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L'artiste chinois Ai Weiwei est sur tous les fronts avec un film sur le confinement à Wuhan et un livre sur les migrants

L'artiste chinois Ai Weiwei s'est tourné vers l'écriture pour un nouveau plaidoyer pour les réfugiés, publié en Français aux éditions actes Sud.

Article rédigé par franceinfo Culture avec AFP
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 7min
L'artiste chinois Ai Weiwei dans une galerie à Londres, en octobre 2019  (ALASTAIR GRANT/AP/SIPA / SIPA)

Bourreau de travail et artiste engagé, Ai Weiwei signe un film sur le confinement à Wuhan, Coronation, qui jette une lumière crue sur l'efficacité de la machine chinoise pour lutter contre le nouveau coronavirus, au prix d'une grande déshumanisation. L'artiste chinois a également pris  la plume avec Dans la peau d'un étranger (Actes Sud), un plaidoyer pour les réfugiés. 

Wuhan au temps du coronavirus

Quand l'épidémie de Sars-cov2 éclate à Wuhan, l'idée du film, d'un "enregistrement pour l'Histoire", s'impose comme une évidence à Ai Weiwei, en Europe depuis cinq ans.

"Ce virus tragique s'est répandu dans le monde et continue d'affecter nos vies. Il a probablement eu l'impact le plus fort sur le globe depuis la Seconde Guerre mondiale. Il n'y a aucun doute sur l'urgence et la nécessité d'un tel film. La situation nécessite une connaissance beaucoup plus approfondie et des informations de première main sur ce qui se passe", dit à l'AFP "le plus connu des artistes chinois" comme l'a baptisé le Financial Times, aujourd'hui installé au Royaume-Uni.

Pas question de laisser faire "la propagande d'État". "En tant qu'artiste", Ai Weiwei "croit à l'engagement", surtout à une époque "où les flots d'information rendent les gens paresseux et incapables de prendre position" - "un danger pour la société". Il active alors son énorme réseau : artistes, activistes et autres volontaires. Douze prendront la caméra.

"On a travaillé 24 heures sur 24"

Même de Rome où il doit mettre en scène Turandot, l'opéra de Giacomo Puccini dans une version moderne, avec des références à la crise de Hong Kong (finalement reporté à cause de la pandémie), l'artiste multi-facettes continue d'oeuvrer à distance, de donner quotidiennement des instructions à l'équipe. "Tous les soirs nous téléchargions ce qu'ils nous envoyaient. Grâce au décalage horaire, on a travaillé 24 heures sur 24".

Le fruit de ces efforts met en relief l'implacable performance des autorités chinoises : déploiement de moyens immenses, règles ultra-strictes. Et son corolaire : individus écrasés, déshumanisés. Il y a ces patients qui se disent guéris et ne peuvent quitter l'hôpital, un ouvrier venu bâtir un nouvel hôpital, désormais désargenté et à la rue, mais que l'on ne laisse pas rentrer chez lui, ces familles privées de rites de deuil...

"Il ne fait aucun doute que la Chine a maîtrisé cette pandémie dévastatrice avec une efficacité incroyable", par rapport à d'autres pays. Mais au-delà de ce constat, "il faut aussi demander de quel type de société il s'agit et quel genre de sacrifices ils ont consentis pour faire face", souligne l'artiste chinois.

"Une société opaque, autoritaire, de style militaire"

"La Chine est une société opaque, autoritaire, de style militaire, sous le contrôle de la volonté d'une personne. Il n'y a pas de démocratie, donc toutes ses actions se font sans opposition. Nous n'avons pas d'informations essentielles sur la façon dont cette épidémie s'est produite, sur le nombre réel de victimes ou sur le nombre de personnes emprisonnées ou détenues pour avoir dénoncé", déplore-t-il, en espérant que son film, même en "cent minutes, apporte un solide éclairage sur ce qu'est la Chine".

Car pour lui, un vrai problème est "la compréhension de la Chine par l'Europe, exposée à la myopie de dirigeants qui ont fait passer le profit à court terme avant les principes". Ainsi, "je n'ai vu aucun État européen prendre des mesures substantielles" face "au soulèvement démocratique à Hong Kong ou aux camps de rééducation au Xinjiang. La seule chose qu'ils ont exprimée, ce sont leurs "préoccupations", mais utiliser les droits de l'homme comme monnaie d'échange pour un gain économique est si pitoyable, l'acte le plus bas qu'on puisse imaginer dans la lutte humaine de notre temps", dénonce-t-il.

Avec sa puissance financière et l'attrait de son immense marché, "la Chine a fait rentrer ses valeurs en Occident", y compris dans le domaine culturel et en particulier le cinéma, où "les festivals ne sont plus des champs de bataille pour la liberté d'expression ou la créativité éclairée", mais "des marchés", et même "des instruments du soft power chinois", regrette-t-il, rappelant les remerciements de Disney à la Sécurité publique chinoise au générique de son controversé Mulan, tourné au Xinjiang, "près des camps-prisons de Ouïghours".

Dans ce contexte, Coronation, présenté à des festivals comme Venise, Toronto ou New York, n'intègrera pas les circuits traditionnels et reste cantonné à des plateformes de diffusion vidéo... 

Un livre plaidoyer pour les réfugiés  

Dans la peau de l'étranger (Actes Sud) mêle éléments autobiographiques et réflexions sur l'art mais se veut avant tout un manifeste pour tous ces hommes, femmes, enfants en souffrance, forcément, car "les gens qui vont bien restent chez eux", écrit-il en refusant les distinctions "migrants économiques/réfugiés politiques".

D'où lui vient cet engagement ? Une profonde conscience de "la valeur de la vie" qui devrait être "une valeur commune et être partagée", dit-il à l'AFP.

Couverture de "Dans la peau de l'étranger", Ai Weiwei  (Actes Sud, septembre 2020)

Une croyance ancrée en lui, liée à son propre passé d'exilé dans le sillage de son père, le poète Ai Qing, victime d'une purge l'année même de sa naissance et envoyé au Xinjiang, région du Nord-Ouest essentiellement peuplée de Ouïghours.

"J'ai vécu cette tragédie non seulement aux mains de l'État autoritaire, mais aussi de la population. Ils n'étaient ni éduqués ni informés, jamais dotés du savoir que la dignité humaine est quelque chose de partagé", se souvient-il.  

Mais son propos dépasse les individus pour fustiger les États-Unis qui "se transforment en forteresse", écrit-il, ou l'Europe. 

La crise des réfugiés a mis à l'épreuve les valeurs européennes

Ai Weiwei

Sur cette question, "l'Europe a été un tel échec en matière de droits de l'homme et de dignité humaine" dont les événements en Grèce aujourd'hui sont un reflet, explique-t-il à l'AFP.

"Au fond, la politique européenne consiste à dire que ce n'est pas leur affaire. Les réfugiés qui se trouvent déjà en Europe sont punis et soumis à des souffrances" pour dissuader d'autres candidats, dénonce-t-il. "La tactique est honteuse, superficielle et corrompra inévitablement l'esprit de l'Europe", s'indigne celui qui promet de continuer "à faire du bruit. Pas pour être entendu, mais savoir (qu'il est) vivant".

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