Mais pour redéfinir ses projets professionnels post-attentat, mieux vaut s'armer de courage : entre démarches administratives interminables et difficultés de conciliation avec leurs soins, les survivants doivent aussi faire avec un "manque d'information criant" sur les dispositifs existants, déplorent les associations. Il a fallu attendre 2017 pour que le gouvernement se saisisse de la question du retour à l'emploi, en nommant une déléguée interministérielle à l'aide aux victimes.
Quand Caroline*, ancienne cheffe de projet marketing dans "une grosse entreprise" et grièvement blessée au Bataclan, s'est rendue chez Pôle emploi pour évoquer sa reconversion, elle n’a trouvé aucun conseil auprès de son référent. Ce dernier n’était pas formé à la prise en charge des victimes de terrorisme. En décembre 2017, une convention a pourtant été signée entre la délégation ministérielle et l’organisme promettant la formation des conseillers Pôle emploi à ce sujet. Cette formation n'a démarré que cet été, a annoncé l’institution dans un communiqué. Contacté à de multiples reprises par franceinfo, Pôle emploi n’a pas donné suite à nos sollicitations.
"Il faut vraiment avoir l'énergie d'aller à la pêche aux informations, de solliciter les différents interlocuteurs, déplore la jeune femme qui a subi 23 opérations depuis 2015. Quand on est en post-opératoire, ça n'est pas forcément super simple." Comme elle, de nombreux rescapés n'ont dû compter que sur leurs propres ressources, y compris financières, pour se réinsérer. Fatiguée des longues démarches administratives, Margaux, ancienne juriste, désormais au RSA, s'est tournée vers sa mère et sa grand-mère pour financer des stages en restauration de meubles anciens. "Finalement, les victimes de terrorisme sont des demandeurs d’emploi comme les autres", ironise la jeune femme.
Pour tenter d'améliorer les choses, quatre tables rondes entre gouvernement, associations et acteurs de l’emploi ont été organisées, ces derniers mois, par la déléguée interministérielle à l’aide aux victimes, Elisabeth Pelsez. Cet été, le site Guide victimes a été entièrement réécrit pour intégrer les mesures d’accompagnement de retour à l’emploi proposées aux rescapés. Une victoire pour Nadine Ribet-Reinhart, de 13Onze15, qui estime néanmoins "qu’il y a encore des trous dans la raquette". Interrogée par franceinfo, la délégation interministérielle d’aide aux victimes confirme prudemment qu’"il y a toujours des marges de progression dans le retour à l’emploi et à la 'vie normale'".
Parmi les rescapés interrogés par franceinfo, la main tendue du gouvernement a parfois fonctionné. Sophie, l’ex-enseignante-chercheuse, va utiliser l’avance de l’indemnité versée par le Fonds de garantie pour payer ses formations de shiatsu et de sophrologie dans "deux centres privés". Lucile, employée dans une galerie d’art à deux pas d’un des lieux visés, a bénéficié d’une formation de photographe financée par Pôle emploi. "Le 13-Novembre est une page qui n’est pas encore tournée, reconnaît la jeune femme. Mais les événements m’ont forcée à reprendre ma vie en main : désormais, je travaille pour faire la chose que j’aime le plus au monde."
* Le prénom a été modifié à la demande de la personne qui a témoigné.
Texte : Mathilde Goupil
Illustrations : Batiste Poulin et Vincent Winter