Après 10 ans de travaux, le musée du Louvre vientd'ouvrir un département sur les Arts de l'Islam. Il s'agit d'un voyage àtravers douze siècles et trois continents qui présente toute la richesse et lacomplexité des civilisations traversées par l'art islamique. Des civilisationsqui ont fasciné assez tôt l'Occident. Des premiers contacts de l'époque desCroisades à la montée d'un orientalisme humaniste et classique vers la fin duMoyen Âge et au début de la Renaissance, l'attrait pour le monde oriental s'estaccru au fil des siècles.Mais c'est au XIXe siècle qu'est apparu unvéritable engouement pour l'Orient. Victor Hugo note en 1829, dans la préfacedes Orientales , que "l'Orient est devenu une préoccupation générale ".L'Orientalisme comme courant artistique et littéraire voit alors le jour, portépar des peintres comme Ingres, Eugène Delacroix mais aussi plus tard Matisse etPicasso. L'écrivain Pierre Loti exprimera également dans ses livres et samaison sa fascination pour l'Orient. Plusieurs événements attisent cette modeet font passer l'Orient d'une source d'inspiration à une véritablerencontre entre deux arts. Parmi ces évènements, la campagne d'Egypte de Napoléonde 1798 à 1801.Mercedes Volait, chercheuse au CNRS,directrice du Laboratoire IN VISU et spécialiste de l'histoire architecturaleet patrimoniale de l'Egypte moderne , détaille pour nous l'influence de l'art islamiquesur l'architecture et le patrimoine français. Elle est aussi l'auteur de l'ouvrage Fous du Caire, excentriques, architectes et amateurs d'art en Egypte,1867-1914 , publié en 2009 aux Editions l'Archange Minotaure.Quels sont les apportsarchitecturaux et patrimoniaux de l'art islamique en France ?C'est vraiment dans lesmonuments du Caire que la société française a découvert ce qu'étaient les artsde l'Islam. Les Français considéraient que le Caire était la capitale parexcellence de l'art arabe et les liens très importants entre l'Egyptekhédiviale et le Second Empire ont fait que beaucoup de Français sont partis enEgypte au XIXe siècle, y ont créé des entreprises financières etcommerciales, et se sont lancés dans des projets très importants à la fois decollections d'art islamique et d'architectures pouvant les accueillir, d'où cetintérêt et cette capacité à développer des projets d'architecture orientaliste.A quelle époque ces Françaisconstruisent-ils des demeures magnifiques au Caire ?C'est dans les années 1870au moment où l'Egypte et le Caire entrent dans une énorme politique demodernisation, un certain nombre decollectionneurs français acquièrent des terrains et font construire des maisonsen rapport avec leur collection. L'un d'entre eux, le baron Alphonse Delort de Gléon, a d'ailleurs permis la première "section d'art musulman". De retour en France, il a cédé ses collections au musée et a financé l'installation.Le baron et les autres collectionneurs vont aussi réaliser en France des éléments architecturaux pour les personnes de leur entourage qui apprécient l'art islamique. Aujourd'hui,il ne reste pas tout ce qui a été construit, car il s'agissait essentiellementd'architectures intérieures, comme dans l'hôtel particulier de Delort de Gléonà Paris près du parc Monceau. Il s'agit d'un salon à l'ottomane que l'on peutencore voir aujourd'hui.Quelles sont les clés decette architecture et de cet art islamique ?Ce qui séduisait par exemplebeaucoup les Français du Caire ce sont les mosaïques de marbre, qui sont unedes caractéristiques de l'art mamelouk, le travail du bois, qui a perduré enEgypte, toutes ces marqueteries de bois et d'ivoire, les métaux aussi, lesplafonds sculptés. Lapolychromie, le verre émaillé, autre aspect très important, l'insertion de lacéramique dans les grandes salles nobles qui distribuaient les maisons, et lesvitraux en plâtre, très spécifiques à l'art des mamelouks et des ottomans etque l'on a tenté de reproduire également. Et les édifices religieuxou monuments ?Il y a eu une tentative pour construire des églises dans ce qu'on appelait lestyle romano- byzantin, mais ce n'est pas vraiment lié à l'Egypte et à l'artmamelouk, c'est surtout lié à l'art mauresque et à l'art byzantin. Il y a eu unprojet de mosquée à Paris qui devait être en style mamelouk, mais le projet nes'est pas réalisé et la mosquée de Paris finalement a été construite en 1925dans un style marocain. A ce moment-là dans les années 1920 ce qui intéressaitvraiment les Français, c'était l'art marocain, ce n'était plus l'art égyptienqui était passé de mode.Existe-t-il encoreaujourd'hui un intérêt pour cette esthétique et ce goût en vogue au XIXe siècle ?Mon sentiment, c'est quenous nous sommes éloignés de cette culture-là. Elle nous devient de plus enplus étrangère. La connaissance de cet art est beaucoup moins diffusée dans lasociété aujourd'hui qu'elle n'a pu l'être au XIXe siècle. C'est sorti de notrechamp de vision de l'art et de l'histoire de l'art, excepté pour quelquesspécialistes. D'ailleurs les arts de l'Islam ne sont quasiment pas enseignés enFrance. A l'université par exemple, il existe très peu de chaires en histoiredes arts de l'Islam, et très peu de gens font des thèses dans ce domaine à ladifférence par exemple des Etats-Unis où l'étude du North-western art et desarts de l'islam est très importante.En France c'estextraordinairement réduit. On peut souhaiter que cela se développe, la Francedevra sortir du repli hexagonal et du repli même européen. Cela viendra, c'esttrès timide encore, mais aujourd'hui la péninsule arabique finance énormémentde projets, et cela arrive aussi forcément sur le terrain de l'art notammentavec le contrat du Louvre Abou Dabi.