"On me disait que c'était complètement exagéré"

"L'écologie était secondaire par rapport à l'économie"

"J'étais la cinquième roue du carrosse"

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récit

Douze ministres de l'Ecologie racontent 40 ans de tergiversations face à la crise climatique

Par Marie-Adélaïde Scigacz, Thomas Baïetto, Thibaud Le Meneec, Clément Parrot

Pour cet article, franceinfo a sollicité dix-sept anciens ministres de l'Environnement ou de l'Ecologie, restés plus de six mois en poste. Douze ont accepté de répondre et cinq ont décliné : Huguette Bouchardeau, Ségolène Royal, Nathalie Kosciusko-Morizet, Delphine Batho et Nicolas Hulot.

1970-1992

"Ce n’était la préoccupation de personne"

Les balbutiements de l’écologie en politique

1971

Création du ministère de l’Environnement

1979

Première alerte avec le rapport Charney

1988

Création du Giec

1992-2003

"Certains ont tout fait pour qu’on n’agisse pas"

L’indifférence malgré l’alerte des scientifiques

1992

Sommet de la Terre

1995

Première COP à Berlin

1997

Protocole de Kyoto

2003

Canicule en France

2003-2015

"J’ai eu le sentiment d’une grande inutilité"

Des espoirs déçus et une première contestation

2004

Premier plan climat

2007

Grenelle de l’environnement

2013

Recul sur l’"écotaxe"

2015-2023

"L’idée y est, la réalité non"

D’insolubles contradictions face à l’urgence

2015

Accord de Paris

2018

Mouvement des "gilets jaunes"

2020

Convention citoyenne pour le climat

2022

Année la plus chaude en France

La COP21 fait basculer le ministère de l'Ecologie, occupé par Ségolène Royal, dans une autre dimension. La préparation de l'événement donne au sujet un poids inédit au sein de tout le gouvernement. Même face à Bercy, champion toute catégorie des bras de fer ministériels, l'Environnement arrache des arbitrages, comme l'interdiction des passoires thermiques ou l'objectif de rénover 500 000 logements par an. Ceux-ci viennent muscler sa future loi "sur la transition écologique et pour la croissance verte". "Comment j’ai fait ? COP21 ! COP21 ! COP21 ! Il fallait que l’on soit à la hauteur de la COP21", se souvient la ministre au cours d'une audition devant le Sénat. "L’idée était d’être exemplaire et d’anticiper les conclusions de la COP dans notre propre stratégie." Attendue au tournant, la France inscrit dans la loi son objectif de diviser par quatre ses émissions de gaz à effet de serre d'ici à 2050. Elle se dote également d'une feuille de route pour y parvenir : la stratégie nationale bas-carbone.

La ministre de l'Ecologie, Ségolène Royal, salue le président des Etats-Unis, Barack Obama
La ministre de l'Ecologie, Ségolène Royal, salue le président des Etats-Unis, Barack Obama, le 30 novembre 2015, à la COP21 au Bourget (Seine-Saint-Denis), aux côtés de Laurent Fabius, François Hollande, Ban Ki-moon et Christiana Figueres. (MUSTAFA YALCIN / ANADOLU AGENCY / AFP)

L'Accord de Paris consacre dans la liesse un nouvel objectif : "Contenir la hausse des températures nettement en dessous de 2°C" d'ici à la fin du siècle. Tout juste élu, en 2017, Emmanuel Macron choisit, pour incarner cet "esprit de Paris", une figure médiatique, le très populaire Nicolas Hulot. Son plan climat doit "mobiliser l’ensemble du gouvernement sur les mois et années à venir pour faire de l’Accord de Paris une réalité". Mais l'ancien animateur claque la porte onze mois plus tard en dénonçant "les petits pas" de la France sur le sujet.

En cette année 2018, les Français sont plus que jamais au fait de la menace climatique. La COP21 est passée par là, mais aussi les ouragans Irma et Maria, qui ont balayé les Antilles. Dans les lycées et dans la rue, des adolescents appellent à l'action, galvanisés par la jeune militante suédoise Greta Thunberg, reçue à l'Assemblée nationale. Mais les Français ne sont pas prêts à tout accepter au nom du climat. Dans un contexte de hausse des prix du carburant et de pouvoir d'achat en berne, une augmentation de la taxe carbone, décidée de longue date, votée par les parlementaires et défendue par l'exécutif, déclenche le mouvement des "gilets jaunes", qui investissent rues et ronds-points.

"J'ai eu le sentiment que les ‘ministres budgétaires’ – on va les appeler comme ça – ont un peu oublié de défendre la taxe carbone, qu'ils avaient pourtant fait augmenter fortement", grince François de Rugy, qui succède à l'animateur. La politique climatique doit désormais s'expliquer. "Certains se sont un peu planqués", lâche-t-il à l'intention d'anciens collègues. La mesure est si impopulaire que même les défenseurs de cette fiscalité, des ONG aux écologistes, prennent leur distance avec la proposition. Elle est abandonnée en 2019.

"Il y a des gens qui poussent, qui disent qu'on n'en fait pas assez. Et puis, le jour où il y a des résistances dans la population, eh bien, ils n'assument pas devant les citoyens en colère."

François de Rugy à franceinfo

Et l'ex-ministre de reprendre à son compte l'antienne du tout premier ministre de l'Ecologie. "Ce n'est pas que c'est le 'ministère de l'impossible' : c'est le ministère des contradictions, entre une aspiration à faire plus, plus vite, plus fort, et une résistance au changement, qui est sans doute un peu en chacun de nous", résume-t-il*.*

François de Rugy dans les locaux de France Télévisions, le 15 mai 2023, à Paris.

(JEAN-MARIE LEQUERTIER / FRANCE TELEVISIONS)

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Réconcilier les Français en colère et l'écologie, mission impossible ? Alors que les pouvoirs publics sont sommés de redoubler d'efforts, le "ministère des contradictions" sous-traite l'impossible à un panel de Français, réunis dans la Convention citoyenne pour le climat. "On leur a donné comme mission, au départ, de changer du tout au tout notre politique économique, sociale, politique, fiscale, etc. Bref, de changer de monde", résume Barbara Pompili, qui hérite en juillet 2020 du suivi de cette réflexion inédite, menée par 150 citoyens tirés au sort.

Cette mission tentaculaire se traduit par 150 propositions, qu'elle a pour objectif d'inscrire dans un texte de loi. "Dès les premières rencontres, j'ai dit aux membres de la Convention citoyenne : 'Je vais vous décevoir, c'est sûr.'" Et pour cause*,* certaines de ces mesures "sont d'ordre réglementaire ou international", constate Barbara Pompili, invitée par son Premier ministre à travailler plus étroitement avec ses autres collègues. Elle se casse encore les dents : "Jean Castex avait quand même dit que tous les ministères devaient s'investir dans la transition, et pas seulement le ministère de la Transition écologique. L'idée y était. La réalité, non."

"J'avais le plus souvent en face de moi des gens qui voulaient abaisser l'ambition plutôt que d'essayer de trouver des moyens d'y arriver."

Barbara Pompili à franceinfo

Les industriels ont beau être invités à la table des discussions, ils n'hésitent pas à "s'émouvoir auprès de divers ministères" pour tuer dans l'œuf les mesures de sobriété nées de la Convention citoyenne, continue-t-elle. Elle cite l'idée d'un malus sur le poids des véhicules, écrasée par un secteur automobile qui pèse lourd sur les décisions. "J'aurais aimé aller plus vite, pouvoir faire plus de choses, casser plus de barrières", assure Barbara Pompili, qui se décrit en "éternelle frustrée". "Mais je suis arrivée en sachant où je mettais les pieds. Je savais que ce serait dur, qu'il y aurait plein de lobbies."

Barbara Pompili visite une exploitation agricole qui cherche à réduire son impact environnemental
Barbara Pompili visite une exploitation agricole qui cherche à réduire son impact environnemental, le 25 octobre 2021, à Eole-en-Beauce (Eure-et-Loir). (PATRICK GELY / SIPA)

Ces dernières années voient le climat s'inviter dans tous les cercles, tous les débats. Elles voient aussi une première baisse, spectaculaire, des émissions de gaz à effet de serre quand le monde entier se confine, au printemps 2020, pour tenter d'enrayer la pandémie de Covid-19. Mais le "monde d'après" tant attendu ne survit pas à cette parenthèse, et les émissions mondiales de gaz à effet de serre flambent*.* Le défi est désormais "effectivement colossal", reconnaît Christophe Béchu, ministre de la Transition écologique depuis mai 2022, à quelques jours de la présentation du nouveau plan du gouvernement. Celui qui doit permettre, une nouvelle fois, de diviser par deux les émissions de la France d'ici à 2030... quatre fois plus rapidement qu'avant.

De cinquième roue du carrosse, l'écologie va devenir le moteur du véhicule gouvernemental, promet le chef de l'Etat, en campagne pour sa réélection. "Nous devons réconcilier le pays par un changement de paradigme, par une ambition nouvelle" sur l'environnement, clame le président-candidat. Une fois réélu, Emmanuel Macron revoit l'attribution du dossier climatique en chargeant la Première ministre, Elisabeth Borne, de porter la planification écologique, avec un secrétariat général dédié. A ses côtés, un binôme se partage la Transition écologique et la Transition énergétique. Impensable en effet, au regard des urgences, de laisser l'enjeu climatique au seul "ministère de l'impossible". Cette énième nouvelle méthode changera-t-elle la donne ? La "maison" continue de brûler, en France comme ailleurs. Nous regardons désormais les flammes, mais le défi reste d'éteindre l'incendie.

Crédits

  • Rédaction : Marie-Adélaïde Scigacz, Thomas Baïetto, Thibaud Le Meneec, Clément Parrot
  • Vidéos et montage : Mathieu Dreujou, Jean-Marie Lequertier, Billie Comte
  • Conception et design : Maxime Loisel
  • Développement : Grégoire Humbert
  • Illustration : Pauline Le Nours
  • Relecture : Louis Boy
  • Supervision éditoriale : Ilan Caro, Simon Gourmellet, Julie Rasplus