franceinfo

Le train nazi de Walbrzych, mine d’or d’une ville oubliée

Elodie Drouard

A l’office du tourisme de Walbrzych (prononcer Vaobjeuh, en polonais), le téléphone n’a jamais autant sonné. Au bout du fil, Magda (le prénom a été changé) répète inlassablement la même information : “Non, je suis désolée, mais je ne peux pas vous dire où se trouve le train.” Fini les conseils de trajets ou d’hébergement, depuis quelques semaines, cette pétillante jeune femme est sollicitée sur l’emplacement du “train d’or des nazis”. Une information qu’elle refuse poliment de dévoiler, sur recommandation de la mairie.

Qu’importe si elle ne peut satisfaire les curieux, Magda se réjouit de cet intérêt soudain pour sa ville. “Walbrzych était une ville oubliée, mais aujourd’hui tout le monde nous regarde. Nous avons enfin nos quinze minutes de célébrité”, plaisante-t-elle en arborant un large sourire.

On va enfin se rendre compte que nous ne sommes pas juste pauvres et tristes. Le train ne contient peut-être pas d’or, mais, ici, nous avons notre propre richesse.

Magda
Des journalistes polonais de la chaîne de télévision nationale TVP enregistrent un plateau à l’entrée du chemin qui mène au kilomètre 65 de la voie ferrée à Walbrzych.
Les journaux locaux consacrent de nombreux articles au mystérieux train. En vedette, Tadeusz Slowikowski, 85 ans, un ancien mineur qui a consacré la moitié de sa vie à tenter de prouver son existence.

En quelques jours, la quête du “train d’or des nazis”, comme l’ont surnommé les médias, est devenue l’attraction principale de cette ville moyenne de Basse-Silésie, située à quelques kilomètres de la frontière tchèque. Parmi les nombreuses histoires que l’on se transmet dans la région depuis la fin de la seconde guerre mondiale, on raconte que, en mai 1945, un train aurait été caché sous la terre par les nazis en pleine déroute. Aucun document n’a jamais prouvé son existence, mais de nombreux récits tendent à la valider. “On sait qu’il y avait beaucoup plus de lignes de chemin de fer avant 1945. Certaines ont disparu, mais ont aussi pu être ensevelies, peut-être volontairement”, raconte Maciej Meissner. Né à Walbrzych, ce guide touristique du château de Ksiaz a depuis toujours entendu parler de la légende du train caché, née des récits d’anciens mineurs ou d’employés des chemins de fer allemands. L’un aurait aperçu des rails s’engouffrant dans un tunnel creusé dans la roche. Un autre, de mystérieux camions garés devant la plus grosse banque de Wroclaw (la grande ville voisine), qui aurait été vidée, quelques jours avant l’arrivée de l’Armée rouge. Dans cet ancien bassin minier situé dans le sud-ouest de la Pologne, tout le monde connaît quelqu’un qui connaît quelqu’un qui a vu le train mystère.

Et puis, à la fin du mois d’août, ce qui était une histoire locale s’est mué en une énigme mondiale après que deux mystérieux hommes ont affirmé avoir localisé le fameux train. Bien que des annonces semblables se soient révélées fausses par le passé, l’ampleur de la médiatisation et les preuves exhibées (pourtant controversées, comme le raconte le Daily Mail) finissent de convaincre les plus sceptiques. A Walbrzych, cette fois, tout le monde y croit.

Vendredi 4 septembre, la présence de quelques militaires venus repérer la zone autour du kilomètre 65 de la voie ferrée en périphérie de la ville a eu valeur de confirmation. Un policier présent sur les lieux affirme avoir entendu qu’ils allaient “avoir maintenant beaucoup de travail”. Mais pour cet agent de la police ferroviaire, avant de débuter les travaux de forage, “il va falloir déplacer les pylônes électriques situés au-dessus du tunnel. Faute de quoi, la ville voisine de Swiebodzice pourrait se trouver privée d’électricité. Il faudra peut-être même déplacer la voie ferrée.” Le suspense pourrait donc durer encore plusieurs mois.

Des touristes découvrent les souterrains du complexe d’Osowka, à une vingtaine de kilomètres de Walbrzych.

NOM DE CODE : PROJET RIESE

Pour comprendre la frénésie actuelle autour de ce mystérieux train d’or, il faut remonter à 1943. Alors que l’industrie allemande est affaiblie par les bombardements alliés, Hitler décide de reconstruire un pôle industriel dans cette région isolée d’Allemagne (la Basse-Silésie sera cédée par Staline à la Pologne à la fin de la guerre), qui bénéficie en outre d’un important réseau ferroviaire. Parallèlement, en septembre de la même année, les nazis y débutent la construction d’un vaste dédale de galeries souterraines dont le château de Ksiaz (alors appelé Fürstenstein) devient le centre névralgique. Nom de code : projet Riese. Mais son édification est stoppée nette par l’arrivée de l’Armée rouge en mai 1945. Aujourd’hui encore, le but de cet impressionnant complexe reste flou et beaucoup comptent sur le contenu du train mystère pour résoudre enfin cette énigme. D’autres en espèrent beaucoup plus…

L’entrée d’un tunnel de galeries du site d’Osowka, construit dans le cadre du projet Riese.
Une petite portion des deux kilomètres de tunnels que peuvent parcourir les touristes en visitant le complexe.

Il suffit de traverser Walbrzych pour être frappé par l’état de décrépitude de la ville. Pourtant épargnée par les frappes aériennes pendant la seconde guerre mondiale, la deuxième plus grande ville de Silésie offre un visage de désolation aux visiteurs, qui ne s’y attardent guère. Centre-ville déserté par les commerces, banlieues délabrées, depuis la fermeture au début des années 1990 de la vieille mine “Julia”, l’une des plus importantes du pays, Walbrzych se meurt. Aujourd’hui, la ville affiche un taux de chômage qui frôle les 20%, alors que la moyenne nationale est de 7,9%. Sans avenir, la cité tout entière voit dans cette médiatisation inespérée l’occasion de renaître enfin.

Ce sont les lingots d’or en chocolat qui ont désormais le plus de succès dans la boutique de souvenirs du château de Ksiaz.

TEE-SHIRTS SOUVENIRS ET WEEK-END A THEME

Autour du kilomètre 65 de la voie ferrée, la question fait office de “Bonjour” parmi les badauds. “Ça y est ? Ils ont trouvé le train ?” De passage dans la région pour raison familiale, Lucyna et Slawomir ont fait un détour pour visiter le joli château de Ksiaz, le plus grand de Pologne, qui fait la fierté des gens du pays. C’est là qu’un guide touristique les a gentiment rencardés. Ici, sous un talus longeant la voie ferrée, se trouverait le fameux train. Depuis le pont qui surplombe les rails, ce couple de trentenaires scrute avec attention la végétation environnante. Un selfie plus tard, Lucyna fait la moue. “On espérait voir quelque chose”, confie-t-elle, déçue. Mais, hormis quelques journalistes polonais et la police ferroviaire qui bloque le passage permettant d’accéder à la voie ferrée, il n’y a rien à voir. Comme des dizaines d’autres curieux, ces Indiana Jones du dimanche sont quittes pour faire demi-tour. Las de cet incessant ballet, le chien qui garde la maison au bord du chemin a cessé d’aboyer depuis longtemps. Mais, dans la région, on se réjouit unanimement d’une telle affluence.

Des badauds s’arrêtent sur le pont au-dessus de la voie ferrée pour observer l’endroit où serait caché le train.
C’est sous ce talus que le train serait dissimulé.

Ce dimanche 6 septembre, des dizaines de visiteurs pressent le pas dans le parc du château de Ksiaz pour être les premiers à l’ouverture. Le dernier week-end d’août, la fréquentation a augmenté de 130% et la tendance se confirme. Outre ses appartements baroques, ce sont surtout les 900 mètres de couloirs souterrains qui attirent aujourd’hui les curieux, avides de tunnels et de mystères. Clou de la promenade, la découverte, au-dessus de leurs têtes, d’un puits d’une cinquantaine de mètres de hauteur qui débouche directement au quatrième étage du château. “Il aurait dû abriter un ascenseur pour relier le réseau souterrain aux appartements de Hitler ou bien de Göring, on ne sait pas vraiment”, explique Maciej, le guide.

Commercialisés depuis seulement vingt-quatre heures, 150 tee-shirts avec l’inscription “zloty pociag” (“train d’or”) ont déjà été vendus. Mais ce sont les lingots d’or en chocolat qui ont le plus de succès chez les touristes “venus chercher de l’or” à Walbrzych. Même engouement à Stara Kopalnia, le Musée de l’industrie et de la technologie flambant neuf construit sur l’ancienne mine de charbon. “Vous savez qu’il y a un train là-dessous ?” plaisante sa jeune et dynamique directrice, Anna Zabska. Dotée d’un sérieux sens des affaires, elle a été la première à capitaliser sur cette promotion inespérée. A la tête de cet établissement culturel ouvert en novembre dernier, Anna jubile. “Nous n’avons même plus besoin de communiquer sur l’ouverture du musée grâce à cette énorme médiatisation.

Je sais que le train existe. Mais, honnêtement, si on ne le trouve pas, ce n’est pas grave. La ville est aujourd’hui connue dans le monde entier.

Anna Zabska

Très réactive, Anna Zabska a profité du vernissage d’une exposition temporaire pour faire réaliser par des street artists locaux une fresque représentant le “train d’or”. Elle est même à l’initiative du hashtag #wAubrzych [Au étant le symbole chimique de l’or] repris sur les tee-shirts et sur Twitter.

Au château de Ksiaz, les nouveaux tee-shirts “train d’or” sont exposés à la boutique de souvenirs.
Dans ce wagon qui contient le dernier charbon extrait de la mine de Walbrzych, quelques morceaux ont été peints en doré, en référence au train d’or.
Le célèbre château de Ksiaz est le plus grand château de Pologne, mais également le monument le plus visité de la région.
La fresque réalisée par des street artists locaux au Musée de l’industrie et de la technologie de Walbrzych.

Grâce à un partenariat avec le château de Ksiaz, les curieux ont désormais la possibilité de réserver un week-end “Explorez Walbrzych” pour partir à la recherche du train et des autres mystères de la région. Dans les jours qui viennent, le musée proposera à la vente le traditionnel merchandising (magnet, sacs, sucettes, etc.) pour satisfaire à la demande des touristes. Et l’ambition d’Anna ne s’arrête pas là. Elle vient d’envoyer une lettre au ministre de la Culture pour lui proposer d’exposer le train au cœur de l’ancienne mine lorsqu’il sera retrouvé. “Le ministre de la Défense est originaire de la région. Il pourrait favoriser cette décision”, se réjouit-elle, sûre de son coup.

Dans les anciens couloirs de la mine, les visiteurs tombent désormais face à une fresque représentant le train d’or. La directrice plaisante en racontant qu’elle a toujours été là.

CHERCHEURS DE TRESORS

Zdzislaw Lazanowski dirige le site d’Osowka, situé à une vingtaine de kilomètres de Walbrzych. Osowka est l’un des sept complexes militaires souterrains du projet Riese découverts à ce jour. Lorsqu’il n’était qu’un simple adolescent, ces tunnels étaient son terrain de jeu. Aujourd’hui, il les fait visiter aux 100 000 curieux qui viennent chaque année arpenter deux kilomètres de galeries creusées dans la roche. Mais, dans la région, d’autres ont continué à les explorer. Ici, fouiller les sous-sols de Basse-Silésie est un hobby répandu depuis les années 1960.

Le plus célèbre d’entre eux se nomme Tadeusz Slowikowski. Aujourd’hui âgé de 85 ans, ce mineur à la retraite a consacré la moitié de sa vie à chercher le train. Installé à Walbrzych depuis 1955, Tadeusz le Polonais travaille aux côtés des Allemands dans les mines de charbon locales. C’est là qu’il entend parler pour la première fois de l’existence d’un train caché par les nazis. Bientôt persuadé de son existence, il se mue en chercheur de trésors. Dans le modeste appartement qu’il partage avec son épouse au rez-de-chaussée d’un immeuble de la ville, l’homme est intarissable. Depuis quarante ans, il accumule les photographies, plans, photomontages, persuadé qu’un tunnel existe, caché sous la roche près du kilomètre 65 de la voie ferrée qui relie Wroclaw à Walbrzych.

Fin août 2015, c’est en regardant la télévision locale qu’il apprend que deux hommes, un Polonais et un Allemand, ont réussi à localiser le train. “J’ai ressenti un grand soulagement”, se remémore, visiblement heureux, Tadeusz. Lui qui n’a jamais réussi à convaincre les autorités de mener de véritables recherches pense que sa quête va enfin connaître un dénouement heureux. Mais il est loin de se douter de la suite des événements.

Quelques jours après l’annonce, Tadeusz Slowikowski reçoit la visite de deux hommes qu’il connaît bien, Piotr Koper et Andreas Liechter. Ils font partie de la même association d’explorateurs et cherchent ensemble, depuis seize ans, à percer les mystères de la région. “Ils sont venus s’excuser de s’être servis de mes documents pour poursuivre de leur côté leurs recherches. J’ai compris que c’était eux qui se vantaient d’avoir trouvé le train”, raconte Tadeusz, escroqué mais pas rancunier. Depuis, les “voleurs” ont été exclus de l’association. Hormis une interview télévisée, les deux hommes restent discrets et se refusent à parler. Tadeusz, lui, jubile et enchaîne les entretiens avec les médias du monde entier qui défilent dans son salon. Il raconte inlassablement son histoire à qui veut l’entendre, trop fier que l’on porte enfin du crédit à ses recherches. Et, s’il reste humble, il sait que cette annonce n’aurait pu se faire sans ses années passées à enquêter et à arpenter les voies ferrées de la région.

Tadeusz Slowikowski répond dans son salon aux questions d’un journaliste polonais.
Tadeusz Slowikowski montre les dizaines de photos, plans et documents qui prouvent, selon lui, que le train existe et qu’il est dissimulé près du kilomètre 65 de la voie ferrée à Walbrzych.

En attendant, à Walbrzych, tout le monde espère que cette histoire n’est pas un canular. En visite pour la journée, Mieczystan et Maria, un couple de retraités, craignent que l’on ne retrouve jamais ce train.

Maintenant que Walbrzych est connue dans le monde entier, ce serait une honte pour la ville et la région si on ne trouve rien.

Mieczystan et Maria
“Fuck la tour Eiffel ! Nous avons un train d’or”, peut-on lire tagué à l’entrée d’un pont à Walbrzych.

La honte, Bozena, 69 ans, l’éprouve depuis longtemps, surtout lorsque sa famille lui rend visite. Dans son épicerie du quartier de Podgorze, un des plus pauvres de Walbrzych, elle se désole de cette ville, devenue une ruine depuis la fermeture des mines de charbon au début des années 1990. “Je m’étonne que des pays réclament déjà le contenu du train”, s’indigne-t-elle. “Evidemment qu’il revient à la Pologne. Et, si l’on découvre de l’or, cela pourrait enfin aider la ville qui est la deuxième plus pauvre du pays. On pourrait même rouvrir enfin la Maison de la culture, fermée depuis vingt ans.”

A l’office de tourisme, Magda est moins optimiste. “Ce sont les médias qui ont fait le rapprochement entre l’or disparu et le train. Mais, personnellement, je n’y crois pas”, précise-t-elle. Et elle n’est pas la seule à ne pas espérer les 300 tonnes d’or que certains médias évoquent parfois. “Ce train pourrait bien n’être qu’une boîte de Pandore. Il ne faut pas s’emballer, il s’agit peut-être seulement d’une cargaison de Zyklon B”, tempère Zdzislaw Lazanowski, le directeur du complexe d’Osowka. Mais, comme beaucoup de passionnés par le projet Riese, il espère surtout y découvrir des documents qui apporteraient enfin un éclairage sur tous ces souterrains. Au château de Ksiaz aussi, on espère secrètement découvrir des archives, car “celles-ci pourraient être exposées et montrées aux touristes”, ajoute Maciej. “J’espère qu’il n’y aura pas d’or afin qu’il n’y ait pas de tension entre les pays. Sinon, les juifs, les Russes, les Allemands et les Polonais vont se déchirer pour récupérer le magot”, ajoute-t-il.

Mais la réalité pourrait être moins heureuse. Depuis qu’il sait que le train a été localisé, Tadeusz Slowikowski n’a qu’une peur, que l’on découvre dans ces tunnels un charnier humain. “Ce sont les prisonniers du camp de concentration voisin de Gross-Rosen qui travaillaient dans ces tunnels. Avant de les miner et de les reboucher, ils ont pu les laisser à l’intérieur”, explique, visiblement ému, le mineur à la retraite. On raconte que 4 500 personnes seraient mortes en participant à la construction du projet Riese.

Depuis sa cuisine où elle s’isole du brouhaha médiatique, Leokadia, son épouse, se surprend à rêver. “Nous, on a assez d’argent, on veut juste vivre tranquillement”, assure-t-elle. “Mais, si on trouve de l’or, il pourrait servir à accueillir des migrants en Pologne. Ici, on est tous des survivants. C’est à notre tour d’aider les gens qui fuient la guerre.” Dans un pays où des manifestations sont organisées contre l’accueil des réfugiés, son souhait est une douce utopie que l’on ne peut que partager.