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GRAND FORMAT. "Je refuse d'avancer dans ma vie sans enfant" : elles ont fait le choix d'une PMA "en solo"

Valentine Pasquesoone le mardi 4 février 2020

Pour devenir mère, Florence a bénéficié d'un double don de gamètes au Portugal. (VALENTINE PASQUESOONE / FRANCEINFO)

Entourée d'une vingtaine de patients, certains en couple, d'autres seuls, Lou, 41 ans, attend. Face à elle, un mur de photos d'enfants aux larges sourires. La salle d'attente, nichée au deuxième étage d'un imposant hôpital belge, est celle d'un centre de procréation médicalement assistée (PMA). La Française connaît trop bien ces lieux. "C'est devenu assez familier comme endroit", sourit-elle à moitié. "Je suis tellement venue ici." Plus de trente fois, sans l'ombre d'un doute. 

Depuis un an, Lou tente ici d'avoir un enfant. Seule. Comme cette femme célibataire, franceinfo a rencontré cinq Françaises, âgées de 34, 42 ou 48 ans, en pleine démarche ou déjà mères après une "PMA en solo". Elles ont agi à l'étranger ou dans le secret, la loi française refusant encore de répondre à leur désir d'enfant. Un désir toujours réfléchi, et jamais regretté pour ces femmes. La monoparentalité, mais par choix.

Quel a été le parcours, souvent sinueux, de ces Françaises pour devenir mères ? A l'heure de l'examen du projet de loi relatif à la bioéthique, dont l'avancée emblématique reste la PMA pour toutes les femmes, voici leurs histoires.

Lou, dans l'attente d'une grossesse

Lou, 41 ans, dans un couloir du centre de PMA où elle est suivie, dans un hôpital en Belgique. (VALENTINE PASQUESOONE / FRANCEINFO)

Le numéro de Lou est appelé pour son passage en salle d'échographie. "C'est pour une implantation d'embryon ?" Alors qu'elle s'installe, la patiente aux yeux bleus vifs, l'air calme, répond affirmativement. Elle est au onzième jour de son cycle, et cet examen doit vérifier l'état de son endomètre, la muqueuse de l'utérus. "8,8 mm, c'est très bien", lui assure l'infirmière, avant d'observer ses ovaires. Il est encore un peu tôt pour une implantation, mais la date approche. Grâce à l'échographie, la Française devrait être bientôt fixée. "Vous n'avez jamais eu de transfert d'embryon ?", lui demande-t-on. "Si, c'est mon deuxième." Lou est de retour dans ce centre, moins de trois semaines après une fausse couche. L'embryon, issu d'une fécondation in vitro (FIV) avec ses ovocytes, "n'était pas viable". "Je me suis projetée enceinte pendant un mois et demi", confie la patiente d'une voix toujours posée. "Je ne pouvais pas manger certains fromages, pas boire d'alcool... On y pense tout le temps, en fait ! Et d'un coup, ça s'arrête." Depuis, Lou est pressée de retenter.

Le souhait d'être mère, pour cette Parisienne d'origine, est "très clair" depuis ses 18 ans. Mais jusqu'à ses 35 ans, la question ne se pose pas. "J'étais toujours en déplacement, avec des périodes de tournages très intenses", se remémore cette cheffe opératrice dynamique, longtemps bruxelloise. Ses relations amoureuses ne durent pas assez longtemps, ou la distance intervient. "Je ne pouvais rien construire de très régulier ici." La deuxième partie de sa trentaine marque un tournant. L'amoureuse du cinéma travaille sur des projets plus longs, s'installe dans une relation plus sérieuse. Deux ans passent avec son compagnon de l'époque, jusqu'à l'aveu de son désir de maternité. "Je lui dis que je veux un enfant, mais lui était déjà papa. Il ne veut pas être père de nouveau." La fin de leur histoire est, en réalité, un point de départ pour Lou. Une amie lui conseille de se renseigner, elle qui veut tant cet enfant et vit à Bruxelles. Ici, nombre d'options sont possibles.

Célibataire depuis peu, elle prend une première décision – celle de congeler ses ovocytes. Cet acte, très restreint en France, est ouvert à toutes les femmes en Belgique. A l'approche de ses 40 ans, Lou imagine qu'une longue période va passer avant de rencontrer un potentiel père. Pendant un an, elle subit trois ponctions d'ovocytes pour "gagner du temps". "Avoir cette possibilité diminue tellement l'angoisse, lâche-t-elle d'une voix douce et grave. Je savais que je pouvais encore avoir un vrai projet de devenir mère, sans que ce soit une course contre la montre." 

C'est une libération. Je ne subis plus la situation, je deviens actrice de mon destin. Je ne suis plus dépendante de l'autre.

Lou

Avant la conservation, une psychologue du centre lui demande si elle envisage une PMA en solo. Sa réponse est claire. "Pas du tout !, tranche Lou. Toute ma vie, il était hors de question de faire un enfant seule." Ses parents se sont quittés alors qu'elle était petite. "Elever un enfant en tête à tête, je trouvais cela terrible", assume-t-elle calmement. La cheffe opératrice, foncièrement optimiste, entend toujours poursuivre ce projet d'enfant en couple. Mais pour la deuxième fois, un compagnon refuse une nouvelle paternité. "C'est comme s'il me disait : 'je t'aime, mais je te coupe un bras'."

Une simple visite de contrôle, il y a un an, bouleverse tous les plans. "La gynécologue me regarde droit dans les yeux et me dit : 'Si vous voulez faire un enfant avant 45 ans, c'est maintenant. Que vous soyez seule ou non n'est pas la question.'" La patiente, qui pensait encore avoir plusieurs années devant elle, sort "complètement soufflée". Lou se dit qu'une PMA seule serait de la folie. Pourtant, "c'est maintenant" résonne dans sa tête le lendemain, le surlendemain, "toute la semaine". L'idée ne la quitte plus, car la gynécologue "a fait mouche", sourit-elle.

En fait, le problème n'était pas 'seule ou pas seule'. La vraie question, c'était : 'Est-ce que je veux vraiment un enfant ?' Et quel bonheur de se poser la question.

Lou

Le jour de ses 41 ans, Lou formule pour la première fois son souhait d'une PMA en solo. Elle rencontrera quelqu'un plus tard, se dit-elle. Mais peu avant ses 42 ans, "je ne suis pas enceinte", regrette-t-elle discrètement. Le temps est vite passé, entre plusieurs opérations pour retirer des fibromes, de petites tumeurs dans l'utérus, et cette première implantation qui n'a pas abouti. "Pour l'instant, l'énergie reste intacte, glisse, grand sourire, celle qui espère un jour connaître la maternité. Je suis confiante, et très impatiente." 

Hélène, enceinte de cinq mois

Hélène, célibataire de 34 ans, a réalisé trois assistances médicales à la procréation au Danemark avant de tomber enceinte. (VALENTINE PASQUESOONE / FRANCEINFO)

En ce samedi pluvieux, Hélène, elle, s'impatiente de trouver le bon logement. Accompagnée de sa sœur, cette femme souriante de 34 ans visite un appartement proche des bords de Marne, dans l'est francilien. Déjà 30 demandes de visites lui ont été refusées ou sont restées sans réponse. Cet appartement des années 1970, aux papiers peints désuets, est le dixième qu'elle voit. "Vous habiterez seule ici ou en colocation ?", l'interroge discrètement le propriétaire des lieux. Le ventre bien arrondi, la grossesse d'Hélène est désormais visible. "Je serai en colocation... Avec mon enfant !", répond-elle d'une voix rieuse.

Cette francilienne célibataire, de longs cheveux blonds et lisses, est dans son cinquième mois de grossesse. L'issue heureuse de cinq autres mois, lors desquels Hélène a réalisé trois assistances médicales à la procréation. Trois essais menés à Copenhague – au Danemark, la PMA pour les femmes seules est parfaitement légale –, à plus de 1 000 km de Montreuil (Seine-Saint-Denis), où elle habite actuellement. Des allers-retours coûteux, source d'espoir mais aussi de "stress hallucinant" pour cette chargée de mission en protection de la biodiversité.

Dans son vaste salon, cette grande voyageuse, plusieurs années habitante des outre-mers, ouvre un carnet rouge très personnel qui relate son parcours. Sur une double page, on perçoit le plan du métro copenhaguois. La Française y a écrit avec soin une liste d'hôtels proches de la clinique et gribouillé une poignée de mots en danois – "Hej !", pour bonjour – sans oublier la conversion en euros de plusieurs montants en couronne danoise.

Le carnet d'Hélène où elle a consigné tous les détails de son périple au Danemark. (VALENTINE PASQUESOONE / FRANCEINFO)

Avant de ce lancer dans cette "aventure", Hélène s'est renseignée au maximum, notamment auprès de l'association Mam'en solo, qui aide et réunit des mères et futures mères célibataires ayant recours à la PMA. Echanges, rencontres avec les adhérentes... Elle a ensuite dû prendre contact avec une clinique copenhaguoise, réaliser une batterie d'examens médicaux évaluant sa fertilité. Vient un entretien, par Skype, avec une sage-femme du centre danois. Celle-ci la prévient que le taux de réussite, pour une insémination, est faible : 30%. "Elle me demande si je me sens isolée, si je suis accompagnée, pourquoi j'ai pris cette décision", se souvient d'une voix douce la future mère. 

Hélène, préférant confier à la clinique le soin de trouver son donneur, lui soumet plusieurs critères physiques. Une pratique impossible en France : ici, seuls les médecins sélectionnent le donneur de sperme, avec néanmoins un objectif de ressemblance entre l'enfant et son père légal, précise Libération. Ici, tout donneur de gamètes est aussi anonyme. Hélène a choisi le Danemark car les dons y sont "ouverts" : son enfant pourra rencontrer, s'il le souhaite, son géniteur à sa majorité.

Tout est prêt pour un premier voyage. Hélène sait qu'une insémination coûte en moyenne 1 000 euros, hors frais de voyage, de logement et de bouche. La jeune femme, très réfléchie, a épargné pour trois essais, et même déménagé pour économiser. En plein hiver, la trentenaire se lance dans une première tentative. Sur place, elle multiplie les tests d'ovulation, jusqu'au moment du "go" de la clinique. En "trois minutes", la sage-femme pose un petit cathéter, puis insère une micro-dose du don à l'aide d'une seringue. Les deux semaines suivantes, celles de l'attente, sont "horribles". "Il y a la fatigue, la poitrine douloureuse pendant 15 jours car je prenais de la progestérone. Puis le test de grossesse arrive et il est négatif", relate Hélène.

Je me sens trahie par mon corps.

Hélène

Très vite, la native de Guérande (Loire-Atlantique) se recentre sur son choix. Elle s'entoure de nouveaux médecins pour de meilleures chances de réussite. "Vu votre âge, c'est forcément une fécondation in vitro" ; "Vous n'auriez pas un copain pour vous dépanner ?", entend-elle, encore heurtée. La patiente reprend confiance auprès d'une spécialiste plus bienveillante. Tous les deux à trois jours, elle multiplie prises de sang et échographies, dans l'attente du bon moment pour un nouvel essai. "Quand c'est bon, j'appelle la clinique. Elle me dit 'venez demain'. Je pose une RTT et fait l'aller-retour sur la journée." Aéroport, métro, insémination, métro, aéroport. Hélène rentre tard chez elle, épuisée. Ses règles arrivent quinze jours plus tard.

A ce moment-là, je reste déterminée. Je refuse d'avancer dans ma vie sans enfant. Mais j<span>'</span>appréhende beaucoup une troisième tentative.

Hélène

La troisième, pourtant, sera la bonne. "Jour du test de grossesse, POSITIF !", lit-on dans son carnet rouge. "C'est magique, un sentiment d'accomplissement total", confie, émue et tout sourire, la femme enceinte. Depuis, la future maman prépare un avenir à deux. "Cet enfant, je le veux plus que tout. Et je crois que je suis prête depuis un moment."

Florence, un accouchement 15 jours plus tôt

Après un double don au Portugal et de longs mois d'angoisse, Florence a accouché au mois d'octobre 2019. (VALENTINE PASQUESOONE / FRANCEINFO)

Florence attendait ces moments entre mère et fils depuis la sortie du lycée. Dans sa chambre paisible de la banlieue nantaise, la maman rousse aux yeux verts perçants change son bébé, né 15 jours plus tôt. Florence parle à son enfant, lui sourit et le rhabille avec délicatesse, pendant que sa mère prépare le déjeuner. La grande fatigue des premiers jours, l'impact de la césarienne importent peu.

Avoir un enfant, c'était viscéral.&nbsp;Je n'ai jamais imaginé ma vie sans en avoir.

Florence

Pourtant, avoir un enfant, Florence, 43 ans, n'osait plus l'imaginer. Ses relations n'ont jamais été assez longues "pour se dire : 'on s'installe ensemble, on fait un bébé'". Et il y a cinq ans, la femme célibataire perçoit des signaux d'une fertilité déclinante. "Je sens qu'elle m'échappe", relate-t-elle, évoquant des variations hormonales et des cycles menstruels plus courts. A chacune de ses règles, la trentenaire voit son corps lui dire "une chance en moins". "En 2015, je ne disais plus 'quand j'aurai un enfant'. J'ai arrêté de m'autoriser à le dire." Son désir reste intact, mais Florence se force à l'enfouir.

Entre 2016 et 2017, un déclic s'opère. Une proche reçoit son agrément pour adopter un enfant. Cette ancienne salariée de l'hôtellerie voit rejaillir son désir d'enfant, envisage un bilan de fertilité mais craint son verdict. Elle rencontre une nouvelle collègue, enceinte malgré une ménopause survenue précocement. Au détour d'un dîner, Florence apprend qu'elle a bénéficié non pas d'un, mais de deux dons d'ovocytes pour devenir mère. "Face à elle, pour la première fois depuis des années, je dis : 'je veux un enfant'", décrit-elle la gorge serrée, se laissant pleurer. "En fait, c'est cela qui manque dans ma vie."

A l'issue d'une série d'examens gynécologiques, le constat tombe. Florence, qui se rêvait depuis vingt ans mère, apprend ce qu'elle redoutait – le diagnostic d'un vieillissement ovarien précoce. Contrairement à d'autres femmes de son âge, il lui sera très difficile, voire impossible de concevoir un enfant naturellement. Un gynécologue lui suggère d'avoir recours au double don de gamètes. Une technique efficace – elle réussit dans près de 70% des cas – mais que la France interdit encore. La patiente accuse la nouvelle.

Quand on est une femme qui a toujours voulu un enfant, il faut digérer le fait que l'on n'en aura pas de manière naturelle. Même en rencontrant le prince charmant, je devrais de toute manière passer par la PMA.

Florence

Un groupe de parole lui permet de poser des mots sur cette douleur, pour enfin la surmonter. Grâce au soutien financier – vital – de ses parents, dont elle est très proche, la quadragénaire s'engage dans un premier parcours au Portugal. Elle s'envole avec sa mère pour l'ancienne capitale du pays, Coimbra. La pression, en ce 23 avril 2018, est massive : la fécondation in vitro, à l'issue des dons d'ovocytes et de sperme, a permis le développement d'un seul embryon viable. Florence garde aussi à l'esprit qu'en cas de fausse couche, après six semaines de grossesse, tout sera à recommencer – et donc à repayer. Une perspective inenvisageable. 

Une image de l'embryon à l'origine du bébé de Florence,&nbsp;sur&nbsp;son téléphone portable. (VALENTINE PASQUESOONE / FRANCEINFO)

L'embryon, deux semaines après l'essai, ne s'est pas implanté. "Là, c'est une grande claque", souligne Florence, dont l'émotion est palpable. La patiente, n'ayant pas fait de fausse couche après six semaines, a néanmoins droit à un deuxième essai. Elle veut retenter, mais n'arrive pas à repartir au Portugal, par "peur" d'un nouveau revers. Huit mois plus tard, elle saisit cette dernière chance, qui finalement aboutit. "A ce moment-là, les nerfs lâchent, souffle-t-elle en pleurant une nouvelle fois. C'est le début de la vie, c'est monumental." 

La "peur", l'"angoisse de savoir si la grossesse allait se poursuivre" restera vive jusqu'à l'accouchement. Moins de deux heures après une première échographie de contrôle, à deux semaines et demie de grossesse, Florence voit ses cuisses en sang. Courant aux urgences obstétricales, la jeune femme, paniquée, s'entend dire qu'il faut se "préparer à une fausse couche". C'est une fausse alerte. Son fils naît finalement au mois d'octobre. Peu importe la fatigue, Florence pleure de joie à l'évocation de sa maternité. Etre mère, "c'est l'attente de toute une vie. Je n'attendais que ça".

Amélia, maman depuis un an

Amélia, 42 ans, a bénéficié de l'aide d'un gynécologue en France. (VALENTINE PASQUESOONE / FRANCEINFO)

Amélia*, 42 ans, vit cette maternité en solo depuis près d'un an. En ce milieu de matinée, une auxiliaire de puériculture accueille son fils à bras ouverts dans la crèche municipale de sa ville, ornée de dessins d'animaux et de fleurs. La maman, très sociable, discute avec elle puis embrasse une nouvelle fois son fils aux yeux bleus, avant de partir. A la sortie, une autre auxiliaire de puériculture la salue. "A la crèche, ils savent qu'il n'y aura pas de papa, mais c'est tout, glisse Amélia, les yeux et cheveux foncés. Quand on me demande où est son père, je réponds simplement qu'il est au Danemark."

C'est la stricte vérité : son fils au sourire facile et contagieux est né grâce au don d'un Danois. Mais il y a autre chose que cette femme, résidente de l'Ile-de-France au parcours riche en voyages, doit cacher. Au printemps 2018, après de premières démarches en vue d'une PMA au Danemark, Amélia a bénéficié de l'aide d'un gynécologue pour un "premier essai" en France. Essai qui, dans le secret, a abouti.

Une rencontre, il y a précisément deux ans, a fait toute la différence. En pleins examens de fertilité, et face à des cliniques danoises lui proposant d'emblée une FIV, Amélia, soucieuse, consulte son gynécologue. Ce dernier l'oriente vers un spécialiste de la fertilité. "Je le rencontre, et il me dit qu'une FIV n'est pas nécessaire", relate la maman, le visage fin et le regard vif. Le professionnel émet une suggestion : "Si vous voulez, nous pourrions faire un petit essai ici, avant d'aller au Danemark."

Cette proposition, je l'ai vue comme la chance du débutant. L'opportunité d'essayer. Je me suis dit : 'Tentons, ça ne coûte rien'. Je n'ai rien fait de mal.

Amélia

Convaincue, Amélia part en quête d'un donneur ouvert. Elle débute ses recherches sur le site d'une grande banque de sperme, justement basée au Danemark. La Française sélectionne un donneur blond, cultivé, aux yeux entre le bleu et le gris. Amélia doit verser quelque 1 200 euros pour recevoir, secrètement, une paillette de sperme à son domicile. "Je l'ai reçue le vendredi matin pour un rendez-vous chez le gynécologue le lundi. Elle était entourée de glace, dans un paquet de polystyrène. Je n'ai pas mis de chauffage chez moi le week-end, de peur que la glace fonde", sourit-elle, le débit nerveux.

Un médicament pour freiner l'ovulation, une piqûre pour la déclencher le temps venu et Amélia se rend au cabinet du gynécologue. "Je me rappelle partir avec ce paquet assez encombrant dans le métro. Une part de mon fils était là", raconte-t-elle, encore étonnée par la scène. Le spécialiste procède à l'insémination. En "deux secondes", ce geste médical vient enfin assouvir un désir d'enfant ancien et nourri. Car avant cet acte, Amélia avait lancé de longues démarches pour une coparentalité, une adoption et, enfin, une PMA. Elle tombe enceinte, après des années de réflexion et de désir d'être mère.

C'était peut-être un signe de l'univers qui voulait m'aider.

Amélia

Les débuts de la maternité "solo", pour Amélia, n'ont pas été évidents. Il y a eu, comme pour toute mère célibataire, le manque de relais pour le sommeil. Et, comme bon nombre de jeunes mamans, un allaitement difficile. Mais aussi, l'inquiétude liée à la méconnaissance du donneur. "Je paniquais quand je voyais que mon bébé ne prenait pas de poids", confie la quadragénaire. "Je ne connais pas une partie de mon fils. Je ne connais pas sa constitution, ses allergies. Vous avez une inconnue et il faut faire avec." A l'hôpital, à la protection maternelle et infantile (PMI), Amélia subit aussi les remarques. D'un rendez-vous à l'autre, la phrase "Elle a fait un bébé toute seule" résonne à plusieurs reprises. La maman s'inquiète, du fait de son choix de "PMA solo", qu'on lui refuse une place en crèche.

La peluche et le pyjama de l'enfant d'Amélia. (VALENTINE PASQUESOONE / FRANCEINFO)

Mais son bébé vaut tous les défis. "Je me sens heureuse de mon choix, je ne le regrette pas", assure Amélia sans hésitation. Dès 16 heures, après avoir discuté avec une jeune mère du quartier, la maman retrouve son fils à la crèche. Grâce à l'argent qu'elle avait d'abord économisé pour son projet de PMA au Danemark, elle a pu prolonger son congé maternité. Un temps précieux "de joie, d'émerveillement, d'étonnement" passé avec son fils, qu'elle couvre souvent de baisers. "J'ai gardé tous les éléments concernant sa conception dans une petite boîte", relate-t-elle. Dans une lettre, elle lui racontera tout. Avec, peut-être, le livre Le Premier Homme d'Albert Camus. "Lui non plus n'avait pas de père. Ça ne l'a pas empêché de devenir ce qu'il est devenu." 

* Le prénom a été modifié à la demande de l'intéressée.

Caroline, deux grands enfants de PMA

Niels et Liam, les deux enfants de&nbsp;Caroline, sont tous les deux nés d'une PMA. (VALENTINE PASQUESOONE / FRANCEINFO)

Liam, viens disposer le fromage à table !" Dans leur appartement lumineux de Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine), les jeunes fils de Caroline s'affairent pour la préparation du déjeuner. En cuisine, Niels, l'aîné discret, concocte une salade d'endives. Le cadet, l'air rieur, apporte les plats dans le salon. "Qu'est-ce que tu faisais toi, pendant ce temps ?", l'interroge sa mère d'un ton complice. "J'étais sur Instagram", s'amuse le jeune garçon aux bagues dentaires apparentes.

Une fois à table, les deux frères, très proches de leur mère, parlent avec elle de leurs origines. Une claire complicité se ressent entre eux trois. "Je pense que mon donneur est espagnol", se dit Niels d'un ton calme. "On est d'accord pour dire que vous ressemblez beaucoup à votre mère !", sourit la vétérinaire inspecteur de 48 ans, dont les cheveux bruns, épais et bouclés, rappellent ceux de Liam. Il y a bientôt 13 et 15 ans, Caroline a traversé deux fois la frontière, direction la ville espagnole de Valence. Elle y a fait, seule, deux procréations médicalement assistées. Depuis, cette femme à la voix et aux gestes énergiques élève en solo Liam et Niels – sans jamais rien cacher de leur histoire. 

Installée dans son salon empli de références à la musique, Caroline raconte comment, au début des années 2000, le tournant de la trentaine a tout changé. Caroline prend alors la décision de ne plus attendre. Elle veut devenir mère, qu'elle soit seule ou en couple. Le 15 janvier 2003, la jeune trentenaire réalise une insémination à Valence, à l'aide d'un don anonyme. L'annonce de sa grossesse, trois semaines plus tard, est alors "le plus beau jour de [sa] vie". "Mais ma compagne, elle, tirait une tête longue de trois kilomètres." Plus jeune de neuf ans, celle-ci craint un quotidien moins simple, une vie moins libre avec un enfant.

Les deux femmes se séparent peu après l'arrivée de Liam. Caroline, préparée et confiante pour être une "maman solo", réfléchit vite aux bons mots pour ses fils. Comment leur faire comprendre ses PMA en Espagne ? "Dès la maternelle, j'ai fait comme toute maman lesbienne", se remémore-t-elle.

<span>Je leur ai dit qu'ils étaient nés grâce à un gentil monsieur, qui avait très gentiment donné une petite graine pour qu'ils soient là. Jamais ils ne m'ont demandé pourquoi je les avais faits comme ça.</span>

Caroline

Parfois, il a fallu expliquer à nouveau. Comme ce rare moment où, à 5 ans, Liam expliquait à son professeur de tennis "que son père vendait des graines en Espagne". "Je lui ai dit que ce n'était pas tout à fait ça", sourit sa maman. Au fil des années, sans "non-dit", "leur conception est devenue un non-sujet""Maman nous a informés de la PMA très tôt. C'est une façon comme une autre de faire un enfant, estime Niels. Je n'ai aucun problème avec ça, et je ne ressens pas le besoin d'en savoir plus."

Depuis qu'ils comprennent et acceptent leur histoire, Niels et Liam entendent "régulièrement" leur mère les interroger. La maman a connu quelques relations ces quinze dernières années, "mais elles n'ont pas duré suffisamment longtemps pour dire que j'ai partagé l'éducation de mes enfants". Comment Niels et Liam vont-ils grandir, sans deuxième parent ? Est-ce un manque pour eux ? Caroline s'est "régulièrement" inquiétée de cette question. A chaque fois, elle les entend répondre "ça ne nous pose pas de souci"

Liam (à droite) et Niels (à gauche), aujourd'hui âgés de 12 et 15 ans. (VALENTINE PASQUESOONE / FRANCEINFO)

La vétérinaire, très soucieuse de l'éducation de ses enfants, garde néanmoins en tête une exception, lors d'un petit-déjeuner de 2013. La famille vivait alors en Nouvelle-Calédonie. "Je leur ai demandé si le fait de ne pas avoir un père leur manquait", décrit la quadragénaire. Niels n'a pas réagi. Liam, 6 ans, s'est dit "peut-être un peu triste", sans donner plus de détails. "J'ai essayé de creuser", poursuit Caroline. "Je lui ai répondu que je comprenais, mais qu'il ne fallait pas être triste. Que j'étais là, que des fois nous étions deux femmes." Et qu'il y avait des familles privées de père après une séparation ou un décès, ce qui n'était pas son cas. Liam a "réfléchi", compris les mots de sa maman, et "continué de petit-déjeuner"

A l'heure du déjeuner en ce midi d'automne, la maman relance ouvertement la discussion. "Quand il y a un deuxième adulte, on apprécie sa présence. C'est triste quand elle [une compagne de sa mère] part", concède Niels, derrière de fines lunettes marron.

Je ne ressens pas de manque quand nous sommes à trois.

Niels

Il y a quelques semaines, Liam a fièrement aidé sa mère à décoller des affiches de La Manif pour tous, collées dans leur rue pour dénoncer l'ouverture de la PMA à toutes les femmes. "Si ces gens étaient issus de PMA, ils comprendraient que ce n'est pas du tout un manque", défend ce bon élève de troisième, apprenti soliste et comédien. "Ça ne fait plus débat que nos enfants vont bien", renchérit sa mère. Et le fils aîné de Caroline d'insister : "Je suis normal, et tout va très bien dans ma vie. Ma mère et ce donneur m'ont donné la vie, et c'est moi qui trace mon chemin."

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Texte et photos : Valentine Pasquesoone

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