: Vrai ou faux Suicides, importations, fermetures d'exploitations… On a vérifié sept affirmations entendues pendant la mobilisation des agriculteurs
Est-il vrai qu'il se produit deux suicides d'agriculteurs par jour ? La France importe-t-elle un poulet consommé sur deux ? Qu'ils portent sur les revenus des agriculteurs, les prix des produits ou la politique agricole de la France, plusieurs chiffres et affirmations ont été avancés, depuis la mi-janvier, pour illustrer le malaise profond vécu par la profession. Alors que les premiers barrages sont progressivement levés depuis jeudi 1er février, franceinfo passe au crible sept déclarations relayées par des élus ou des syndicats agricoles, pendant les deux semaines de mobilisation.
1 Deux agriculteurs se suicident par jour : plutôt vrai
Interrogé sur la colère des agriculteurs, Yannick Jadot, sénateur écologiste de Paris, affirmait le 20 janvier sur franceinfo qu'il se produisait "deux suicides par jour". Les statistiques lui donnent plutôt raison. Comme nous l'expliquions dans cet article, 529 agriculteurs se sont donné la mort en 2016, d'après les dernières statistiques disponibles, relayées par un rapport de 2022 (lien PDF) de la Mutualité sociale agricole (MSA), régime de protection sociale obligatoire des personnes salariées et non salariées du secteur. En moyenne, cela représente 1,5 suicide par jour. Mais ces chiffres sont jugés comme sous-estimés, notamment parce que le régime de protection sociale de certaines victimes de suicide n'a pas pu être déterminé par l'étude, qui n'a donc pas pu les comptabiliser.
2 Un quart des agriculteurs vivent sous le seuil de pauvreté : vrai
Sur X, Guilhem Carayon, porte-parole et vice-président des Républicains, a rappelé qu'"un agriculteur sur quatre vit sous le seuil de pauvreté". Le chiffre est juste : selon un rapport de l'Insee publié en 2022, 26% des agriculteurs vivaient en 2019 sous le seuil de pauvreté, alors établi à 1 102 euros pour une personne seule. Toujours selon l'Insee, 38% des agriculteurs gagnaient "très peu d'argent", c'est-à-dire des revenus inférieurs à 50% du smic. Cette catégorie inclut aussi des personnes vivant au-dessus du seuil de pauvreté.
Toutefois, les revenus varient très fortement d'un secteur agricole à l'autre : en 2021, le revenu mensuel moyen d'un exploitant agricole était de 2 800 euros pour la "culture de légumes, fleurs, plantes", contre 680 euros pour la "production d'ovins, caprins, équidés, autres animaux", relève encore l'Insee. Les non-salariés du régime agricole imposés au régime réel (329 000 personnes) gagnaient 1 910 euros en moyenne en 2021. Le président des Républicains, Eric Ciotti, a proposé le 28 janvier de créer un revenu minimum de 1 500 euros pour les agriculteurs.
3 Deux cents fermes disparaissent chaque semaine en France : plutôt vrai
Inquiète du grand nombre de départs à la retraite d'agriculteurs, l'ouvrière agricole et députée LFI-Nupes d'Ille-et-Vilaine Mathilde Hignet a rappelé que "200 fermes disparaissent chaque semaine", dans une vidéo partagée sur X par le groupe parlementaire LFI le 26 janvier. Un chiffre qui avait déjà été relayé en février 2023 sur France 2 par Marine Tondelier, secrétaire nationale des Ecologistes.
Dans son recensement agricole de 2020, le dernier en date, le ministère de l'Agriculture dénombre 390 000 exploitations en France métropolitaine. C'est 100 000 de moins qu'en 2010, soit une baisse de 20%, souligne sur son site l'Agreste, organisme statistique du ministère. Cela représente 192 exploitations par semaine, proche des 200 évoquées par Mathilde Hignet.
Selon la députée, "il y a aussi une urgence à réinstaller des paysans". Pour autant, la surface agricole utilisée (SAU) ne diminue pas beaucoup : elle a reculé de 1% sur la même période. "Les exploitations se regroupent, elles sont moins nombreuses tout en travaillant un espace équivalent", explique l'Agreste. "Ainsi, le poids des exploitations de moins de 20 hectares baisse de 43% à 38%", ajoute l'organisme. La diminution du nombre d'exploitations est une constante : ce chiffre a été divisé par quatre en 50 ans, entre 1970 et 2020, avec une chute plus marquée entre 1988 et 2000. L'élevage bovin est particulièrement concerné.
4 La France importe un tiers de son alimentation : plutôt faux
C'est l'une des raisons de la colère des agriculteurs : la menace des importations sur l'agriculture française. "On importe un tiers de notre alimentation", a déclaré le président de la FNSEA, Arnaud Rousseau, le 23 janvier sur TF1. Interrogé par France Télévisions, le ministère de l'Agriculture n'a pas retrouvé trace du chiffre, dont le puissant syndicat agricole n'a pas donné la source.
Toutefois, "les importations agricoles et agroalimentaires représentent au total 20% de l'alimentation nationale", selon un rapport (PDF) de 2021 du Haut-Commissariat au Plan, institution chargée de la planification économique. Soit un cinquième de l'alimentation, et non un tiers. Ces importations "ont doublé entre 2000 et 2019 (...) essentiellement en provenance de pays de l’Union européenne", précise le rapport. Face à cette préoccupation sur les produits d'importation, l'Etat prévoit "10 000 contrôles" sur des produits dont l'étiquetage revendique ou laisse entendre une origine française, a annoncé le ministre de l'Economie, Bruno Le Maire, jeudi 1er février.
5 Les fruits et légumes français sont plus chers que leurs équivalents étrangers : ça dépend
Interrogés par France Télévisions sur un marché de Lille, plusieurs clients ont noté des écarts de prix importants entre fruits et légumes français et leurs équivalents étrangers. Alors, qu'en est-il vraiment ? D'après le ministère de l'Agriculture, la moitié des fruits et légumes, frais et transformés, consommés chaque année en France sont issus de l'importation. Franceinfo s'est penché sur les données du Réseau des nouvelles des marchés FranceAgrimer, organisme chargé de surveiller la production agricole en France. Ce réseau relève les prix des fruits et légumes frais d'un panel de 150 grandes et moyennes surfaces, afin de surveiller la concurrence entre produits nationaux et étrangers.
Ainsi, au rayon légumes, les carottes tricolores sont presque toujours plus avantageuses que les carottes importées, sur les douze derniers mois, avec un prix inférieur à 2,50 euros le kilo. Les poireaux étaient également, sur cette période, quasiment toujours plus abordables. La production d'oignons française restait aussi compétitive. Toutefois, les tomates rondes françaises étaient près de 24% plus coûteuses que la concurrence en pleine saison : 3,72 euros le kilo contre 3 euros pour la tomate espagnole ou marocaine.
C'est du côté des fruits que le bât blesse : souvent en provenance de la Côte d'Ivoire, de la Colombie et de l'Equateur, les bananes étrangères sont en moyenne 6 centimes par kilo moins chères que celles cultivées dans les Antilles. Entre octobre et janvier, le kilo de clémentines importées est 35% moins cher que le kilo français, principalement cultivé en Corse. Quant aux kiwis venant de l'étranger, ils sont plus présents et moins chers. Face à l'enjeu de la concurrence, le Premier ministre a rappelé le 26 janvier l'opposition de la France au traité de libre-échange entre l'UE et le Mercosur.
6 La France importe 50% de ses poulets : vrai
La moitié des poulets que nous consommons provient-elle de l'étranger, notamment de l'Ukraine ? Pascal Canfin, eurodéputé Renew et président de la Commission environnement du Parlement européen, a affirmé jeudi 1er février sur franceinfo que la France "importe 50% [de son] poulet". C'est vrai : près de 50% des poulets consommés en France provenaient de l'étranger en 2022, contre 10% dans les années 1990, a rappelé Yann Nédélec, directeur de l'interprofession de la volaille de chair (Anvol), à franceinfo.
Cependant, c'est surtout la consommation hors domicile (cantines, restaurants, boulangeries...) qui tire ce chiffre vers le haut, avec 67% de poulets venant de l'étranger, ainsi que les produits transformés (nuggets, cordons bleus...). Dans les grandes surfaces, "90% des poulets non transformés sont français", estime Yann Nédélec.
Parmi ces poulets étrangers, on retrouve notamment des volatiles ukrainiens, deux fois moins chers, selon l'Anvol. Depuis le début du conflit russo-ukrainien, les droits de douane sur les volailles d'Ukraine ont été suspendus, contribuant à leur afflux sur le marché européen : les importations communautaires en provenance d'Ukraine ont ainsi bondi de 108% sur les 24 premières semaines de 2023, souligne l'interprofession. Elles profitent en majorité à un groupe ukrainien, MHP, qui détient plus de 80% de la filière. Selon l'eurodéputé Pascal Canfin, les 27 doivent décider le retour de "quotas sur le poulet ukrainien", de façon à "empêcher une déstabilisation trop importante de nos filières".
7 Les agriculteurs sont "excessivement contrôlés" par l'Etat : à relativiser
Surnommé la "police de l'environnement", l'Office français de la biodiversité (OFB) est la cible de la colère des agriculteurs. Au point que Christophe Béchu, ministre de la Transition écologique, a dénoncé jeudi 1er février "des critiques extrêmement dures et violentes à l'encontre des agents" de l'OFB et "les actes minoritaires" visant les nombreuses implantations de cet organisme, chargé de veiller au respect des normes environnementales. "Les agriculteurs sont tellement surveillés, contrôlés, fliqués, verbalisés que certains n'osent même plus curer les fossés de peur que la milice écolo (OFB) leur tombe dessus", s'indigne une internaute sur X. D'autres agriculteurs, notamment dans l'Orne, dénoncent des "contrôles excessifs".
En 2022, l'OFB a mené 21 394 contrôles, selon son dernier rapport d'activité (PDF), dont un peu plus de la moitié pendant l'opération sécheresse. Mais les missions de l'Office ne tournent pas seulement autour de l'agriculture : le secteur ne represente qu'une petite partie de ses activités. Contacté par franceinfo, l'OFB souligne qu'en réalité, en moyenne "3 000 contrôles concernent la profession agricole, à rapporter aux 400 000 exploitations réparties sur le territoire national". Sur les procédures mettant en cause la profession agricole, 40% sont liées à la "qualité de l'eau" et à sa pollution par l'usage de "produits phytopharmaceutiques".
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