Marine Le Pen et le FN

Un objectif : le pouvoir

  • Par Salomé Legrand
  • Photographie : Elodie Drouard
  • Graphisme : Pascale Boudeville
  • Développement : Julien Léger

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Nous sommes les tortues de la fable : on part de loin, on ira loin

Depuis qu'elle a succédé à son père, Marine Le Pen ne s'en cache pas : elle vise le pouvoir. Première étape : les municipales de mars 2014, pour lesquelles le parti frontiste a investi quelque 700 candidats, mais peine à ficeler ses listes, notamment en milieu rural. Depuis le début de l'année, la présidente du Front national laboure le pays avec sa "tournée des oubliés", achevée le 6 octobre dans le minuscule village de Brachay (Haute-Marne), où elle a recueilli 72% des voix au premier tour de l'élection présidentielle de 2012. Objectif : "Mettre la lumière sur les ravages de la mondialisation sauvage, dont 'les oubliés', ceux qui sont sortis des radars politiques, sont les victimes".

Le parti, lui, se professionnalise sous la houlette de la garde rapprochée de Marine Le Pen. Week-ends de formation au siège à Nanterre (Hauts-de-Seine) et descente des membres au "carré", surnom donné au QG, pour recadrer les uns, écarter les autres et faire émerger un visage présentable du Front à tous les échelons. Sans pour autant changer le fond de son discours. Franceinfo décrypte l'offensive du FN sous l'ère bleu Marine.

Entretenir ce petit côté Lady Gaga

"Je ne viens pas voir une politicienne, mais une bienfaitrice", susurre une sympathisante à Hyères (Var), le 16 septembre, tandis qu'à ses côtés un retraité proclame que, s'il lui serre la main, ce sera "le plus beau jour de sa vie".

"Vivante ou morte, je n'aurais raté [son discours] pour rien au monde", explique une mamie chétive qui fait un bond à chaque fois qu'elle tousse, en marge de l'intervention de Marine Le Pen à Marseille, la veille.

Bien qu'elle n'accepte jamais d'invitation d'émissions de "divertissement", Marine Le Pen n'est plus seulement une responsable politique, elle est devenue une personnalité. Plus policée que son père, elle a infiltré les plateaux et les rendez-vous politiques, et profite à plein de l'effet "vue à la télé".

A chacun de ses déplacements, la nouvelle patronne du Front s'assure un accueil des plus fervents. Autographes, photos, bises, réceptions de cadeaux en tous genres, elle se prête volontiers aux demandes, formulées tant par des militants subjugués que par des quidams brandissant leur smartphone, enchantés de rencontrer une "star nationale".

"Quel bonheur ! Quel bonheur ! Quel bonheur ! Quelle belle journée, je crois que c'est ma plus belle journée…", entend-on par exemple dans cette vidéo filmée par Sud Ouest à La Rochefoucauld (Charente), tandis qu'une Marine Le Pen quasi-automate dédicace quatre tracts en moins d'une minute.

"L'essentiel, c'est que les gens voient Marine Le Pen à 19h15 quand ils regardent leur JT régional sur France 3 et que le journal local en parle, confie un membre de la direction du FN au Monde. Il faut dire que des vedettes politiques françaises qui vont dans des lieux comme ça, il n'y en a pas beaucoup..."

Les médias sont la première cible de Marine Le Pen dans sa stratégie de communication. Depuis son arrivée à la tête du parti, elle est le nouveau visage du FN et veut que ça se sache. Exit le paternel tonitruant, bonjour la benjamine de la famille, carré blond et image soignée.

Elle se laisse maintenant photographier lorsqu'elle vapote, mais il y a quelques semaines, Marine Le Pen contrôlait son image au point d'éviter toute photo avec une de ses multiples cigarettes quotidiennes, trop "mauvais genre".

Même ses coups de gueule sont calibrés. Et c'est ce qui a permis à son récit de dédiabolisation, déjà tenté auparavant par le parti, de mieux passer, tant dans les rédactions qu'auprès du reste de la classe politique. Mais la leader du FN veut aller plus loin : début octobre, elle a relancé son offensive sémantique, tentant d'empêcher les médias de qualifier le Front national de "parti d'extrême droite".

Marine Le Pen fait partie de la génération traumatisée par le 21 avril 2002, elle était persuadée que Jean-Marie Le Pen pourrait un jour être président de la République et elle a réalisé, face à la mobilisation anti-FN, que ce ne serait jamais le cas, tant que durerait l'image sulfureuse, raciste, antisémite, xénophobe du parti. Sylvain Crépon, politologue et auteur de Enquête au cœur du nouveau Front national (2012, Nouveaux mondes éditions)
Faire le ménage dans les fédérations locales

En parallèle, les principaux adjudants de Marine Le Pen recadrent et lissent méthodiquement l'organisation des fédérations. A commencer par l'ouverture d'un nombre maximal de permanences : le FN s'est fixé pour objectif d'en installer 70 d'ici à la fin 2013, contre une poignée en début d'année. Mais aussi et surtout, ces pontes du parti réalisent un audit pointilleux, avec entretiens individuels, des équipes en place.

Au passage des membres du "carré", exit l'ancienne école : les militants jugés "trop instables" ou sulfureux sont mis de côté au bénéfice de nouveaux "SD" (secrétaires départementaux) plus raccord avec la ligne officielle. De quoi s'assurer un contrôle accru du siège du parti sur les affaires de chacun, les récalcitrants étant tout bonnement exclus.

A Toulon (Var), le 28 avril, Marine Le Pen elle-même avertit les candidats du parti : "Je ne veux plus voir n'importe quoi sur les profils Facebook... Un peu de tenue !" "Le FN s'ajuste à l'objectif d'arriver au pouvoir, note Joël Gombin, chercheur en sciences politiques et spécialiste du FN. C'était essentiellement un parti d'outsiders, maintenant il investit des candidats aux parcours plus proches de ceux des autres partis." Des profils d'autant plus faciles à attirer que le Front national est en position d'avoir des postes, ce qui suscite des convoitises.

Mais les négationnistes, néofascistes, membres de l'Œuvre française et "gudards" (du Groupe union défense, une organisation étudiante d'extrême droite) ne sont pourtant jamais très loin, note Mediapart. Alors le Front n'hésite pas à mettre en avant de nouveaux visages plus-respectable-que-moi-tu-meurs.

Par exemple à Villeneuve-sur-Lot (Lot-et-Garonne), où Etienne Bousquet-Cassagne, 24 ans, remplace finalement Catherine Martin, "trop versatile et imprévisible", pourtant initialement investie. A Strasbourg, le duo Christian Cotelle et Xavier Codderens, militants FN depuis près de trente ans, a été évincé, dans un premier temps, au profit d'André Kornmann, un avocat de 50 ans qui n'a rejoint le parti qu'en 2012. De fait, c'est son parcours politique qui a attiré "le carré" : l'homme était sur les listes du MoDem en 2008 et a troqué l'orange pour le bleu Marine.

Mais le 4 octobre, dans une conférence de presse détaillant son programme, André Kornmann avance des propositions très musclées, comme doter la police municipale de "chiens de grande envergure pour contrer les grandes manifestations" ou déposer les Roumains en infraction "devant la résidence du consul de Roumanie" pour qu'il les accueille dans sa vaste bâtisse. Résultat : des coups de fil désapprobateurs du bureau national du FN, qui estime, selon Nicolas Bay, délégué national à la communication électorale, que Kornmann "n'est pas dans la ligne du parti". L'ancien centriste refuse de revenir sur ses propos et se retire de la liste. Dégât collatéral, Xavier Codderens a claqué la porte du Front national. Et Pascale Elles, secrétaire départementale du Bas-Rhin, nommée à l'occasion d'un audit, de se lâcher: "C'est un catho tradi [qui] ne peut pas s'empêcher de faire référence à des papes du Moyen Age, quelle que soit la discussion." A Tarascon (Bouches-du-Rhône), le Front national mise sur Valérie Laupies, directrice d'école et ancienne militante de gauche.

Le grand ménage ne se fait décidément pas sans heurts. En Moselle, où le Front compte parachuter Florian Philippot, l'ambiance est délétère. "L'énarque", "Monsieur-Je-Sais-Tout", est accusé par les tenants d'une ligne dure de dévoyer le message du FN hors de ses thèmes de prédilection que sont l'immigration et l'insécurité. Les historiques Marie-Christine Arnautu et Wallerand de Saint-Just sont dépêchés mi-mars sur place pour câliner ceux qui défilent dans le petit hall d'un hôtel du centre-ville de Metz (Moselle). "Les fédérations sont suivies comme une ville sous tutelle. Chaque compte rendu de réunions de bureaux est envoyé par mail à Nanterre", rapporte Libération.

A défaut de fédérations, "dans les villes importantes, il faut des correspondants dans les quartiers : la même personne, tout au long de l'année, qui se fait repérer et fait remonter les infos", martèle Steeve Briois, artisan de l'implantation du FN à Hénin-Beaumont (Pas-de-Calais). Avec Nicolas Bay et Louis-Armand de Béjarry, secrétaire national adjoint aux Fédérations, ce dernier a nommé une quarantaine de personnes depuis 2011.

C'est tout sauf nouveau. C'est la reprise d'un mouvement amorcé sous Mégret, avant la scission et abandonné durant une dizaine d'années, notamment faute de moyens. Le Front national a toujours été implanté localement en utilisant l'arme des affiches sous ce prétexte d'être exclu du jeu médiatique. Alexandre Dézé, auteur de l'ouvrage Le Front national, à la conquête du pouvoir ? (2012, Armand Colin)
C'est le signe que le FN prend conscience qu'il faut former les gens que l'on présente. Si on veut faire jeu égal avec les autres, il faut une connaissance des institutions et une manière de se présenter aux autres. Joël Gombin chercheur en sciences politiques à l'université de Picardie Jules-Verne et spécialiste du FN.
Labourer le terrain

A la ferme ou dans un cimetière, sur un bateau ou à la sortie d'une usine, chaque déplacement de Marine Le Pen commence par une visite bien calibrée. Le 3 avril, en pleine tempête Cahuzac, elle se rend à Vrigne-Meuse (Ardennes), 232 habitants. Après avoir enchaîné les duplex sur BFMTV et i-Télé, et répondu à France Info, elle va se recueillir sur la tombe d'Augustin Trébuchon, le dernier poilu tombé pendant la première guerre mondiale.

Au pied d'une minuscule église séparée de la départementale par un talus, plantée à côté de son militant déguisé en soldat de l'époque, elle blague, puis lance : "Les Français ne doivent pas se faire voler une liberté chèrement conquise, les Ardennes paient un lourd tribut à la guerre économique comme ils ont payé un lourd tribut aux précédents conflits." "Ici, il y a encore une culture historique de bouclier contre les invasions", explique la députée UMP de Charleville-Mézières Bérengère Poletti. "C'est très rusé comme accroche", abonde une élue socialiste du cru pour qui les locaux "se sentent trahis, délaissés, ont toujours eu le sentiment d'être persécutés".

L'angle d'attaque est ensuite décliné durant la conférence de presse que Marine Le Pen aborde armée de petites fiches, concoctées par les cadres locaux, sur lesquelles elle s'appuie, très scolaire.

"L'acide lactique, c'est le moins pire. Le pire, c'est le chlore" , explique-t-elle ainsi face à des agriculteurs à Plonévez-Porzay (Finistère), le 10 mars, en évoquant le traitement industriel de la viande. La veille, dans le Morbihan, elle parlait de l'interdiction de la capture de la raie et du requin taupe, après une visite à des marins pêcheurs. Elle s'est payé avec eux un tour en chalutier, à grand renfort d'anecdotes sur ses départs matinaux pour pêcher, dans son enfance. "Nous, nous croyons à un modèle agricole français qui est le modèle de l'entreprise familiale", lance-t-elle en Charente, le 9 février, après avoir écouté les doléances d'agriculteurs au bout du rouleau. Dans le Doubs, le 23 février, c'est la tirade sur la "trahison des ouvriers français par la gauche et l'Union européenne" qu'elle sert devant la portière sud de l'usine Peugeot de Sochaux. Trois jours plus tard, à Rocamadour (Lot), Marine Le Pen poursuit sa croisade en insistant cette fois sur le patriotisme historique : "Il faut réapprendre leur histoire aux Français. Leur rappeler les racines chrétiennes et catholiques." En Touraine, enfin, elle se place comme défenseur des "petites communes confrontées à l'arrivée de nomades étrangers, qu'il faut loger", avec leur cohorte "de réseaux criminels qui font des razzias dans les campagnes".

"La stratégie du FN, c'est de ratisser aussi large que possible", souligne Joël Gombin, qui distingue deux cibles : l'une, droitière et plutôt localisée dans le Sud-Est, atteinte avec un discours identitaire et sociétal, l'autre, populaire et ancrée surtout dans le Nord et l'Est, avec un discours beaucoup plus axé sur des problématiques économiques. "Ce qui est intéressant, c'est qu'il les décline différemment selon les territoires", décrypte le politologue.

Plus libre et à huis clos, le pot militant qui clôt chaque déplacement permet à Marine Le Pen de durcir le ton, de coller aux aspirations des frontistes pure souche, en cravate pour l'occasion. Immigration et insécurité reprennent le pas sur le patriotisme économique, le "tous pourris" jamais loin en embuscade. Et de citer régulièrement son père, dont le discours aussi classique que virulent a été copieusement applaudi à l'université d'été du parti, à Marseille, le 14 septembre.

Candidat aux élections européennes pour la 7e fois consécutive, le fondateur du parti, même relégué en coulisses, garde une place de choix et une grande influence au sein du Front national : "Je reconnais mon FN dans le FN de Marine Le Pen. Il n'y a rien de changé ! La ligne politique reste la même", assure-t-il à Europe 1.

Au FN plus que dans n'importe quel autre parti, il faut bien séparer le discours du programme. Le programme en tant que tel n'a quasiment pas varié, il est peut-être un peu plus teinté social, mais les deux pierres angulaires restent identiques : la préférence nationale et la modification du Code de la nationalité. Sylvain Crépon, politologue et auteur de Enquête au cœur du nouveau Front national (2012, Nouveaux mondes éditions)
Engranger de nouveaux adhérents

De nombreux jeunes et nouveaux adhérents sont apparus dans le sillage de Marine Le Pen. Ils étaient placés en première ligne lors du 1er mai, pour le défilé traditionnel du parti en l'honneur de Jeanne d'Arc, ainsi qu'à l'université d'été des 14 et 15 septembre, où ils ont été poussés sous la lumière. "Au niveau national, on a trois fois plus de nouvelles adhésions qu'en juillet 2012, en août plus de deux fois celles du même mois de l'année précédente, l'objectif des 100 000 adhérents se préfigure très positivement", se satisfait Florian Philippot le 4 septembre. Il promet même avec délectation une remise officielle de la 100 000e carte par Marine Le Pen au cours d'un événement festif et médiatique. Le parti aura alors atteint un tiers des 315 000 adhérents revendiqués par l'UMP et la moitié des "près de 200 000" affichés par le PS sur son site.

Sur le terrain, Franceinfo a pu en croiser quelques-uns, comme Pierre, 18 ans, visage rond encore enfantin qui n'a encore jamais voté mais pour qui, "à la prochaine élection, c'est FN". Il a connu Marine Le Pen grâce aux médias et proclame son "envie de changement". On ne saura pas lequel, l'étudiant ne veut pas rater le photocall avec la présidente du parti et ses copains élèves ingénieurs. Le récit de la "dédiabolisation" du parti semble séduire des électeurs potentiels de tous bords. D'un côté, des jeunes attirés par "une femme de son temps, divorcée, mère de famille, qui parle cash" ; de l'autre, des quadras désabusés prêts à tenter de mettre aux manettes "quelqu'un qu'on n'a jamais essayé". Avec son "collectif Racine", le parti cible aussi une catégorie d'électeurs stratégiques qu'il a longtemps délaissés, voire méprisés : les enseignants.

Galvanisé par ses bons résultats aux élections partielles dans l'Oise et à Villeneuve-sur-Lot ainsi que par sa victoire à Brignoles (Var), le parti voit l'avenir plein de promesses. "L'arrivée de François Hollande était une grande chance pour nous. Nous savions que serait mis en œuvre un social-libéralisme qui créerait des déçus", explique l'entourage de Marine Le Pen. Suffisamment pour briser le plafond de verre décrit par les démographes et sociologues Hervé Le Bras et Emmanuel Todd dans leur ouvrage Le Mystère français (éd. du Seuil, 2013) ? Le numéro 2 du parti, lui-même énarque, y croit dur comme fer : "A Paris, il n'y a pas une réunion, pas un débat où on n'a pas un étudiant de Sciences Po ou de Normale Sup', c'est très important, ça veut dire que nous touchons même dans les bastions de la pensée unique."

Et Marine Le Pen reste une des seules personnalités politiques dont la cote de popularité progresse : + 6 points d'opinions favorables en septembre, selon le baromètre mensuel Ipsos.

Entre 2002 et 2012, l'extrême droite perd beaucoup dans ses bastions que sont les régions dynamiques et les gains sont très nets dans la France rurale et très rurale. A l'origine parti des petits commerçants et artisans, le FN est en train de devenir le parti des pauvres, mais il aura du mal à progresser dans les classes moyennes, ainsi qu'à recruter des cadres. S'il y a une progression dans l'acceptation, le rejet du FN reste très fort. Hervé Le Bras démographe, auteur avec Emmanuel Todd, du Mystère français (2013, Seuil)
Gérer l'épineuse question des alliances

La question traverse le parti depuis sa création, mais se pose avec d'autant plus d'acuité depuis sa mue officielle : quel positionnement par rapport au reste de l'échiquier politique ? Officiellement c'est le rejet en bloc de "l'UMPS", contraction d'UMP et PS, "bonnet blanc et blanc bonnet". "Marine Le Pen est sur une ligne héritée du FN des années 1990, celle du 'ni droite ni gauche, nous sommes dans une autre logique'", rappelle d'abord Sylvain Crépon, "donc s'allier avec la droite revient à ancrer le FN à droite et à l'officialiser." Pour l'instant, le Front national se contente d'accueillir les transfuges de tous bords à bras ouverts. Mais pour obtenir des résultats concrets, le parti ne peut bouder quelques alliances de circonstance.

Pour les municipales, le FN a édité une charte, sorte de dix commandements, conformes aux fondamentaux du parti, du rejet du communautarisme à la préférence nationale dans l'attribution des logements sociaux. Un texte auquel doivent adhérer les candidats qui voudraient s'allier avec le parti de Marine Le Pen. Car le mouvement est dans ce sens.

Des militants de base aux cadres dirigeants, à mots couverts, les frontistes ne sont pas contre des associations avec l'UMP, mais sur "le programme de Marine avant tout". "Ce qui change, c'est que le FN compte sur un embarras de l'UMP pour pouvoir avancer ses pions sur le mode 'on vote votre budget municipal mais on demande des mesures symboliques en échange' ", détaille Sylvain Crépon.

Dans tous les cas, s'il accède au pouvoir localement, le Front national va devenir comptable d'un bilan. Et pour éviter le fiasco des années 1990, à Vitrolles, Toulon, Orange et Marignane, le parti s'organise. Le 11 septembre, il a créé le Comité de gestion et de suivi des administrations (CGSA), confié à Steeve Briois. Objectif : "Coordonner un réseau de cadres territoriaux (DGS, DGA, directeur financiers…) amenés demain à compléter les équipes d'encadrement et d'administration déjà existantes des futures municipalités Front national." "Si on prend trop de villes, on est morts", avertit toutefois un cadre du FN, qui redoute un manque de personnel qualifié dans les rangs du parti.

Au niveau national, l'alliance éventuelle avec l'UMP est inenvisageable tant les divergences sont fortes sur certains points, notamment sur la question de l'Europe. "On gagnera sur notre programme seul", promettent les militants, les yeux qui pétillent. En clôture de l'université d'été du parti, Marine Le Pen a écarté l'idée de vote protestataire, dans un discours mêlant grands principes définissant "une nouvelle façon de faire de la politique", et micro-mesures aussi symboliques que concrètes. Un discours présidentiel à quatre ans de l'échéance. Tandis que ses lieutenants martèlent de façon quasi-obsessionnelle leur nouvel élément de langage : le développement d'un "vote d'adhésion".

Entre 2002 et 2012, l'extrême droite perd beaucoup dans ses bastions que sont les régions dynamiques et le gains sont très nets dans la France rurale et très rurale. A l'origine parti des petits commerçants et artisans, le FN est en train de devenir le parti des pauvres, mais il aura du mal à progresser dans les classes moyennes, ainsi qu'à recruter des cadres. S'il y a une progression dans l'acceptation, le rejet du FN reste très fort. Hervé Le Bras démographe, auteur avec Emmanuel Todd, du Mystère français (2013, Seuil)