’interroger sur tout ce qu’il aurait pu encore créer s’il avait survécu à l’épidémie.

Amadeo de Souza-Cardoso, "Tableau G", vers 1912, Lisbonne, CAM / Fundação Calouste Gulbenkian
 (Photo Paulo Costa)

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