Un matin de novembre 2015, excédé par la série de mesures autoritaires que vient d’adopter le gouvernement du parti Droit et Justice (PiS), Mateusz Kijowski décide de créer un groupe sur le réseau social, le Komitet Obrony Demokracji ("comité pour la défense de la démocratie", en polonais). Le KOD, qui va devenir l’épine dans le pied des conservateurs, est né. "Je pensais que ce ne serait qu’un lieu de discussion sur la démocratie, raconte l’informaticien de 47 ans, assis dans un bureau à Varsovie. J’ai déjà créé des groupes d’intellectuels, avant. C’était toujours des bavardages qui ne menaient à rien."
Les premiers à s’abonner à la page Facebook du KOD sont des "connaissances", des amis d’amis avec qui Mateusz Kijowski commente l’actualité. Ils ne se sont jamais rencontrés, mais partagent les mêmes idées, la même inquiétude face à la "dérive" du gouvernement. Ils transmettent le lien vers la page du KOD à tous ceux qu’ils connaissent.
Ils sont d’abord 100, puis 500, 1 000, 3 000 à rejoindre le groupe Facebook. Le téléphone de Mateusz Kijowski ne cesse de vibrer, il est noyé sous les notifications : toutes les deux secondes, une nouvelle personne demande à s’abonner à la page. L'informaticien se sent dépassé. "C’était choquant que tout aille si vite, confie-t-il aujourd’hui. C’était un accident, en quelque sorte."
Pour un peu, il s’excuserait… Mais pour Maria Wojciechowska, l’une des premières à avoir rejoint le groupe, "le hasard fait bien les choses". "Quelqu’un d’autre aurait pu créer la page, mais c’est tombé sur celui qui était intellectuellement, politiquement et psychologiquement prêt à devenir le leader du KOD", explique la quinquagénaire. Et c’est vrai que Mateusz Kijowski sait garder la tête froide.
Il faut dire que ce Polonais a une longue expérience dans le milieu associatif. Dans les années 1980, Mateusz Kijowski faisait partie d’un groupe de familles catholiques. Plus tard, après la naissance de ses enfants, il a rejoint une association de pères de famille. Et puis il y a eu cette jupe, enfilée pour la bonne cause en mars 2015. A l’époque, des jeunes femmes turques sont accusées d’avoir "provoqué" leurs violeurs en portant des tenues jugées trop courtes. "Il y a eu des manifestations à travers toute l’Europe, où les hommes ont porté des minijupes pour dire ‘stop aux viols’, explique Mateusz Kijowski de sa voix calme. Bien sûr, j’en faisais partie."
L’informaticien n’a jamais eu peur d’affirmer ses opinions. Mais il reste un homme très "pondéré". Alors, lorsque certains soutiens du KOD commencent à trouver le "virtuel" un peu trop frustrant, il calme les ardeurs. "Je n’arrêtais pas de dire qu’il fallait manifester. Au bout de deux jours, j’ai été viré du groupe, s’amuse Piotr Wieczorek, l’un des internautes les plus véhéments. Les autres pensaient que j’étais trop excessif !" Difficile de deviner le côté impulsif de ce consultant en affaires avant de l’avoir vu se précipiter sur le trottoir de Varsovie, sans manteau ni bonnet, pour "avoir sa dose de nicotine".