Prêts pour une nouvelle ascension ? Pour rejoindre l'église depuis le centre-ville, il faut traverser la petite rivière Longyearelva, encore gelée en cette saison, et grimper par la route menant à une ancienne mine de charbon. Cette fois, des gravillons limitent le risque de chute. Non loin du but, une sculpture rend hommage à un adolescent de la ville, Johannes Buø, tué comme 68 autres personnes lors du massacre d'Utoya en 2011. A quelques jours des célébrations de Pâques, Leif Magne Helgesen nous attend dans sa "Svalbard Kirke", dont l'intérieur ressemble plus à un chalet qu'à une cathédrale.
Le pasteur s'inquiète pour la jeunesse locale. "Quand vous grandissez sans personnes âgées autour de vous, il y a quelque chose d'anormal, souligne ce globe-trotteur protestant, passé par les Etats-Unis, la France, les Balkans, les camps palestiniens ou encore les prisons norvégiennes. Certes, les personnes âgées ont besoin d'une forme d'assistance, mais elles apportent d'autres choses en retour."
Le religieux en chaussettes – depuis l'âge d'or des mines, il est d'usage de se déchausser dans les bâtiments publics – s'emploie donc à sensibiliser les habitants aux problèmes liés à la pauvreté dans le monde, aux guerres et au changement climatique. Il salue leur capacité à se mobiliser pour des actions locales et internationales. "Il y a beaucoup d'entraide au sein de la communauté, qui forme une seule famille dépassant ses diverses nationalités, religions, opinions politiques", assure-t-il.
Ces dernières années, marquées par des avalanches mortelles en pleine ville, cette population de "gens forts" a découvert une forme de peur et de vulnérabilité inédite. "Cela rappelle que la vie est fragile et parfois dure, estime le pasteur. Mais cela a aussi révélé le meilleur en termes de solidarité. Quand quelqu'un souffre, que ce soit de la solitude, de l'obscurité ou d'autre chose, tout le monde souffre avec lui. C'est Les Trois Mousquetaires : 'Un pour tous et tous pour un'." Le journaliste Mark Sabbatini en sait quelque chose : lui a pu compter sur une cagnotte de soutien en ligne après sa récente fracture de la hanche.
Le maire de la commune, Arild Olsen, reconnaît que "cette société peut vite devenir un peu artificielle". Mais il préfère insister sur la qualité de la cohabitation entre les différentes communautés, preuve, selon lui, d'une "société très tolérante, où les habitants se soutiennent les uns les autres". Surtout, rappelle-t-il, "cela ne fait que quelques années que le Svalbard a commencé à accueillir une société normale, il faut donc avancer lentement et prudemment".
Longyearbyen est une ville récente, fondée en 1906, qui ne s'est dotée d'un conseil municipal démocratiquement élu qu'en 2002. Durant l'essentiel du XXe siècle, la vie dans cette vallée était régie par l'entreprise d'exploitation de mines de charbon Store Norske, qui contrôlait l'économie (y compris une monnaie locale), ainsi que l'immobilier, les services publics et les infrastructures. Les mineurs et leurs familles représentaient l'essentiel de la population.
A la fin du siècle, le gouvernement norvégien a repris les affaires en main pour faire de cette cité minière une ville plus ordinaire. Un tournant qui s'est accéléré avec l'effondrement de la production de charbon depuis 2007. Désormais, l'industrie touristique a supplanté les mines, qui n'emploient plus qu'une centaine de personnes. La recherche scientifique s'est aussi développée, en lien notamment avec le réchauffement climatique. C'est à Longyearbyen qu'a été installé, en 2008, le "grenier de l'humanité", un bunker de réserves de semences devant résister à tous les aléas.