Armand Le Gac est devant sa télé, ce dimanche 4 septembre 2016, quand le téléphone sonne. Des habitants de sa commune, Petit-Landau, sont en train d’en venir aux mains. Le maire délaisse son documentaire sur Johnny Hallyday, Jacques Dutronc et Eddy Mitchell pour se rendre sur les lieux. "Quand je suis arrivé, les chiens aboyaient, les gens criaient mais c’était quasiment terminé, les gendarmes avaient séparé tout le monde", raconte-t-il.
Il s’agit d’un banal conflit de voisinage au sujet de nuisances sonores. L’une des deux familles impliquées est "locataire à Petit-Landau depuis une dizaine d’années" : une femme, son compagnon et l’un de leurs trois enfants, le fils aîné âgé de 31 ans. Armand Le Gac ne les connaît pas particulièrement. "Maintenant, les nouveaux arrivants n’ont plus l’obligation de se déclarer en mairie. Et puis, ils ne faisaient pas partie du tissu associatif", justifie celui qui administre le village depuis 2001.
Comme le veut la loi dans le cas des infractions de violences volontaires, l’ADN des personnes impliquées dans la rixe est prélevé. En avril 2017, les empreintes génétiques sont transmises au fichier national (Fnaeg) et comparées automatiquement aux traces inconnues. Le résultat tombe durant l'été : un profil correspond aux prélèvements effectués fin 2003 dans les sacs-poubelle de Galfingue. Celui de Sylvie H., 54 ans. Le procureur de la République de Mulhouse, Dominique Alzeari, en est avisé fin août. De nouvelles expertises génétiques sont menées. Elles confirment que cette femme est bien la mère tant recherchée des quatre nouveau-nés découverts quatorze ans plus tôt.
Poursuivie avec son compagnon et son fils dans le cadre de la rixe, Sylvie H. est condamnée en octobre 2017 à deux mois de prison avec sursis et 700 euros d'amende. La famille fait appel. Pendant ce temps, les enquêteurs préparent l'interpellation de la quinquagénaire dans l'affaire des "bébés de Galfingue". Lorsque les gendarmes sonnent à sa porte, le 28 novembre, son compagnon tombe des nues. Mais elle n’est pas surprise.
Une longue perquisition permet de retrouver le corps d’un cinquième nouveau-né, conservé dans une glacière, entreposée dans un meuble de la cave. "Une pièce à conviction terrible", commente le procureur. L'audition de cette mère de trois enfants, déjà grand-mère, est "éprouvante". Aussi bien pour cette femme qui a "porté ce secret pendant quatorze ans" que pour les enquêteurs, selon le colonel François Despres, commandant de la section de recherches de Strasbourg.
La machine médiatique se remet en branle. Dès le lendemain, les titres régionaux révèlent l’interpellation. L'AFP relaie l’information et les médias nationaux emboîtent le pas. Le procureur organise une conférence de presse le 30 novembre, au cours de laquelle il présente l'affaire comme l’une "des plus anciennes affaires d’infanticides non résolues". Il indique que Sylvie H. reconnaît "l’intégralité des faits d’homicides sur ses enfants qui venaient de naître" et se félicite du "travail forcément discret mais obstiné des gendarmes qui n’ont jamais lâché". Même près de quinze ans plus tard.