A Bordeaux l'installation spectaculaire de la britannique Lubaina Himid : un hommage émouvant aux esclaves africains
L'artiste britannique Lubaina Himid, lauréate du Turner Prize 2017, s'interroge sur la place des esclaves noirs dans l'Histoire au musée d'art contemporain CAPC de Bordeaux.
Naming The Money, c'est le titre de l'installation signée Lubaina Himid et proposée jusqu'au 23 février au CAPC musée d'art contemporain de Bordeaux. Créée en 2004, elle est composée d'une centaine de silhouettes en contreplaqué peintes avec des couleurs vives. Toutes représentent des esclaves africains tels qu'ils étaient vêtus dans le cadre de leur travail auprès de leurs maîtres comme serviteurs, musiciens, dresseurs de chiens...
Redonner une visibilité
Derrière les couleurs chatoyantes, ces silhouettes de bois racontent l'histoire de femmes, d'hommes et d'enfants dont la présence dans une maison traduisaient la richesse et le statut social des maîtres. Des êtres humains "faire-valoir" qui n'avaient aucune existence propre, y compris dans les oeuvres artistiques du XVIIe et du XVIIIe siècle. Une forme d'absence que Lubaina Himid a découvert enfant lorsqu'elle parcourait les couloirs de la National Gallery.
"Dans ces années là" explique Alice Motard, la commissaire de l'exposition Naming the Money, "les seules représentations de Noirs étaient celles d'esclaves et de serviteurs.
A travers ces silhouettes, c'est comme si Lubaina Himid extrayait ces serviteurs des peintures, leur redonnant une individualité, un corps, une voix et une force collective.
Alice MotardCommissaire de l'exposition
Une artiste engagée
Née en 1954 à Zanzibar, en Tanzanie, d’une mère anglaise et d’un père comorien, Lubaina Himid a grandi à Londres, étudiant la mise en scène au Wimbledon College of Arts, puis les arts et leur histoire au Royal College of Art. Dès ses débuts, l'artiste a questionné la représentation des Africains dans la culture et les médias. "Avec Naming The Money" explique t-elle, "j'essaie de dire que ces gens avaient une famille, tombaient amoureux, avaient des ambitions d'être meilleurs dans ce qu'ils faisaient."
J'ai voulu faire en sorte que l'histoire de ces esclaves soit une part de l'histoire de l'humanité.
Lubaina Himid
Lieu emblématique
L'installation Naming The Money résonne avec d'autant plus de force à Bordeaux quand on connaît l'histoire du lieu. Avant de devenir un musée d'art contemporain dans les années 70, le site, construit en 1824 - soit dix ans après l’abolition officielle de la traite négrière - a servi d'entrepôt pour stocker les denrées coloniales (café, sucre, cacao, coton, rhum, vin, morue, épices, etc.) en transit vers l’Europe du Nord. Un commerce qui fit la fortune du négoce maritime bordelais pendant plus d’un siècle.
Une reconnaissance tardive mais prestigieuse
Cette forme d'invisibilité évoquée dans Naming The Money, Ludmila Himid l'a en partie connue. Alors que sa première exposition personnelle a eu lieu en 1986, il a fallu attendre 2017 pour qu'elle soit reconnue comme une artiste majeure. L'année de ses 63 ans, Ludmila a en effet reçu le prestigieux Turner Prize.
Créé en 1984 par les musées de la Tate, il récompense chaque année un artiste contemporain né ou vivant au Royaume-Uni. Anish Kapoor, Rachel Whiteread, Wolfgang Tillmans ou encore Laure Prouvost ont fait partie des lauréats. Mais Lumila Himid a créé l'événement : pour la première fois, le prix était décerné à une artiste noire et qui plus est âgée de plus de 50 ans.
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