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Exposition "Pionnières" au Musée du Luxembourg : découvrez ces artistes femmes des Années folles qui ont fait bouger les lignes

L’exposition "Pionnières" au Musée du Luxembourg sort de l’oubli 45 artistes femmes des Années folles. Sur le parcours, de criantes similitudes entre les années 1920 et 2020 se dessinent. À voir jusqu'au 10 juillet 2022.

Article rédigé par franceinfo Culture - Camille Bigot
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 6 min
"Suzy Solidor", Tamara de Lempicka, 1935, huile sur toile.  (Tamara de Lempicka Estate, LLC / Adagp, Paris 2022 / Photo de François Fernandez)

Plongez dans le Paris des Années folles avec 45 artistes femmes, dans le cadre de l’exposition Pionnières, au Musée du Luxembourg. Jusqu’ici oubliées, les œuvres de ces avant-gardistes du début du XXe sont exceptionnellement réunies jusqu’au 10 juillet 2022.

En s'interessant à cette fécondité artistique d’il y a cent ans, l’exposition jette un pont entre les années 1920 et notre décennie actuelle. "Aujourd’hui comme alors se fait sentir l’urgence du débat sur le rôle de la femme dans la société. Aujourd’hui comme alors on a la certitude de réinventer les concepts d’identité et de genre. Avec un peu de recul… on s’aperçoit que ces récits, les questions et leurs réponses ricochent d’un siècle à l’autre", écrivent Camille Morineau et Lucia Pesapane, commissaires de l'exposition. Démonstration. 

Années 1920

"J’ai commencé à réfléchir aux Années folles après avoir repéré le personnage de Suzanne Valadon et son tableau La Chambre bleue (1923) dans la collection elles@centrepompidou, il y a des années. Elle se moquait de l’odalisque et réinventait l’image de la femme", raconte Camille Morineau. L’époque des années 1920 est source de bouillonnement culturel. "Un moment exceptionnel de vitalité et de visibilité pour ces artistes femmes", s’enthousiasme-t-elle.

Lors de la Grande Guerre, les femmes ont remplacé les hommes partis au front : l’arrivée des ouvrières à l’usine est projetée dans la première salle de l'exposition. Ces images d'archive en noir et blanc contrastent avec le tableau coloré aux formes géométriques de Marevna, La Mort et la Femme, installé juste à côté. La mort y est représentée par un squelette en tenue de soldat. La femme semble avoir un nouveau rôle. Le modèle patriarcal vacille, mais c'est de courte durée. Après la guerre, les nouvelles libertés coexisteront avec les conservatismes. 

"Composition abstraite", Marcelle Cahn, 1925, Huile sur toile. (Photo Ville de Grenoble / Musée de Grenoble - CLICHÉ JEAN-LUC LACROIX)

Les artistes femmes trouvent en ces Années folles à Paris un ferment pour leur création. "Les femmes choisissent cette ville car c'est là où les artistes, écrivains et poètes se croisent", explique Camille Morineau. Elles se distinguent dans l’art abstrait grâce à leur présence dans les académies privées parisiennes. Marie Vassilieff ouvre même, en 1910, sa propre école. Marie Laurencin enseigne, quant à elle, à l’Académie moderne avec Fernand Léger. Pourtant, seules deux des œuvres de l'illustre peintre sont exposées au Musée du Luxembourg.

Oubliées

"Nous avons choisi de mettre en avant des artistes moins connues. Comme Jacqueline Marval. À l’époque, elle était aussi célèbre que Marie Laurencin. C’était une peintre identifiée, aujourd’hui personne ne connaît son nom", regrette Camille Morineau. Or, de son temps Jacqueline Marval répond à des commandes d’Etat et reçoit les louanges d’Apollinaire. "Ses peintures étaient exposées, elle vendait ses tableaux et gagnait bien sa vie", ajoute la commissaire. Parmi les oubliées réhabilitées par l'exposition, il y a Marcelle Cahn, peintre dont l'oeuvre mêle la figuration et l'abstraction, ou encore Romaine Brooks, artiste américaine qui réinventa le portrait féminin. 

Stéfania Lazarska, Poupée vêtue d'une robe de style Second Empire, 1931, 51 cm de haut.  (Droit réservés / photo musée du quai Branly - Jacques Chirac, dist. Rmn-Grand Palais / image musée du quai Branl - Jacques Chirac)

Pour atteindre une indépendance financière necéssaire au développement de leur art, les femmes diversifient leurs productions. Elles créent des objets de mode, des décors de théâtre, mais aussi des poupées, présentées dans la troisième salle de l'exposition. Chacune son style. Les poupées d'"esprit dadaïste" de Marie Vassilieff s’apparentent à des masques africains. Celles de l'artiste polonaise Stéphanie Lazarsca sont revêtues de costumes folkloriques.

En 1914, la créatrice fonde un atelier de confection de poupées où elle emploie 200 employés. Elle revend ensuite ses œuvres au profit de la communauté polonaise. Une véritable entrepreneuse, à l’instar de Joséphine Baker. Dans une salle intitulée Les garçonnes - terme inspiré du roman de Victor Margueritte publié en 1922 - des produits dérivés au nom de la star sont sous verre : un fixateur pour cheveux, la carte d’un restaurant, un magazine et ses mémoires.

Le "female gaze" dans la peinture

Les "garçonnes" proposent une nouvelle représentation des corps, notamment féminins. "Leurs œuvres se différencient de ce qui a été fait jusqu’ici dans l’histoire de l’art, par les hommes. Elles affirment une différence genrée et construisent un regard féminin sur les corps", explique Camille Morineau. Les femmes s’emparent du sujet de la maternité, habituellement traité dans son rapport à la Vierge Marie et au Christ. Les mères des artistes Mela Muter et Maria Blanchard sont représentées sous les traits d’ouvrières et de domestiques, loin de l’image de la maternité heureuse et apaisée.

"Maternité", Marie Blanchard, 1922, Huile sur toile, 117x73 cm, Suisse, Gnève, Association du Petit Palais.  (Association des Amis du Petit Palais, Genève / Studio Monique Bernaz, Genève)

Les femmes s’inspirent de leur propre corps pour montrer le nu. "Il y a une forme de réalisme et d’empathie, sans érotisme. C’est très différent de la peinture des hommes où les modèles sont souvent des maîtresses, désirées par le peintre." Le nu parle d’intimité, "de la vie domestique, de la manière dont la femme est chez elle, en mode rêvasserie, cocooning", nous dit Camille Morineau. Le tableau d’Emilie Charmy – Hania Routchine, nue – montre une femme dans un moment de repos ou d’abandon. 

Une enquête pour retrouver les oeuvres

Le désir se présente aussi sous une nouvelle forme à travers le nu lesbien de Tamara de Lempicka. L’artiste incarne la femme glamour de l’époque, qui assume son homosexualité. Elle peint des amantes avec un regard érotique féminin. Ses toiles mélangent le langage cubiste et le maniérisme italien. "Il y a quelque chose de Caravage. Ses plus beaux tableaux sont chez la chanteuse Madonna", glisse Camille Morineau, relatant l’enquête qu'elle a menée pour retrouver les œuvres de la Polonaise. "Les travaux des femmes artistes n’ont pas été achetés par les institutions françaises. Ils ne sont pas dans les collections publiques. Il a fallu chercher les ayants droits, les familles." 

"Perspective ou Les deux Amies", Tamara de Lempicka, 1923, huile sur toile.  (Tamara de Lempica Estate, LLC / adagp, Paris, 2022 - Photo Association des Amis du Petit Palais, Genève / Studio Monique Bernaz, Genève)

Peut-être est-ce l’une des conséquences du renfermement des années 1930 ? La crise de 1929 et la montée des régimes totalitaires engloutit la moitié de l’humanité. "L’histoire des femmes est sinusoïdale, il y a des moments où elles ont de la visibilité, d’autres moins. Le travail de l’historien et de l'historienne est de dire : attention, il y a eu des avancées menées par les femmes, il ne faut pas les oublier."

L’une des salles de l’exposition est dédiée au troisième genre, un thème qui résonne avec la question queer aujourd’hui. Cependant Camille Morineau insiste : "Il y a une génération qui pense avoir inventé la pensée queer, en fait non, elle a été inventée il y a un siècle. Il ne faut pas lâcher et construire une histoire où les femmes sont fortes, où elles existent, et que ça dure.

"Pionnières, artistes dans le Paris des années folles"
Jusqu'au 10 juillet 2022
Musée du Luxembourg, 19 rue Vaugirard, 75 006, Paris 
Ouvert du lundi au dimanche de 10h30 à 19h, nocturne le lundi jusqu'à 22h
Tel : 01 40 13 62 00 
Plein tarif : 13 €, tarif réduit : 9 €
Spécial Jeune 16-25 : 9 € pour deux personnes du lundi au vendredi après 16h 
Gratuit pour les moins de 16 ans, bénéficiares des minima sociaux, illimité avec le pass Sésame Escales 

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