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L'art islamique, une fascination croissante en France et à son apogée au XIXe siècle

INTERVIEW Depuis plusieurs siècles, l'Orient inspire artistes et écrivains. Mais c'est véritablement au XIXe siècle qu'est apparu un réel engouement avec notamment la campagne d'Egypte de Napoléon et la fascination pour ce pays. Explications avec Mercedes Volait, chercheuse au CNRS et spécialiste de l'histoire architecturale et patrimoniale de l'Egypte moderne.
Article rédigé par franceinfo
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
  (Galeries nationales de Finlande, Helsinki)

Après 10 ans de travaux, le musée du Louvre vient
d'ouvrir un département sur les Arts de l'Islam. Il s'agit d'un voyage à
travers douze siècles et trois continents qui présente toute la richesse et la
complexité des civilisations traversées par l'art islamique. Des civilisations
qui ont fasciné assez tôt l'Occident. Des premiers contacts de l'époque des
Croisades à la montée d'un orientalisme humaniste et classique vers la fin du
Moyen Âge et au début de la Renaissance, l'attrait pour le monde oriental s'est
accru au fil des siècles.

Mais c'est au XIXe siècle qu'est apparu un
véritable engouement pour l'Orient. Victor Hugo note en 1829, dans la préface
des Orientales , que "l'Orient est devenu une préoccupation générale ".
L'Orientalisme comme courant artistique et littéraire voit alors le jour, porté
par des peintres comme Ingres, Eugène Delacroix mais aussi plus tard Matisse et
Picasso. L'écrivain Pierre Loti exprimera également dans ses livres et sa
maison sa fascination pour l'Orient. Plusieurs événements attisent cette mode
et font passer l'Orient d'une source d'inspiration à une véritable
rencontre entre deux arts. Parmi ces évènements, la campagne d'Egypte de Napoléon
de 1798 à 1801.

Mercedes Volait, chercheuse au CNRS,
directrice du Laboratoire IN VISU et spécialiste de l'histoire architecturale
et patrimoniale de l'Egypte moderne
, détaille pour nous l'influence de l'art islamique
sur l'architecture et le patrimoine français. Elle est aussi l'auteur de l'ouvrage Fous du Caire, excentriques, architectes et amateurs d'art en Egypte,
1867-1914
, publié en 2009 aux Editions l'Archange Minotaure.

Quels sont les apports
architecturaux et patrimoniaux de l'art islamique en France ?

C'est vraiment dans les
monuments du Caire que la société française a découvert ce qu'étaient les arts
de l'Islam. Les Français considéraient que le Caire était la capitale par
excellence de l'art arabe et les liens très importants entre l'Egypte
khédiviale et le Second Empire ont fait que beaucoup de Français sont partis en
Egypte au XIXe siècle, y ont créé des entreprises financières et
commerciales, et se sont lancés dans des projets très importants à la fois de
collections d'art islamique et d'architectures pouvant les accueillir, d'où cet
intérêt et cette capacité à développer des projets d'architecture orientaliste.

A quelle époque ces Français
construisent-ils des demeures magnifiques au Caire ?

C'est dans les années 1870
au moment où l'Egypte et le Caire entrent dans une énorme politique de
modernisation, un certain nombre de
collectionneurs français acquièrent des terrains et font construire des maisons
en rapport avec leur collection. L'un d'entre eux, le baron Alphonse Delort de Gléon, a d'ailleurs permis la première "section d'art musulman". De retour en France, il a cédé ses collections au musée et a financé l'installation.

Le baron et les autres collectionneurs vont aussi réaliser en France des éléments architecturaux pour les personnes de leur entourage qui apprécient l'art islamique. Aujourd'hui,
il ne reste pas tout ce qui a été construit, car il s'agissait essentiellement
d'architectures intérieures, comme dans l'hôtel particulier de Delort de Gléon
à Paris près du parc Monceau. Il s'agit d'un salon à l'ottomane que l'on peut
encore voir aujourd'hui.

Quelles sont les clés de
cette architecture et de cet art islamique ?

Ce qui séduisait par exemple
beaucoup les Français du Caire ce sont les mosaïques de marbre, qui sont une
des caractéristiques de l'art mamelouk, le travail du bois, qui a perduré en
Egypte, toutes ces marqueteries de bois et d'ivoire, les métaux aussi, les
plafonds sculptés. La
polychromie, le verre émaillé, autre aspect très important, l'insertion de la
céramique dans les grandes salles nobles qui distribuaient les maisons, et les
vitraux en plâtre, très spécifiques à l'art des mamelouks et des ottomans et
que l'on a tenté de reproduire également. 

Et les édifices religieux
ou monuments ?

Il y a eu une tentative pour construire des églises dans ce qu'on appelait le
style romano- byzantin, mais ce n'est pas vraiment lié à l'Egypte et à l'art
mamelouk, c'est surtout lié à l'art mauresque et à l'art byzantin. Il y a eu un
projet de mosquée à Paris qui devait être en style mamelouk, mais le projet ne
s'est pas réalisé et la mosquée de Paris finalement a été construite en 1925
dans un style marocain. A ce moment-là dans les années 1920 ce qui intéressait
vraiment les Français, c'était l'art marocain, ce n'était plus l'art égyptien
qui était passé de mode.

Existe-t-il encore
aujourd'hui un intérêt pour cette esthétique et ce goût en vogue au XIXe siècle ?

Mon sentiment, c'est que
nous nous sommes éloignés de cette culture-là. Elle nous devient de plus en
plus étrangère. La connaissance de cet art est beaucoup moins diffusée dans la
société aujourd'hui qu'elle n'a pu l'être au XIXe siècle. C'est sorti de notre
champ de vision de l'art et de l'histoire de l'art, excepté pour quelques
spécialistes. D'ailleurs les arts de l'Islam ne sont quasiment pas enseignés en
France. A l'université par exemple, il existe très peu de chaires en histoire
des arts de l'Islam, et très peu de gens font des thèses dans ce domaine à la
différence par exemple des Etats-Unis où l'étude du North-western art et des
arts de l'islam est très importante.

En France c'est
extraordinairement réduit. On peut souhaiter que cela se développe, la France
devra sortir du repli hexagonal et du repli même européen. Cela viendra, c'est
très timide encore, mais aujourd'hui la péninsule arabique finance énormément
de projets, et cela arrive aussi forcément sur le terrain de l'art notamment
avec le contrat du Louvre Abou Dabi. 

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