Grand format

ENQUETE FRANCEINFO. Courriers quotidiens, bonbons Haribo et tentatives de suicide : la vie de Francis Heaulme en prison

Yann Thompson le jeudi 4 janvier 2018

Le tueur en série Francis Heaulme, le 22 novembre 2004. (PHOTO : MAXPPP / ILLUSTRATION : ANSELME CALABRESE - FRANCEINFO)

Un sixième procès, trente-deux ans après les faits. Francis Heaulme, le tueur en série de 59 ans, est de nouveau jugé, à partir du mardi 4 décembre à Versailles (Yvelines), pour le meurtre de deux enfants, en 1986, à Montigny-lès-Metz (Moselle). En première instance, au printemps 2017, il a été reconnu coupable et condamné à la réclusion criminelle à perpétuité. L'affaire de Montigny est la dernière dans laquelle Francis Heaulme est encore poursuivi. Après ce procès, à moins d'un nouveau rebondissement, le criminel quittera à jamais la lumière.

L'affaire de Montigny

Le 28 septembre 1986, les corps de Cyril Beining et Alexandre Beckrich, 8 ans, sont découverts à Montigny-lès-Metz (Moselle), le crâne fracassé à coups de pierres, sur un talus longeant une voie ferrée. Un adolescent de 16 ans, Patrick Dils, avoue en 1987 le double meurtre, avant de se rétracter quelques mois plus tard. Il est condamné à la réclusion à perpétuité le 27 janvier 1989 par la cour d'assises des mineurs de la Moselle. En 1998, son avocat présente une requête en révision après avoir appris que le tueur en série Francis Heaulme demeurait à l'époque à proximité des lieux du crime.

A l'issue d'une procédure de révision et d'un nouveau procès devant les assises des mineurs de la Marne, Patrick Dils est condamné à 25 ans de réclusion criminelle le 29 juin 2001. Rejugé en appel par la cour d'assises des mineurs du Rhône, il est finalement acquitté le 24 avril 2002 et libéré le même jour, après 15 ans de prison. Francis Heaulme comparaît au printemps 2014 devant la cour d'assises de la Moselle, pour le quatrième procès dans cette affaire. Mais l'audience s'arrête au bout de deux jours, car des témoignages de dernière minute mettent en cause un autre homme, Henri Leclaire. Cet ancien manutentionnaire, âgé de 37 ans à l'époque des meurtres, avait été le premier à faire des aveux en 1986, avant de se rétracter. À l'issue d'une nouvelle instruction, il bénéficie d'un non-lieu, qui devient définitif en janvier 2017.

A l'issue d'un nouveau procès à Metz, Francis Heaulme est condamné à perpétuité le 18 mai 2017 pour le meurtre des deux enfants, qu'il a toujours nié même s'il a reconnu sa présence près des lieux du crime. Son procès en appel – le sixième qu'aura connu cette affaire – s'ouvre mardi à Versailles et doit durer jusqu'au 21 décembre.

Près de la moitié de sa vie en prison

Arrêté le 7 janvier 1992, Francis Heaulme a passé plus d'un quart de siècle derrière les barreaux. Le "routard du crime" a été condamné définitivement pour les meurtres de cinq femmes, de trois mineurs et d'un vieil homme. Ces faits, commis entre 1984 et 1992, lui ont valu deux peines de réclusion criminelle à perpétuité, trois peines de 30 ans de prison, une peine de 20 ans de prison et une peine de 15 ans de prison.

L'enfant de Briey (Meurthe-et-Moselle) a déjà passé près de la moitié de son existence enfermé dans une cellule de quelques mètres carrés. A ses vagabondages sanglants a succédé une vie sédentaire dans une prison d'Alsace. L'amateur de vélo et de grands espaces est devenu un vieillard promis à l'ombre éternelle.

"Un profil assez adapté à l'emprisonnement"

Au second plan, la maison centrale d'Ensisheim (Haut-Rhin), où Francis Heaulme est incarcéré. (PHOTO : AFP / ILLUSTRATION : ANSELME CALABRESE - FRANCEINFO)

Francis Heaulme l'assure avec une étonnante légèreté : il se "sent bien" à la maison centrale d'Ensisheim (Haut-Rhin). Le tueur en série est incarcéré, depuis 2006, dans la prison bâtie en plein cœur de cette petite commune située entre Mulhouse et Colmar, non loin de la frontière allemande. De la fenêtre de sa cellule individuelle, au troisième étage, il peut voir le massif des Vosges, ce qui l'enchante.

En détention, Francis Heaulme bénéficie d'un encadrement qui lui évite de "voir rouge", selon l'expression employée par le meurtrier pour désigner ses crises passées. Sous traitement médical et privé d'alcool, il n'est plus agressif. "Francis Heaulme a un profil assez adapté à l'emprisonnement, avance son avocate, Liliane Glock. Le fait qu'il y ait des règles ne le dérange pas. Il ne se plaint jamais d'être en prison."

La juriste se souvient plus précisément d'un passage de son client à l'ancienne maison d'arrêt de Nancy, il y a une vingtaine d'années, alors qu'il était placé dans un dortoir avec cinq autres détenus. "Il aimait bien car c'était organisé, raconte-t-elle. Chacun leur tour, ils se levaient à 6 heures pour laver le vieux parquet de la chambre à la Javel. C'était la caserne leur dortoir, il aimait cette discipline."

"C'est pas une balance"

Un couloir de la prison d'Ensisheim. (PHOTO : AFP / ILLUSTRATION : ANSELME CALABRESE - FRANCEINFO)

A Ensisheim, comme dans toutes les centrales, la plupart des détenus ont été condamnés pour des faits de meurtre ou de viol, avec des peines presque toutes supérieures à 20 ans de prison. Loin de l'agitation des maisons d'arrêt, ici, "l'ambiance est apaisée", affirme un surveillant. Une majorité de prisonniers a plus de 40 ans et les plus jeunes doivent faire avec les "envies de calme des anciens", parmi lesquels Michel Fourniret, le "monstre des Ardennes" (75 ans), Guy Georges, le "tueur de l'est parisien" (55 ans) et Francis Heaulme, qui approche de la soixantaine.

<span>Michel Fourniret, Guy Georges ou Francis Heaulme ne sont pas du genre à foutre le bordel en détention.</span>

Un surveillant d'Ensisheim

Ce cadre de vie correspond à Francis Heaulme, qui, d'après son avocate, "ne veut pas être embêté" et "n'aime pas être entouré de jeunes qui portent les casquettes à l'envers". Dans sa centrale, le prisonnier aux cheveux blancs et aux lèvres fines communique avec peu de ses congénères, "surtout deux ou trois", dont son voisin de cellule, selon un surveillant.

Lors de son dernier procès, en mai 2017, d'anciens codétenus ont décrit le tueur comme un homme "généreux", qui "servait le café" et ouvrait "un paquet de bonbons Haribo" quand il recevait dans sa cellule. L'un d'eux, qui l'a notamment croisé à Metz (Moselle) en 2006, a salué son respect des "codes de la prison". "C’est pas une balance, il savait que j’avais un téléphone portable, il n'a jamais rien dit", a-t-il souligné.

Lettres à un tueur

Un courrier signé par Francis Heaulme. (MAXPPP)

Outre sa mère – une "sainte" dont il porte toujours le "deuil" – et sa sœur adorée, une troisième figure féminine occupe les pensées du prisonnier. Selon le médiateur qui l'a rencontré, Francis Heaulme entretient une correspondance "intense" avec une Parisienne de 23 ans, qui vit toujours chez ses parents. Il lui écrirait jusqu'à dix pages par jour, sans jamais aborder ses affaires criminelles, et serait "très en attente de ses courriers".

Durant son quart de siècle passé derrière les barreaux, le Lorrain a souvent fait l'objet d'attentions féminines. "Certaines lui envoyaient de l'argent ou des vêtements, d'autres lui disaient qu'elles l'hébergeraient à sa sortie", rapporte Jean-François Abgrall, l'ancien gendarme qui a mis fin au périple meurtrier de Francis Heaulme à travers la France.

<span>Un jour, lors d'un interrogatoire en maison d'arrêt, il m'a demandé de faire une enquête pour lui. Une femme avait retenu son attention et il voulait en savoir plus sur elle. Je n'ai pas donné suite.</span>

Jean-François Abgrall, à franceinfo

Les écrits de Francis Heaulme ont parfois traversé les frontières. Il a correspondu avec une tante expatriée aux Etats-Unis et même avec l'un des serial killers les plus dangereux de l'histoire des Etats-Unis, Patrick Kearney. Cet ingénieur surdoué a été condamné, à la fin des années 1970, à 21 peines de prison à vie pour des meurtres souvent suivis d'actes de nécrophilie. "Leur correspondance a duré quelque temps, mais je crois qu'ils n'avaient pas grand-chose à se dire", relate l'avocate du Français.

David Brocourt a, lui aussi, eu des échanges épistolaires avec Francis Heaulme, durant trois mois, en 2010. "Rapidement, je me suis retrouvé inondé de lettres, jusqu’à trois par semaine, raconte cet artiste fasciné par les tueurs en série. Si j’avais le malheur de ne pas répondre rapidement à toutes ses lettres, pour la plupart assez rébarbatives, il m’envoyait de courtes missives inquiètes pour connaître la raison de mon silence et pour me relancer." Il a notamment reçu une photo de Yannick Noah dédicacée par le meurtrier, après un concert du chanteur dans la centrale.

Carte postale (recto verso) envoyée par Francis Heaulme à David Brocourt le 21 juillet 2010. (DAVID BROCOURT)

De cette correspondance, David Brocourt garde le souvenir des "grosses lacunes en orthographe" du criminel, "de son écriture maladroite" et de "ses limites intellectuelles évidentes". Le plasticien dresse le portrait d'un "menteur pathologique" qui n'exprimait "à aucun moment de la compassion pour ses victimes". "Sa sœur revenait sans cesse dans ses lettres", souligne-t-il, avec "l'angoisse profonde" qu'elle coupe les ponts en cas de condamnation dans l'affaire de Montigny-lès-Metz.

"Plusieurs tentatives de suicide"

Une fenêtre grillagée donnant sur une cour de la prison d'Ensisheim. (SEBASTIEN BOZON / AFP)

En plus des parloirs et des courriers, Francis Heaulme peut compter sur les cabines téléphoniques de la prison pour garder un contact avec l'extérieur. "Il me téléphone très souvent, généralement le dimanche, pour quelques minutes, confie Liliane Glock. Il n'y a pas grand monde qu'il puisse appeler. Je crois que, dans son paysage psychique, il me place parmi les personnes de son entourage."

<span>Francis Heaulme&nbsp;a des possibilités de réflexion limitées et vit au niveau de son petit monde. Il me donne surtout de ses nouvelles, sur un ton neutre, mécanique.</span>

Liliane Glock, à franceinfo

En Alsace, même s'il s'y dit heureux, le détenu Heaulme connaît "des hauts et des bas", selon son avocate. "Il y a des moments où il plonge, sans qu'on sache vraiment pourquoi", décrit-elle. Lors du procès de 2017, le médiateur qui l'avait rencontré a mentionné "plusieurs tentatives de suicide" depuis l'arrivée du tueur en série à Ensisheim, avec huit procédures de surveillance spéciale à la clé. "La dernière date de mars 2017, a-t-il précisé. Il était stressé par sa comparution devant les assises de la Moselle."

Son avocate dit n'avoir pas connaissance de ces tentatives mais évoque "plusieurs hospitalisations" de son client ces dernières années. En 2001, "il avait été victime d'une phlébite avant un procès, rappelle-t-elle. Un expert avait affirmé que son pronostic vital était engagé." Depuis, le criminel a subi au moins deux infarctus. Ce gros fumeur souffre aussi de "problèmes de poumons", selon Liliane Glock.

Si Francis Heaulme a toujours été reconnu responsable pénalement, son état de santé a souvent été présenté comme pouvant expliquer, en partie, son parcours criminel. Atteint du syndrome de Klinefelter, une anomalie génétique causée par un chromosome féminin en trop, il souffre d'une atrophie testiculaire et d'une forme d'impuissance sexuelle. "Il a toujours eu honte de ça et s'est senti demi-homme presque toute sa vie", rapporte David Brocourt à partir de sa correspondance avec le tueur. Le psychiatre Jean-Michel Masson, qui a détecté son syndrome en 1993, a qualifié d'"orgasmes pervers" les crimes commis par le "psychopathe". Il a décrit "un homme physiologiquement très femme", incapable de "surpasser cette problématique" du fait de "son intelligence médiocre".

"Le temps glisse sur lui"

Francis Heaulme, lors du procès du double infanticide de Montigny-lès-Metz, le 25 avril 2017 à Metz (Moselle). (PHOTO : MAXPPP / ILLUSTRATION : ANSELME CALABRESE - FRANCEINFO)

Et après ? Que changerait pour Francis Heaulme une condamnation en appel dans l'affaire de Montigny-lès-Metz ? "Dans tous les cas, il restera un détenu condamné à perpétuité", concède son avocate. Si une remise en liberté pour raisons de santé est envisageable en toute fin de vie, elle ne se fait guère d'illusions sur les chances de libération conditionnelle de son client d'ici là.

<span>Pour pouvoir mettre le nez dehors, il lui faudrait se soumettre à une expertise psychiatrique afin d'évaluer sa dangerosité. Il n'a aucune chance de franchir cette étape.</span>

Liliane Glock, à franceinfo

En 2013, dans un bref entretien à 20 Minutes, Francis Heaulme n'excluait pas d'être libéré. "Je pense que j'irai vivre chez ma sœur si je sors un jour", envisageait-il, assurant qu'il se ferait alors "tout petit". L'an dernier, lors de son procès, il s'est montré plus pessimiste, disant qu'il finirait ses jours derrière les barreaux. "Avec moi, il n'évoque jamais la question de la sortie, mais il semble avoir du mal à digérer la notion de condamnation à perpétuité, comme s'il ne la comprenait pas", explique son avocate.

Ce rapport au temps n'étonne pas Jean-François Abgrall : "Au début de son incarcération, je lui ai demandé ce que l'idée de vieillir en prison lui faisait. Il m'a répondu : 'Rien, j'attends.' Il n'a pas de notion du temps. Le temps glisse sur lui."

Il y a quelques années, le tueur en série a évoqué avec lui un projet d'évasion déjoué à Ensisheim. "Il a qualifié de 'fous' les deux détenus qui voulaient se faire la belle, car il s'estimait bien loti en centrale", rapporte l'ancien gendarme devenu détective. "De toute façon, Francis Heaulme n'a pas de place dans notre société individualiste, estime son avocate. Il appartient à un monde rural et a besoin de la surveillance d'un village. Il s'est trompé d'époque."

En prison, Francis Heaulme a retrouvé une forme de protection qui lui avait manqué à la mort de sa mère, survenue quand il avait 25 ans. Sa sœur était alors partie vivre avec son mari et son père avait rejoint une autre femme. Son errance criminelle était partie de là, le menant finalement en détention. A l'heure, sans doute, de tourner la page de ses procès, une question reste en suspens : combien de meurtres non élucidés Francis Heaulme emportera-t-il dans sa tombe ?

"Je serai toujours là pour toi, Francis"

Une cellule inoccupée de la maison centrale d'Ensisheim. (PHOTO : MAXPPP / ILLUSTRATION : ANSELME CALABRESE - FRANCEINFO)

A quoi les journées en prison de Francis Heaulme ressemblent-elles ? En vue de son procès en première instance, il y a moins d'un an, l'accusé du dossier de Montigny-lès-Metz a décrit son quotidien à Serge Papuga, un médiateur mandaté par la justice. Voici une journée type telle qu'il la lui a présentée :

- 6 h : réveil
- 7 h : ouverture du courrier
- 7h30 : douche et rangement de la cellule
- 8h30 : promenade
- 9 h : télévision
- Midi : déjeuner
- 13 h : discussion en cellule avec un autre détenu
- 16h15 : passage au quartier socioculturel
- 17h30 : télévision
- 19 h : dîner
- 20 h : écriture
- 22 h : coucher

"De septembre 2006 à 2010, Francis Heaulme a travaillé dans les ateliers", a précisé le médiateur. Des tâches simples et répétitives lui étaient confiées, tout comme lors de son passage à la maison d'arrêt de Metz au début des années 2000, quand il remplissait des boîtes d'agrafes pour quelques dizaines d'euros par mois, selon L'Humanité. Désormais, le quinquagénaire perçoit une allocation aux adultes handicapés d'un montant de 243,27 euros.

"Il a une vie très simple", résume un surveillant. Même si le détenu le voulait, il lui serait compliqué de s'adonner à la pratique du cyclisme, qu'il aime tant. "On a juste de petits bicross dans la cour de promenade, explique le surveillant, amusé. Le voir dessus, avec sa grande taille, vaudrait une belle photo !"

Les moments les plus chers au cœur du tueur sont les parloirs avec sa petite sœur, Christine. De sept ans sa cadette, cette femme de chambre divorcée vient parfois lui rendre visite avec deux de ses quatre enfants, des adolescents qui n'ont jamais connu leur oncle libre. Pour Noël, elle lui a apporté un colis composé de bonbons, de chocolats, de saumon et de crevettes. "Je serai toujours là pour toi, Francis", lui a-t-elle lancé, les yeux dans les yeux, lors du dernier procès.

Enfant, Christine Heaulme a vécu le même enfer que son frère, constatant les ravages de l'alcool sur ses parents et subissant les violences de son père. Elle a les mêmes traits que Francis et garde en elle une forme de culpabilité de l'avoir quitté, à 18 ans, pour rejoindre un homme rencontré lors d'un bal. "C’est devenu un vagabond, dit-elle de son aîné. Si je ne l’avais pas abandonné, il serait toujours avec moi."

soyez alerté(e) en temps réel

téléchargez notre application

Ce long format vous plaît?

Retrouvez les choix de la rédaction dans notre newsletter
s'abonner